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Roland Kauffmann

Vendredi saint 2023 : une bonne nouvelle.

Dernière mise à jour : 25 avr. 2023

Guebwiller Vendredi saint 7 avril 2023

Aujourd'hui, il me faut reconnaître devant vous que mon humeur n'est pas celle qu'on pourrait attendre d'un pasteur devant prêcher sur la mort du Christ en ce jour de Vendredi saint. Certes on peut s'interroger sur l'humeur qu'il faudrait avoir au moment de nous souvenir de la mort sur la Croix de celui que nous reconnaissons être le Christ : sentiment de tristesse, de désespoir, en tout cas sentiment de gravité et d'importance.

Pourtant, je n'ai et je crois que nous ne devons avoir aucune tristesse ni désespoir devant la mort de celui qui nous a donné sa vie mais au contraire une profonde gratitude ! Une attitude de joie et une profonde reconnaissance envers Dieu pour ce qu'il nous a donné, sa parole manifestée en Christ et la nouveauté de vie qu'il nous propose.


S'il est une seule leçon qu'il faut retenir de l'évangile, c'est bien celle que nous appelons « action de grâce », une formule un peu surannée mais qui dit pourtant bien ce qu'elle veut dire : tout ce que nous faisons, tout ce que nous ressentons, disons et même pensons, est, ou en tout cas devrait être, une expression de notre gratitude envers l'Éternel. Le point de départ de la vie chrétienne, ce n'est pas d'adhérer à telle ou telle point de doctrine de la foi. Il ne s'agit pas de croire ceci ou cela mais de prendre conscience, de nous éveiller à ce sentiment de reconnaissance envers cet homme, Jésus qui est allé jusqu'au bout de son amour pour l'humanité, jusqu'à la mort sur la croix. Une mort qui aurait été inutile et oubliée si des générations de disciples n'en avaient maintenu le souvenir et durant des siècles perpétué la reconnaissance qu'ils en avaient.


C'est le grand théologien suisse, l'un des plus grands théologiens protestants du Xxe siècle, Karl Barth qui le déclarait dans une formule extraordinaire dans une exhortation aux jeunes pasteurs « Ne faites pas de Vendredi saint une chose morne, sinistre. Mais faites-en ce qu'il est : Jésus-Christ a supporté et emporté notre détresse humaine. (…) On peut, on doit être chrétien autrement : en vivant avec ce grand Oui que Dieu a dit dans la croix de Jésus-Christ. Oui, notre vie humaine est maintenant possible ».


C'est le grand paradoxe qu'exprime à sa manière l'apôtre Paul dans sa lettre aux Corinthiens : un seul est mort pour que nous puissions vivre, mais non plus vivre pour nous-mêmes mais pour les autres, d'une manière entièrement tournée vers les autres dans cette forme d'altruisme radical qui caractérise la foi chrétienne.


Il le dit dans des catégories de l'antiquité : il s'agit de ne plus connaître personne « selon la chair » mais « selon l'esprit » et malheureusement des siècles d'ascétisme religieux ont fait croire que les choses du corps et plus largement tout ce qui relève de la vie matérielle n'avait plus aucune importance et qu'il fallait au contraire s'en éloigner, le rejeter, quitte à renoncer à ce qui nous fait être homme ou femme dans toute notre vérité et notre intégrité.

Paul parle de notre mort mais d'une manière contre-intuitive. Nous pensons tous que notre mort est devant nous, qu'elle nous attend comme une réalité inéluctable et comme la seule chose qui nous soit commune à tous. À l'inverse, Paul nous parle de la mort qui est derrière nous ! Celle qui a déjà eu lieu, celle qui est dans notre passé et dont nous vivons aujourd'hui. Superbe paradoxe, la mort n'est plus à craindre puisqu'elle est déjà vécue.


En réalité, il n'y a là aucun mystère, rien de magique ni de mystique mais le changement radical d'état d'esprit qui survient quand nous nous rendons compte que la mort du Christ sur la croix n'est pas un sacrifice inutile mais manifeste la volonté de Dieu de se réconcilier avec l'ensemble du monde vivant et qu'à la suite du Christ, il nous appartient d'être à notre tour, chacun là où il est, les ambassadeurs de cette réconciliation entre tout ce qui vit et l'Éternel Dieu créateur.


La tâche essentielle aujourd'hui


En effet, lorsque Paul nous dit « nous sommes ambassadeurs pour Christ », c'est très concrètement qu'il nous faut le comprendre. D'abord il faut comprendre qu'être « ambassadeur pour Christ » ne veut pas dire distribuer des Bibles ou des croix huguenotes partout autour de nous pour convertir les païens. Il s'agit d'être ambassadeur de la réconciliation entre Dieu et le monde, entre l'Éternel et sa création et c'est bien plus important que de vouloir convertir les autres à notre foi.

Il n'y a en réalité pas de tâches plus essentielles aujourd'hui que de parvenir à faire comprendre le message chrétien à des esprits modernes et pour cela il nous faut toujours rechercher à traduire l'évangile dans des termes compréhensibles par tous. Ce qui ne veut pas dire forcément compatibles avec la pensée dominante de l'époque, il ne s'agit pas, au contraire, de chercher à se concilier les idéologies de l'heure avec une parole au rabais : réconcilier Dieu et l'homme ne veut pas dire se concilier avec l'esprit du temps. Plutôt que de rabaisser la parole de l'Éternel, c'est l'homme qu'il faut élever, qu'il faut éduquer, aider à son dépassement. Ou plus exactement c'est l'humain en l'homme qu'il faut soutenir, conforter, encourager.

Nous comprenons l'ambivalence du terme « humain ». Quand nous disons « c'est humain », nous voulons souvent parler de nos lâchetés, de nos médiocrités, de nos faiblesses, de nos hypocrisies. Et il est vrai que nous ne sommes pas capables de faire le bien, que nous voulons toujours prendre ce qui est à l'autre, dominer, exploiter, prendre et arracher si besoin. C'est « menschlich », disons-nous pour désigner le manque de courage ou les passions qui parfois taraudent même les Églises, esprit de jalousie et de rivalité, volonté de paraître et de faire semblant. Autant de tares spirituelles dont personne n'est exempt.

Mais nous savons aussi reconnaître l'humanité dans tous les gestes de solidarité et de service, le geste du soin, de l'attention à l'autre, de la prévention et de la volonté de progrès pour améliorer les conditions faites à autrui. Nous savons dire que l'humain, c'est ce qui est bon en l'homme, c'est ce qui nous élève, nous fait vouloir être meilleurs que nous ne le sommes, non pas plus forts ou plus riches mais plus aimants, plus libres et plus dignes, plus droits et plus fiers des gestes de bonté que nous avons les uns pour les autres.

C'est cette ambivalence, cette double signification des termes d'humanité qui est résolue sur la croix en ce jour où Jésus meurt pour nous, afin que nous mourrions à notre ancienne manière de vivre et naissions à cette vie nouvelle que Dieu veut pour nous.

J'ai découvert très récemment un très ancien catéchisme réformé, extrêmement simple et bref. C'est le catéchisme de Cracovie, en Pologne, édité en 15571. J'ignorais comme vous qu'il y avait eu des calvinistes en Pologne mais c'est un pan ignoré de notre histoire. Comme tous les catéchisme jusqu'à une date récente, il est organisé en question-réponses. Au moment de la confirmation, des questions étaient posées aux catéchumènes qui devaient y répondre en public, faute de quoi ils n'étaient pas admis à la cène. Le catéchisme devait être appris par cœur, d'où l'intérêt de celui-ci qui est particulièrement court.

Il commence, et c'est là qu'il nous intéresse aussi aujourd'hui par une question fondamentale, qui signe d'ailleurs sa proximité avec Calvin : « Puisque toute notre sagesse chrétienne repose sur notre connaissance de Dieu (1) et de nous-mêmes (2), je [te] demande : qui es-tu ?

→ Je suis un homme, une créature de Dieu raisonnable, créée par Dieu à son image.»

Merveilleuse question qui nous est posée à chacun aujourd'hui et qui trouve sa réponse au pied de la croix et à laquelle nul ne peut répondre à notre place. Ce que les Réformateurs du XVIe siècle ont compris et que les évolutions successives du protestantisme ont eu tendance à nous faire oublier c'est que l'on ne peut connaître Dieu en oubliant l'homme et que l'on ne peut pas non plus connaître l'homme en oubliant Dieu. La grande idée protestante, fondée sur l'idée de la réconciliation paulinienne, c'est que l'on ne peut être chrétien au prix de notre humanité. Que l'on n'est vraiment chrétien, seulement et seulement si, au sens mathématique, que si l'on est pleinement humain. Il s'agit de comprendre que Dieu et l'homme sont corrélés l'un à l'autre. Il y a une corrélation entre « être humain » et « être soumis à l'autorité de Dieu »

Le principe de corrélation

C'est ici un point extrêmement difficile qu'il faut bien comprendre, les deux choses vont de pair : on ne peut être soumis à l'autorité de Dieu au prix de notre humanité. Il faut tenir les deux choses ensemble, l'une avec l'autre : être pleinement humain au sens biblique que nous avons dit et être pleinement serviteur de Dieu. Le service de Dieu ne peut jamais se faire au prix de ce qui est véritablement humain en nous et il passe nécessaire par le service des autres. C'est la limite ultime que Dieu lui-même a posé et qui se manifeste dans la pleine humanité de Jésus que nous reconnaissons être le Christ.


Nous savons bien ce à quoi il nous faut mourir : au péché et de même nous savons bien ce qu'est le péché, ce n'est pas un acte mais un état d'esprit, une mentalité. De même nous savons à quoi il nous faut naître, à la justice de Dieu et là aussi nous savons qu'elle est d'abord un état d'esprit, une volonté de servir et le courage de le faire.


C'est cette mentalité, cet état d'esprit commun qui nous nourrit aujourd'hui. La bonne nouvelle du Vendredi saint c'est que la chose est devenue possible, et qu'elle est réalisée en Christ. La croix est à la fois la condamnation du monde, la condamnation de tout ce qui opprime, oppresse, écrase l'humain et la rédemption du monde, la rédemption par tout ce qui élève, restaure et soutient la beauté, la vérité, la justice et la liberté de l'humain.


Alors, oui, à l'appel de Paul, soyons réconciliés avec Dieu !

Roland Kauffmann, 7 avril 2023


2 Début de l'Institution chrétienne : « Toute la somme presque de notre sagesse, laquelle, à tout compter, mérite d'être réputée vraie et entière sagesse, est située en deux parties : c'est qu'en connaissant Dieu, chacun de nous aussi se connaisse. Au reste, combien qu'elles soient unies l'une à l'autre par beaucoup de liens, n'est-il pas toutefois aisé à discerner laquelle va devant et produit l'autre. »

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