16 mars : le troisième jour, il est ressuscité des morts;
il est monté au ciel,
il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant;
il viendra de là pour juger les vivants et les morts.
Cet article regroupe quatre thématiques qu'il fait se succéder et dont il introduit une forme d'équivalence :
la résurrection, l'ascension, le règne du Christ, la parousie (c.à.d. Le retour glorieux du Christ, la seconde venue du Christ), celle-ci étant assimilée au jugement de l'humanité.
L'article est organisé en sept séquences d'importance inégales
1. le troisième jour,
Il s'agit d'introduire une temporalité, d'inscrire ce qui suit dans la série d’événements ouverte par l'incarnation, puis la descente vers les enfers. L'exaltation dont il est ici question est un moment « historique »
Pour l'Église des premiers siècles, « l'histoire », c'est « ce qui est raconté ». Les contemporains font bien la différence entre les événements vécus et les événements fondateurs que nous appelons aujourd'hui « mythologiques ». Ainsi la Guerre de Troie a vraiment eu lieu; Rome a vraiment été fondée par Romulus et Rémus, mais aussi par Énée, et Jésus est vraiment mort et ressuscité. Ces événements sont datés et sont aussi certains les uns que l'autre.
Il s'agit d'inverser le rapport : ce que les uns tiennent pour l'Histoire est un mythe quand ce qu'ils prennent pour une fable est en réalité la seule véritable Histoire qui compte : les chrétiens des premiers siècles considèrent que l'histoire des hommes et des empires est une fable, puisque le destin de l'humanité est entre les mains du Dieu tout-puissant, Père de celui qui « mort et ressuscité ». C'est ainsi cet événement-là qui devient déterminant, le point de bascule historique, en relativisant tous les autres.
C'est cette relativisation de la marche du monde qui va permettre aux chrétiens de supporter les persécutions et de réfuter dans l'histoire toutes les dictatures.
L'eschatologie se présente comme un événement historique.
2. il est ressuscité des morts ;
On ne peut être à la fois, « mort » et « vivant » (quoique en pure logique, le Christ, étant Dieu, peut être ce qu'il veut, vivant ou mort, étant ou n'étant pas, étant ici ou là-bas) mais ce qui est possible à un Dieu ne l'est pas pour un homme.
Pour être pleinement homme, en même temps que pleinement Dieu, le Christ doit donc répondre à tous les critères :
s'il était seulement Dieu, il pourrait être à la fois mort et vivant
étant aussi pleinement homme, il doit donc être soit l'un soit l'autre ; il est « soit mort », « soit vivant ».
Pour être « vivant », étant un homme ayant été « mort », il doit être ressuscité. S'il ne l'est pas, c'est qu'il est mort, s'il est mort, c'est qu'il n'est pas Dieu. Pour être pleinement Homme et pleinement Dieu, le christ doit être vivant donc ressuscité. CQFD.
Que signifie « être vivant » ?
être vivant, c'est inspirer, c'est susciter, c'est soutenir, c'est nourrir, c'est consoler, c'est aimer, c'est pardonner, c'est changer le monde, c'est se soucier non de soi-même mais de l'autre et particulièrement de celui qui est dans le besoin, c'est rechercher le bien de l'autre, rechercher la beauté, rechercher la vérité, rechercher la justice, rechercher l'équité.
Si le Christ fait cela en nous, il est vivant ! S'il ne le fait pas, nous sommes les plus malheureux des hommes car c'est qu'il n'est pas vivant en nous. (1 Corinthiens 15, 19).
3. il est monté au ciel,
le mouvement va du « bas » vers le « haut » et pas seulement depuis le monde des humains mais depuis le lieu du non-être, l'endroit où l'on a pas de forme, où les « âmes flairent », jusqu'au lieu de la plénitude de l'Être : le mouvement va du monde humain (les Enfers et la Cité) au monde divin (le Ciel).
N.B. Le ciel n'est pas un lieu pour les humains, au contraire, il désigne exactement l'inaccessible, ce qui est au-dessus de nous et que nous ne pourrons jamais connaître : Le Christ, comme le ciel, nous domine et nous dépasse.
Le symbole ne fait aucune référence au lieu de notre propre résurrection, ni « paradis », ni « enfers » cf « Je crois à la résurrection de la chair et à la vie éternelle » (15/6/23).
Cette spatialisation du Christ est une des grandes différences entre les Églises « luthériennes » et les Églises « helvétiques ». Ces dernières considèrent au XVIe siècle que le Christ, étant au ciel, ne peut être présent dans le pain et le vin de la cène, puisque nous sommes dans le temps de l'attente, s'il « reviendra », c'est qu'il n'est pas encore là, CQFD. Les luthériens considèrent que le Christ étant Dieu, il peut être où il veut, à la fois « au ciel » et dans les espèces et que le futur du Christ/Dieu est notre présent : Puisqu'il est à la fois au ciel et sur la terre, il est à la fois déjà venu et revenu mais il est en même temps toujours à attendre, déjà là et pas encore. C'est toute la dialectique luthérienne que l'on retrouve dans le « simul justus, simul peccator » (toujours en même temps pécheur et justifié) ou encore dans la formule « je crois, viens au secours de mon incrédulité) quand les helvètes préfèrent les alternatives
4. il siège à la droite de Dieu,
De même que le « troisième jour » introduit une temporalité divine, la « droite de Dieu » désigne une spatialité divine : la « droite », c'est le lieu du prestige, de l'honneur, de la délégation de pouvoir. Le contraste entre l'humiliation de la mort et le prestige du ressuscité est accentué.
5. le Père tout-puissant;
l'autorité de « son fils unique » lui est donnée par Dieu lui-même. Dans un univers régi par les puissances surnaturelles, il est de toute première importance d'être du côté du plus fort : le symbole déclare ici que le Christ est plus puissant que la mort, que toutes les puissances de désespérances, que tout ce qui veut nous empêcher de vivre.
6. il viendra de là
Nouveau mouvement spatial qui signifie que le Christ nous rejoint, qu'il est auprès de nous, avec nous.
La parousie est le retour du Christ, cette fois en gloire contrairement à l'incarnation
7. pour juger les vivants et les morts.
Ce qui devait nous faire peur, le jugement qui taraude l'humanité depuis l'aube des temps et est au fondement de toutes les religions cherchant à se rendre propice le juge divin n'est plus un événement terrible mais joyeux.
« En Christ », nous sommes à la croisée de ces différents mouvements, de ces diverses spatialités et temporalités. Nous sommes avec le Christ quand il meurt, c'est nous qui mourrons avec lui ; nous sommes avec lui quand il ressuscite, c'est nous qui vivons avec lui . La résurrection de Jésus, c'est de vivre en nous.
Qui parle à qui ?
Un pharisien (dont l'école enseigne la résurrection) parle à des grecs qui n'y croient pas, influencés par des chrétiens dubitatifs envers elle. C'est un juif qui comprend l'homme comme étant une unité entre la chair et l'esprit (le « souffle de vie», nephesh נָ֫פֶשׁ), lequel se distingue de l'esprit de Dieu (rouach, grec pneuma)1 tandis que les grecs ont une conception dualiste entre un corps mortel (soma σῶμα) et une âme (psyche ψυχή), une âme à laquelle s'ajoute l'esprit (pneuma πνεῦμα)2.
Pour des grecs, que Jésus ait pu éventuellement ressusciter n'est pas un problème, puisqu'il est « fils de Dieu » il est donc immortel et sa mort n'est alors qu'un intermède, un bref passage aux enfers. La religion gréco-latine est remplie de tels exemples, ainsi Héraclès. Dans ce cas, Jésus « paraît » seulement être un homme alors qu'il est en réalité un être spirituel (ange ? Ou Dieu lui-même, c'est alors le docétisme (du grec dokein, paraître).
La question est donc 1) la mort de Jésus est-elle réelle ? Autrement dit, était-il un homme ? Un mortel ou un immortel ? 2) Sommes-nous concernés par la résurrection ou est-elle l'apanage du héros que serait Jésus ?
Il lui faut donc insister sur le sort commun entre Jésus et les hommes (12-14), il est un homme comme nous soumis aux mêmes règles physiques que le commun de l'humanité. C'est la condition pour qu'il puisse y avoir réciprocité.
La question devient donc « comment les morts ressuscitent-ils ? » (35)
Paul va utiliser la métaphore du grain de blé pour introduire l'idée de la différence entre les deux états (avant et après la résurrection) identique à la différence entre la graine et l'épi : la graine meurt et ne meurt pas, elle change de forme mais c'est toujours le même être, la même potentialité, nous dirions aujourd'hui le même capital génétique.
Seconde métaphore (39-41) : la différence de nature entre les différents corps pour finalement arriver à la distinction ultime entre « corps naturel » et « corps spirituel » (44) ( σπείρεται σῶμα ψυχικόν, ἐγείρεται σῶμα πνευματικόν. ⸀Εἰ ἔστιν σῶμα ψυχικόν, ⸂ἔστιν καὶ⸃ πνευματικόν. speiretai sōma psychikon egeiretai sōma pneumatikon Ei estin sōma psychikon estin kai pneumatikon)
Il introduit ainsi la distinction entre le « corps charnel » et le « corps spirituel » semblant ainsi reprendre la distinction entre corps et âme ou celle que faisaient les gnostiques et que font encore aujourd'hui les adeptes de la réincarnation ou du new-age : entre l'enveloppe charnelle et l'aura.
Or quel est l'usage que fait Paul de cette distinction entre spirituel et charnel ? Ou plutôt entre l'homme spirituel et l'homme charnel ? Suivons la règle de base, qui est que l'écriture permet d'interpréter l'Écriture.
Lire 1 Corinthiens 2, 10-16 et 1 Corinthiens 3, 1-4 : l'homme spirituel est celui qui est habité par l'Esprit, qui est « en Christ » par opposition à l'homme charnel qui suit ses propres penchants.
Le premier niveau de la résurrection, c'est donc de passer du « charnel » au « spirituel ».
Paul ne croit pas comme les grecs à une quelconque immortalité de l'âme qui est un concept platonicien et n'est pas une conception biblique.
Pourquoi Paul va-t-il plus loin dans ses métaphores? Du grain de blé qui change de forme en restant foncièrement le même jusqu'à ces célestes qui n'ont plus rien à voir avec les terrestres ? Quel est le lien entre les terrestres et les célestes ? Il n'y a aucune continuité mais de même que nous avons porté l'image du terrestre, nous porterons l'image du terrestre. Pourquoi cette contradiction dans les termes, cette rupture de l'apparente causalité ?
Autant l'image du grain de blé était parlante, autant la différence entre charnel et spirituel était féconde (lettre/esprit, loi/évangile, autorité/liberté etc…) autant celle entre « terrestres » et « célestes », « corruptible » et « incorruptible » est incompréhensible. Paul est obligé de faire un saut dans le mystère.
Il reprend ce qu'il a déjà dit aux Thessaloniciens (1 Thess. 4, 13-17) avec le cortège de trompettes et la transformation des élus. Paul est en effet confronté à la mort des premiers disciples, de ceux à qui il disait qu'ils ne mourraient pas mais seraient transformés, il doit ainsi se livrer à une sorte de surenchère tout simplement parce qu'il ne sait pas ce que sera la résurrection. Alors, faute de mieux, il cherche des images, exactement comment nous le faisons encore aujourd'hui pour imaginer l'après-mort.
Il faut chercher du côté du Paul de la maturité, de celui qui n'est plus engagé dans un discours polémique contre les judaïsants ou les chrétiens de culture hellénistique. C'est dans l'épître aux Romains qu'il va redonner une nouvelle dimension à l'image du grain de blé qui meurt ainsi qu'à la différence entre nature charnelle et nature spirituelle, ou plus exactement « nouvelle nature spirituelle » et « ancienne nature charnelle ».
Lire Romains 6, 3-11.
Plus de trompettes, plus de changement de corps, plus d'enlèvement mais une nouveauté de vie déjà pleinement réalisée et accomplie par la mort qu'est le baptême. De même que nous sommes morts avec le Christ, de même nous sommes ressuscités avec lui. De même que nous avons pris conscience de notre misère et de notre incapacité à faire la bien, que nous avons porté notre croix et mourrons avec le Christ, de même nous nous réveillons (égeirô) et nous nous levons (anistemi : les deux verbes profanes utilisés par le NT pour parler de résurrection) avec le Christ en nouveauté de vie, désormais consacré au souci de l'autre : « Que nul ne cherche son intérêt mais celui d'autrui » (1 Corinthiens 10, 24).
Notre résurrection est d'ores et déjà accomplie : si nous sommes morts avec le Christ, nous vivons avec lui.
Nous pouvons être dé-préoccupés de la mort et retrouver l'antique sagesse biblique d'une mort « rassasiée de jours », comme Abraham toujours vivant dans sa descendance. C'est sans doute la conception que s'en faisait Jésus lui-même dans le seul passage où il en parle (Matthieu 22, 22-23, Marc 12, 18-27, Luc 20, 27-38) : « Pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu, dans le livre de Moïse, ce que Dieu lui dit, à propos du buisson : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ? 27 Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».
Les morts ressuscitent dans la mémoire de Dieu et de ceux qui se souviennent d'eux3.
1. Il arrive que l'esprit soit humain et que l'âme et l'esprit soient distingués : « Mon âme (nephesh) te désire pendant la nuit, Et mon esprit (rouach) te cherche au dedans de moi ; Car, lorsque tes jugements s’exercent sur la terre, Les habitants du monde apprennent la justice. Ésaïe 26, 9.
2. Paul adopte parfois cette répartition en trois parties « corps, âme, esprit », par exemple en 1 Thessaloniciens 5, 23
3. Daniel Marguerat, Résurrection. Une histoire de vie, Éditions du Moulin, 2003.
Comments