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Photo du rédacteurThierry Holweck

Aller vers un avenir de joie et d'allégresse

Ensisheim, 24 novembre 2024




« Nous étions comme dans un rêve » ainsi parle l'auteur de ce psaume de joie et d'allégresse au moment où il évoque le retour de ceux qui étaient captifs à Babylone. Pour avoir une petite idée de ce qu'ont pu ressentir les habitants de Jérusalem au moment de l'annonce de la libération de leurs frères qui avaient été déportés lors de la chute de la ville un demi-siècle plus tôt, les scènes de joies lors des récents jeux olympiques à Paris nous laissent imaginer l'ambiance. Mais ce ne sont jamais qu'une ombre bien pâle par rapport au soulagement qui devait être celui des libérés.




Si on remonte un tout petit peu dans notre époque, on peut se souvenir d'autres moments d'allégresse absolue. Si je peux partager avec vous un moment personnel, j'étais en 1990 à Amsterdam le jour de la libération de Nelson Mandela, le 11 février, après 27 ans de prison dans les geôles du régime d'apartheid. Ce jour-là, les rues de la capitale néerlandaise ont été littéralement envahies par une foule immense. Il est vrai que les Pays-Bas avaient été en pointe dans la lutte contre le régime. Certainement en raison des liens historiques extrêmement forts entre le pays et l'Afrique du Sud.


Le régime raciste et xénophobe de l'Afrique du Sud, avec son régime de séparation entre les populations le plus extrême des temps modernes avait fait l'objet de nombreuses années de pressions diplomatiques et économiques. Boycott et manifestations réclamaient la libération du chef de l'ANC. Et ce jour était enfin arrivé, jour de joie. Une immense fierté parcourait les rues d'Amsterdam, celle d'avoir contribué à plus de justice et de paix. Une fierté que l'on ressentait particulièrement parmi les africains, nombreux aux Pays-Bas à cette époque.

Nous avions parmi nous à la faculté de théologie où j'étudiais à l'époque des théologiens africains qui développaient ce qu'on appelait alors la « théologie de la libération ». Une théologie qui considérait que rien n'avait plus d'importance que la justice dans les rapports nord-sud et est-ouest, l'égalité entre les populations et la participation de tous à la décision en ce qui concerne les affaires communes sur le principe « un homme, une voix ».


Après la chute du mur de Berlin en 1989, la libération de Nelson Mandela était un résultat de ce vent nouveau qui soufflait sur le monde. Un moment historique où ceux de ma génération et ceux qui avaient connu la guerre froide pouvait communier dans l'espoir d'un monde où, comme l'annonçait le prophète Ésaïe « Le loup et l'agneau dormiront ensemble ». Autrement dit où les adversaires d'hier deviendraient les partenaires de demain. Quelle espérance ! Une force qui nous a soulevé.


Pourtant nous savions, ce soir du 11 février 1990 à Amsterdam que rien n'était terminé. Que la libération de Nelson Mandela était le prologue, une condition nécessaire pour l'égalité de tous en Afrique du Sud mais que ce serait difficile. Que ce serait certainement dans la douleur que se ferait la transition et le passage d'une économie d'oppression à une économie au bénéfice de tous. L'avenir ne nous a pas trompé, ce fut effectivement très difficile, des larmes, du sang et de la sueur qui ont pourtant conduit au triomphe de la coupe du monde de rugby organisée en Afrique du Sud en 1995 : « celui qui sème avec des larmes, moissonne avec des cris de triomphe ». La suite de l'histoire de l'Afrique du Sud est malheureusement toujours difficile. À l'apartheid a succédé un régime connu pour sa corruption, la société sud-africaine est toujours gangrenée par la violence et l'inégalité économique et sociale. Après le rêve, le réveil est douloureux.


La liberté est difficile


Au sixième siècle avant notre ère, l'auteur de notre psaume savait déjà que les grandes libérations entraînent de grandes difficultés, de grandes responsabilités. Nous sommes à Jérusalem dans ces années après l'annonce par le roi des Perses et des Mèdes, le grand Cyrus, libérateur des peuples, vainqueur de l'oppresseur babylonien, de la libération de tous les déportés et de leur droit au retour sur leurs terres. Le sentiment des habitants de Jérusalem à cette époque pouvait ressembler à celui qu'éprouveraient les habitants de Jérusalem d'aujourd'hui si un Cyrus moderne libérait les otages israéliens encore détenus et instaurait une paix juste et durable en Palestine.


Mais le retour des exilés et déportés ne se passe pas comme un rêve. Les déportés ont changé, ils ont été influencés par les cultes de Babylone, ils veulent récupérer leurs terres et leurs maisons que ceux qui étaient restés s'étaient évidemment approprié. Éternelle histoire des profiteurs de guerre et de la restitution des biens spoliés. Les voisins, les amis, ne sont plus forcément heureux quand il faut rendre ce qu'on croyait posséder pour toujours. Faire de la place à l'exilé, au déporté, est difficile.


C'est exactement ce que nous raconte le psaume. Après avoir explosé de joie à l'annonce de la libération, il constate que tous les déportés ne sont pas encore rentrés. Le retour d'exil se fait par petites vagues successives avec de très nombreuses difficultés. Cette partie de l'histoire d'Israël nous est racontée dans ces livres méconnus que sont Néhémie et Esdras. On connaît très peu ces épisodes qui sont pourtant essentiels pour comprendre notre propre histoire.


Le psaume se réjouit du retour d'une partie des déportés mais il ne s'arrête pas là, il voit les difficultés, il sait la sueur et les larmes des uns et des autres et il ne renonce pas. Malgré les larmes, il implore le Seigneur pour que tous les autres reviennent et non plus au compte-goutte mais « comme un torrent du midi » impétueux et vivifiant. Au lieu du lent processus de retour, il espère un revirement, une nouveauté de vie qui change tout. Parce qu'il a lu Ésaïe et il attend ces « nouveaux cieux et cette nouvelle terre » que celui-ci annonce. Il sait bien que ce sera long, lent et difficile, qu'il faudra renoncer à ce que l'on considérait comme essentiel, qu'il faudra faire des compromis, faire de la place à l'autre, à celui qui revient de Babylone. Que chacun devra faire l'effort d'apprendre de l'autre, de partager son expérience de vie et comprendre qu'aucun n'est supérieur à l'autre. Ceux qui sont restés à Jérusalem après la déportation n'étaient pas forcément plus heureux. La misère et le dénuement était leur lot puisque ce sont les élites, politiques et économiques, les nobles et les artisans, ceux qui pouvaient être utiles à Babylone qui avaient été déportés. Et ceux-là dans la capitale de l'empire n'avaient pas forcément perdu toute leur morgue et l'arrogance de leur condition sociale.


Entre les juifs de Jérusalem et les juifs de Babylone, quelque chose de neuf est à inventer. Et ce qu'ils vont inventer bien qu'ils ne le sachent pas encore, ce n'est rien de moins que le judaïsme. Ensemble, ils vont réécrire leur histoire commune, reprendre et actualiser les livres de la Loi, réécrire le décalogue, rien que cela en faisant référence non plus à la libération d'Égypte mais à la création du monde. Une manière élégante de mettre les uns et les autres, les libérés et ceux qui étaient restés sur un même pied d'égalité. C'est au retour de l'Exil que le judaïsme que connaîtront Jésus et ses disciples est né. C'est ce nouveau judaïsme qui va faire une place spéciale au message des prophètes, en insistant sur le renouveau, la nouvelle création qui doit advenir pour fonder une nouvelle Jérusalem, toujours fidèle à Moïse et faisant droit à chacun de ses membres.


Une promesse à travers les difficultés


Ce psaume 126 raconte ce retour. Il en fait mémoire durant des siècles : « Quand l'Éternel est revenu avec les revenants » notre vie n'a plus été la même. Et cette nouvelle création doit se continuer, ce que dit cette image extraordinaire du semeur qui sortit pour semer. Il sème en espérant la récolte mais il n'en sait rien. Il sème au risque pour lui de tout perdre, il souffre par l'effort nécessaire pour creuser ses sillons, semer et défendre sa terre contre les menaces. Cette image est parlante pour tous ceux qui savent le prix de l'effort et connaissent la joie de la réalisation. Pour tous ceux qui à l'époque du psaume comme aujourd'hui savent qu'ils doivent travailler dur pour que leurs espérances se réalisent. Pour que la récolte vienne il faut que le paysan sorte de sa maison.


Durant des siècles jusqu'à aujourd'hui, ce psaume est à lire comme un encouragement à accueillir la nouveauté. Durant tous les pèlerinages à Jérusalem, il était lu comme ce rappel de la nécessité de l'effort à fournir et de la promesse de la joie à venir. N'est-ce pas là une belle image de chacun de nos cultes du dimanche ? Ne sommes-nous pas là à nous réjouir comme le psaume de la joie que nous a donné le Seigneur durant la semaine écoulée ? En même temps, ne sommes-nous pas là pour lui demander comme l'auteur du psaume, de continuer son effort et le notre pour la semaine à venir ?


Dans l'équilibre de nos vies, ce psaume nous propose une articulation entre ce qui a été et ce qui sera, entre le passé et l'avenir. Vous savez que pour les anciens, ce qui compte c'est la promesse de l'alliance. Ce que Dieu a fait, il le refera. Le bien qu'il nous a donné, il nous le redonnera. L'avenir est une forme de reproduction du passé, de reconduction du passé, toujours une nouvelle création qui ressemble à ce qui était tout en étant profondément différente. Différente parce qu'au lieu de la peine et de la douleur, vient la satisfaction de ce qui a été accompli. Pour chacun et chacune d'entre nous, ce psaume est promesse de joie pour nos efforts à venir dans la semaine ou dans l'année à venir.


Promesse d'avenir au moment où nos paroisses d'Ensisheim et de Guebwiller s'envisagent réciproquement. Je ne suis pas en train de dire que les uns seraient les juifs restés à Jérusalem et les autres seraient ceux venus de Babylone et qu'il va falloir leur faire de la place au détriment d'autre chose. Je dis simplement que comme les uns et les autres ont dû se faire l'un à l'autre, apprendre les uns des autres, nos deux paroisses, d'histoire et de tradition différentes, de culture et de manière de célébrer et de croire, sont une richesse l'une pour l'autre.


À la différence du psaume, il n'y a pas de Cyrus qui aurait pris un décret de libération exigeant l'union entre nos paroisses. De plus, les juifs de Babylone avaient le choix, rien ne les obligeait à partir pour Jérusalem. Rien n'est écrit entre nos paroisses, nous travaillons ensemble exactement comme nous travaillons les uns et les autres avec les autres paroisses limitrophes. Il peut y avoir des difficultés, des incompréhensions réciproques, il y aura peut-être des larmes et des grincements, des querelles et des désaccords entre nous mais nous avons la même semence à semer. Nous, que ce soit l'Église qui est à Ensisheim ou celle qui est à Guebwiller, nous ne sommes pas là pour nous-mêmes.


Nous avons un Évangile à répandre, une Parole à cultiver et faire grandir dans notre société d'aujourd'hui. Cette Parole, ce message de l'Évangile, doit croître ici à Ensisheim et à Guebwiller avec tous les moyens qui sont les nôtres et si nous pouvons nous aider et créer quelque chose de nouveau, dans le respect de nos cultures respectives, dans l'attention à nos traditions pour que l'Évangile continue demain à être annoncé à Ensisheim et à Guebwiller, il nous faut oser aller vers cet avenir de joie et d'allégresse que porte ce psaume 126.


Puisse-t-il être d'une certaine manière l'emblème de notre apprentissage respectif et alors, nous qui serons partis peut-être dans les larmes reviendront-nous dans la joie en portant nos gerbes, cette moisson vers laquelle notre Seigneur nous envoie comme des ouvriers fidèles.


Roland Kauffmann



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