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Ne vous conformez pas au monde présent…

Photo du rédacteur: Thierry HolweckThierry Holweck

Culte du cent cinquantenaire anniversaire d'Albert Schweitzer, Guebwiller 19/01/2025 – Intervention de Jean-Paul Sorg





Parmi les mille et une pensées du pasteur et théologien Albert Schweitzer, j’en retiendrai aujourd’hui deux.

1) « Ne vous conformez pas au monde présent. » Cette phrase n’est pas de lui, mais il l’intériorise et en fait un des motifs de sa vie. Elle est de l’apôtre Paul dans l’Epître aux Romains, 12, 2. Elle date de l’an 57 et s’adressait aux communautés juives éparpillées dans la ville de Rome, une métropole gigantesque, alors ville cosmopolite, « ville-monde », comme aujourd’hui Paris, New-York, Londres, Tokyo… A l’époque de Paul, plusieurs milliers de Juifs, quelques-uns convertis, vivaient à Rome. La ville était administrée sous le règne de Néron, un tyran brutal et capricieux, qui vers la fin de son règne persécutera les juifs chrétiens pour crime de… non-conformité, dissidence, séparatisme.

(Parenthèse politique. Demain, demain 20 janvier 2025, sera investi le nouveau président des Etats-Unis Donald Trump. Certains observateurs lui trouvent des ressemblances inquiétantes avec Néron et prévoient des bouleversements considérables. Sa logique : qui n’est pas pour moi est contre moi, est un ennemi.)

Que les chrétiens écoutent l’appel émis par l’apôtre Paul il y a plus de 2000 ans (et toujours actuel !) : Ne nous conformons pas au monde présent ! Paul a défini ainsi ce qui constitue pour tous les temps présents l’attitude première, primordiale, des chrétiens : un non au monde tel qu’il est, tel qu’il va, tel qu’il ne va pas ! Il ne faut pas se laisser engluer par lui. Il ne faut pas faire avec ! (En alsacien : Nit mitmàche ! Nit mitlauife ! Les Alsaciens ont appris au cours de leur histoire le choix que ce refus implique.)

 La conscience éthique s’éveille là, dans un profond et réfléchi désaccord avec le monde existant.

 Les chrétiens sont préparés à entendre cet appel, parce qu’ils ont en tête l’idée d’un autre monde, dit le royaume de Dieu. Car le monde d’injustices et de souffrances, de bruit et de fureur, dans lequel nous sommes enfoncés, nous le jugeons et nous le récusons à la lumière du royaume de Dieu que nous désirons, monde de justice et de paix dans la liberté, de respect, sinon d’amour, pour tous les êtres humains et tous les vivants.


Il n’est pas étonnant que le pasteur Albert Schweitzer ait fait de cette parole le thème d’un sermon, celui qu’il a prononcé le 15 novembre 1908 en l’église Saint-Nicolas de Strasbourg. Il exposait et déplorait une crise politique qui venait d’éclater entre l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Allemagne à propos de la Serbie. L’empereur François Joseph voulut annexer ce territoire et ne plus se contenter d’exercer sur lui une tutelle administrative. Des passions nationalistes s’y mêlèrent. La guerre qui menaçait fut évitée cette fois-ci par un sursaut de sagesse ou d’intelligence diplomatique. Mais nous savons que sur ce même terrain elle éclatera six ans plus tard, août 1914, et que l’Europe en sera ravagée. Schweitzer distinguait entre un patriotisme passionnel et un amour naturel et raisonné pour son pays. Il a écrit : « L’amour de la patrie s’est transformé pour les peuples de notre temps en aveugle volonté de puissance. » Symptôme, qui va être récurrent jusqu’à nos jours, d’une « psychopathologie du nationalisme », dont il développera l’analyse dans des écrits philosophiques de 1915-1917.

Dans son sermon de 1908, il dit à la fin : « Je ne vous demande pas de m’excuser de vous avoir si longuement entretenu en chaire de patriotisme et de politique, car je suis d’avis qu’il nous faut parler ensemble de ce qui nous affecte dans l’actualité. De prime abord, rien de plus désolant que de disputer de ces choses. Toutefois, ne craignons pas de dire ce que nous pensons vraiment, même si cela passe pour intempestif et suscite la risée de ceux qui s’imaginent avisés en inhalant à pleins poumons l’air du temps. Nous devons tous travailler ensemble à former un nouvel esprit et du même mouvement à sortir nos contemporains de la caverne des opinions toutes faites et de l’anti-intellectualisme satisfait, nous devons les mener vers la lumière du jour… Ensemble, nous trouverons du réconfort à reconnaître ce qui ne va pas dans notre monde et du réconfort à ne pas lui être « conforme »…


2) On trouve une autre expression, toute personnelle, de cette pensée fondamentale au début du remarquable épilogue de son autobiographie, Ma vie et ma pensée, dont il termine la rédaction en mars 1931 à Lambaréné. Il y condense toute son éthique et son aventure. Il confesse :

« Je me trouve et je me tiens en désaccord complet avec l’esprit du monde présent, parce qu’il est plein de mépris pour l’exercice de la pensée… Je voudrais travailler à rendre les humains plus profonds et meilleurs, en les amenant à penser par eux-mêmes. » Fidélité au philosophe Kant, à l’esprit des Lumières, reviviscence : Sapere aude. Osons penser par nous-mêmes.

De l’homme Albert Schweitzer, on trace généralement un portrait « tout en nuances », qui à juste titre montre l’extraordinaire homme d’action qui eut le courage de réaliser et d’éprouver (de mettre à l’épreuve) son éthique dans l’entreprise humanitaire de l’hôpital de Lambaréné. Mais n’escamotons pas l’anticonformiste qu’il a été tout au long de sa vie, le rebelle, l’homme révolté, qui ne s’accommodait pas du monde présent, toujours présent, toujours en déclin…

En cette année anniversaire, saisissons l’opportunité de saisir sa pensée et de méditer son exemple. Et soyons reconnaissants de pouvoir le faire ici en ce dimanche.


Merci.

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