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  • Photo du rédacteurThierry Holweck

Les deux premières pierres de l'évangile

Les dix commandements – 1

Soultz, 27 avril 2024


Panneau du Musée Calvin de Noyon (Musée Protestant)


Il peut paraître étrange voire surprenant qu'au moment d'entamer cette série de cinq prédications sur les Dix commandements que je vous propose lors de cette nouvelle saison de cultes ici au temple de Soultz, je ne vous parle justement pas des Dix commandements.


Vous auriez pu vous attendre à une analyse, commandement par commandement où nous nous serions essayés à une tentative de traduction de chacun d'entre-eux. Lors de notre récent week-end biblique, Valérie Duval-Poujol, nous expliquait justement la difficulté de traduire correctement les textes, tant ils nous sont devenus étrangers aujourd'hui et ne correspondent plus à nos modes de pensée ni aux concepts de nos vocabulaires. Elle nous invitait à multiplier les lectures des textes dans différentes versions de nos Bibles.


Dans nos Églises protestantes, nous avons pour la plupart grandi avec la traduction dite « Segond », du nom du grand traducteur que fut Louis Segond au début du XXe siècle. Sa traduction est parue en 1910 et elle a été révisée à de nombreuses reprises, tout au long de l'évolution de la langue qui évidemment n'est plus aujourd'hui la même qu'avant la première guerre mondiale. Mais ce qu'on peut faire en étude biblique, à savoir lire plusieurs versions est plus difficile dans un culte où nous n'avons pas le texte sous les yeux mais où nous l'écoutons.


C'est pourquoi je vous propose dans ces cultes à Soultz qui, vous le savez ne suivent pas la liturgie habituelle que nous avons à Guebwiller, d'organiser le culte autour à chaque fois d'une autre version des dix commandements. Aujourd'hui, c'était la version Segond actualisée en 1978 dans la Bible que l'on appelle « La Colombe », la prochaine fois ce sera le T.O.B., puis la Nouvelle Français courant et ainsi de suite, vous entendrez ainsi à chaque fois un petit décalage.


Mais pourquoi parler des Dix commandements aujourd'hui ? Là encore je ne rentre pas dans le détail de ces Dix commandements mais arrêtons-nous un instant sur la nécessité même aujourd'hui d'en parler. À une époque où fleurissent deux discours contradictoires : d'un côté un discours que l'on pourrait appeler « conservateur » qui voudrait remettre la loi et l'ordre au centre de la vie sociale ; de l'autre un discours que l'on pourrait appeler « progressiste » qui prône la liberté de faire ce que l'on veut, quand on veut et comme on veut. Pour caricaturer, on a d'un côté un discours qui tourne autour de l'interdit, interdit de ceci ou de cela, et de l'autre un discours autour du slogan bien connu de mai 1968 « Il est interdit d'interdire ».


Et dans l'Église, les uns et les autres vont se réclamer des Dix commandements ! Les uns pour dire qu'il est bien évident que la Loi et l'ordre doivent être au centre de la vie sociale puisque Dieu lui-même l'a voulu. Et les autres pour dire que justement Jésus est venu pour dépasser la Loi et nous donner l'Esprit qui nous affranchit même de la Loi. Ceux-là ont lu l'apôtre Paul qui dans sa lettre aux Romains déclare justement que nous ne sommes plus sous la loi mais sous la grâce sous-entendu la Loi ne nous concerne plus mais Dieu nous aime tels que nous sommes, avec notre péché, dans notre condition d'hommes et de femmes pêcheurs. Ce sont des courants au sein de nos Églises aujourd'hui.


Qui remontent cependant à plus loin que nous. Vous savez que Martin Luther a lancé ce qui allait devenir la Réforme sur le fondement de sa redécouverte de l'antériorité de la grâce de Dieu par rapport à tout ce que nous pouvons faire pour la mériter. Autrement dit, pour Luther, Dieu nous aime tels que nous sommes avec notre péché et nous sommes à la fois « justifiés et pécheurs ». Ce qui est vrai, c'est notre expérience spirituelle à tous, au plus profond de notre conscience et de notre cœur, nous savons ce que nous sommes, en tout cas, nous avons un devoir de lucidité par rapport à notre condition humaine : nous aimerions faire le bien, toujours et envers tous, mais nous n'y parvenons pas comme nous le voudrions. C'est la grande force luthérienne que d'insister sur cette forme de « en-même temps ». Luther était dans l'esprit de l'apôtre Paul quand il refusait à la loi son rôle dans la rédemption des âmes. Et cela a des conséquences très concrètes aujourd'hui dans la liturgie. Vous pouvez faire la différence entre un culte luthérien et un culte réformé. Dans un culte luthérien, vous n'avez pas la Loi !


La liturgie du culte luthérien contient une louange, une demande de pardon, une annonce du pardon et une confession de foi. La liturgie du culte réformé contient une louange, l'annonce de la volonté de Dieu, la confession des péchés, l'annonce de la grâce et la confession de foi. Dans un culte réformé la Loi vient avant la reconnaissance du péché. Le rôle de la Loi est une des différences majeures entre nos confessions luthériennes et réformées. C'est la raison pour laquelle dans de nombreux temples de l'Église réformée en France, vous ne trouverez pour toute décoration que les Dix commandements écrits de part et d'autres de la chaire.


Comme d'ailleurs dans les synagogues où les tables de la Loi sont la seule image autorisée car c'est dans ces paroles que Dieu se manifeste : il n'est ni dans la nuée, ni dans la création, ni dans le feu, ni dans l'air, ni sur la montagne ni dans le désert, il est tout entier dans ses paroles qu'il adresse à Moïse son serviteur, son intermédiaire entre lui et le peuple.


Voilà ce qui apparaît clairement à la lecture de ce chapitre 19 du livre de l'Exode et finalement à la fin du chapitre 31 au verset 18 : « Moïse monta vers Dieu ; l'Éternel l'appela du haut de la montagne en disant : Voici ce que tu diras… » (19, 3) une parole d'introduction et en conclusion « lorsque l'Éternel eut achevé de parler à Moïse sur le mont Sinaï, il lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierres écrites du doigt de Dieu » (31, 18). Dieu ne parle pas directement à son peuple mais à Moïse, charge pour lui de s'adresser au peuple. Et tout le chapitre 19 dont je vous ai lu des extraits raconte les allers-retour de Moïse qui monte, qui descend, qui remonte et tout le tourbillon de la nuée qui est là pour dissuader le peuple de monter à son tour « de peur que l'Éternel ne cause de pertes dans leurs rangs » (19,22).


Moïse est donc l'intermédiaire entre Dieu et son peuple. Et Moïse reçoit bien plus que dix commandements : onze chapitres de règles et de consignes diverses, sur la taille des murs de la tente de la rencontre, sur les objets du culte, sur la manière de chanter ou de sacrifier. C'est toute la Loi qui est dite et qui est résumée en ces dix commandements qui sont mis à part dans notre texte. Moïse est monté, il est descendu vers le peuple « et il lui parla » (19,25) et que dit Moïse au peuple : vous avez deviné : « Alors Dieu prononça toutes ces paroles » (20,1) c'est Moïse qui parle au nom de Dieu « Parle-nous toi-même et nous écouterons » (20,19) et c'est seulement ensuite que Moïse remonte.


Toute cette scénographie, ces mouvements entre le peuple et la montagne, ces allers-retour de Moïse ont pour seul but de dire à quoi sert la Loi : « c'est pour vous mettre à l'épreuve (et) que vous ayez pour Dieu de la crainte, afin de ne pas pécher » (20, 20). Autrement dit, c'est pour « vous éduquer et vous enseigner à vivre comme il le souhaite ». la Loi est un pédagogue qui nous interroge et nous instruit. Nous ne savons pas et ne pouvons pas savoir par nous-mêmes ce qui est la volonté de Dieu pour nous et pour le monde. Nous ne savons pas vivre naturellement en faisant le bien parce que nous ne savons pas ce qu'est le bien aux yeux de Dieu.


La Loi a pour fonction, non pas de nous sauver, mais de nous dire ce que l'Éternel Dieu attend de nous. Elle n'est pas une barrière, une limite qui interdise, qui empêche d'être libre mais elle est un guide, une limite qui oriente et qui empêche d'être esclave alors que nous croyons être libres.


Nous reviendrons la prochaine fois sur cette ambivalence du mot limite. Pour le moment, je voudrais simplement poser ce qui sera au cœur de la prédication du 25 mai, à savoir la citation d'Albert Camus « un homme ça s'empêche ! ». Il disait par là que l'on devient pleinement humain quand on se donne ou quand on se reconnaît des interdits, que l'on se donne ou que l'on accepte des contraintes, autrement dit des engagements et que l'on respecte ses promesses. Mais nous y reviendrons la prochaine fois.


Pour l'instant et pour conclure, je voudrais m'arrêter sur cette notion de « médiateur » que l'on peut aussi comprendre comme « intercesseur ». Moïse aura à plusieurs reprises l'occasion de prier pour que l'Éternel sauve son peuple : « médiateur », « intercesseur » c'est la même chose, c'est un « intermédiaire ». On dirait aujourd'hui en langage moderne : une « interface ». Or vous savez ce qu'est une interface ? C'est ce qui permet la communication entre deux systèmes différents. Ainsi nos écrans qu'ils soient d'ordinateurs, de télévision ou de téléphone sont les interfaces entre nos capacités de compréhension et le langage informatique. Nous ne saurions comprendre directement le langage binaire des ordinateurs, nous avons besoin qu'il soit traduit, c'est-à-dire, interfacé en texte ou en images que nous puissions comprendre.


Et c'est exactement ce qui se passe avec les tables de la Loi. Moïse sait très bien qu'il n'est pas éternel et qu'il ne sera pas toujours là pour dire au peuple ce que Dieu attend de lui. C'est pourquoi il faut un texte ! Un texte qui dure, qui soit accessible et compréhensible par tous, auquel tous peuvent se référer pour en faire le guide de leur existence et de leurs choix. Un texte qui soit suffisamment clair et intemporel pour ne pas changer au gré des circonstances pour que l'on puisse collectivement juger, évaluer, décider. Et ce que l'on voit ici se mettre en place, c'est le remplacement, le changement d'intermédiaire, d'interface. Ce n'est désormais plus un homme aussi respectable soit-il, aussi proche de Dieu soit-il qui est l'intermédiaire mais un texte qui peut circuler, qui soit un espace d'interprétation et de compréhension.


Ce qui compte dans ce récit, ce n'est pas au premier abord le détail des commandements mais bien plutôt le basculement anthropologique qui est en train de se faire sous nos yeux dans ce texte de l'Exode. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, connaître la volonté de Dieu n'est plus l'apanage d'une caste de prêtres, d'oracles ou de prophètes. Même les sacrificateurs du peuple sont mis à distance et après la tempête sur la montagne, restent deux tables de pierres, ici écrites de la main même de Dieu. Mais surtout deux tables qui peuvent être partout, qui peuvent être reproduites et peuvent être lues par chacun, seul ou en famille, en groupe ou en société.


Il n'est plus besoin à partir de là d'être dans un lieu saint, près de l'autel de Dieu, il n'est plus besoin d'être sous la coupe ou l'autorité d'un clergé. Il n'est plus besoin de passer par un autre intermédiaire que le texte écrit sur ces tables qui sont à la fois la présence et la volonté de Dieu. On a beaucoup parlé de la révolution qu'a été l'imprimerie et de son influence dans le développement de la Réforme mais cette révolution du XVIe siècle n'est rien au regard de celle du XIIIe siècle avant notre ère : pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le Dieu créateur du ciel et de la terre se donne à connaître entièrement dans une parole accessible à tous et compréhensible par tous.


C'est la première pierre ou plutôt les deux premières pierres de ce qui sera plus tard l'Évangile de Jésus-Christ qui, à la suite de Moïse sera l’intermédiaire pour nous donner la Parole de Dieu mais ce sera le sujet de nos prochains cultes à Soultz.


Roland Kauffmann




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