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Frédéric Hautval

La prière de la foi

Dernière mise à jour : 31 oct. 2023

Prédication Jacques 5, 13-16

Guebwiller, 15 octobre 2023, Frédéric Hautval

L’épître de Jacques est un écrit très particulier. Le jugement de Luther, qui le qualifie « d’épître de paille », est assurément trop rapide, mais il faut reconnaître que cet écrit occupe une place à part dans le NT : il est fort peu christocentrique, il ne comporte que deux mentions du Christ et comme en passant ! Il est moralisant d’une morale qui n’a rien de spécifiquement chrétien. Il est très marqué de Judaïsme, au point qu’on a parfois voulu y voir un écrit juif secondairement et superficiellement christianisé ! Cependant l’Église a fini par y reconnaître un témoignage chrétien essentiel et l’a reçu dans le canon biblique.

Cela nous met sur une voie : oui, c’est un son de cloche qui se distingue nettement du paulinisme. A la théologie de la grâce offerte, par Jésus-Christ, grâce qui nous oblige dans nos œuvres « Car nous estimons que l’être humain est justifié par la foi, en dehors des œuvres de la loi (Ro 3.28) » précise Paul, l’épitre de Jacques oppose « Toi tu as la foi, ; moi j’ai des œuvres ; moi, par mes œuvres, je te montrerai la foi (Jc 2.18) ». C’est sans doute parce que la Lettre s’adresse à un public d’origine juive, communauté chrétienne de Jérusalem ou peut-être des esséniens convertis ?

L’auteur veut alors faire entendre du christianisme ce que ses destinataires sont aptes à comprendre. Il traduit l’Évangile dans un langage accessible à ses contemporains.

Le thème de notre passage d’aujourd’hui est assurément celui de la prière ! Le passage retenu laisse la suite de côté : dans les versets suivants, l’auteur de l’épître y poursuit en évoquant Élie qui, au premier livre des rois, par la prière, va tarir la pluie sur Israël pendant trois ans pour forcer le roi Achab, par la famine ainsi provoquée, à se détourner de ses turpitudes. C’est l’illustration de ce qu’il vient de dire quant à l’efficacité de la prière. On peut comprendre la réticence d’inclure cette suite dans notre réflexion, une prière à la pluie a de quoi troubler… ; la prière d’Élie agit sur les éléments naturels et s’apparente en quelque sorte à de la magie.

Pourtant, il me semble que supprimer l’exemple ne supprime pas totalement cette approche. Les versets retenus sont dans le même ton, la multiplication des impératifs font de la prière un « y a qu’à ». Vous souffrez ? Priez ! Vous êtes joyeux ? Dites merci ! Vous êtes malades ? Appelez les anciens de l’Église, ils vous guériront !

Par ailleurs, s’il est question de psaume de louange, embrassant de manière large la question de la prière, l’ensemble porte uniquement, au premier regard, sur la prière comme recours en cas de difficulté : par la prière, la difficulté sera résolue.


Il est vrai que l ’épître débute aussi par les épreuves que traverse le croyant et par la question de la demande adressée au Seigneur : celui qui demande doit demander avec foi, c’est-à-dire non pas d’un cœur partagé, traversé par le doute. C’est ainsi qu’il recevra du Seigneur.


Dans notre passage, l’auteur évoque de même la « prière de la foi », qui trouve un écho dans « la demande du juste ».


C’est vrai que nous avons tous déjà entendu le témoignage de chrétiens fervents, qui de tout leur cœur se sont présentés à Dieu pour obtenir la guérison, et n’ont pas été exaucés, ou pas comme ils le souhaitaient. Pas instantanément, voir même, pas du tout. Chose d’autant plus embêtante que Jacques fait dépendre de cette guérison physique, le pardon des péchés qui en découlera : « le Seigneur le relèvera et, s'il a des péchés à son actif, il lui sera pardonné ». D’où cette réponse donnée dans certaines communautés aux chrétiens non guéris : « votre cœur ne s’est sans doute pas encore suffisamment converti à Jésus » …


Faire confiance en la promesse de Dieu


Mais, voyez-vous, le temps de Dieu n’est pas le temps des hommes : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité… mais vous allez recevoir une puissance celle du Saint Esprit » (Actes 1, 7), voici la réponse de Jésus aux disciples qui lui demandent si le temps du Royaume de Dieu est arrivé pour Israël.


Le temps qui passe n’est ni injonction, ni instantanéité pure, ni miracle permanent. Il est le temps de la confiance et de la promesse : se placer chaque jour sous le regard de Dieu en songeant que sa vision de notre destinée est bien plus grande que l’étroitesse avec laquelle nous nous regardons et regardons les autres, nous permet de nous replacer sur ce chemin du Peuple de Dieu… Peuple qui avance, qui n’est que pèlerin et voyageur, mais dont le regard est projeté sur l’horizon : l’horizon de ce qui est et de ce qui n’est pas encore…

Ainsi, la prière n’est en aucun cas une formule magique ou une incantation donnant lieu, dans l’instant, à une réponse qui nous satisfait totalement.

Le thème de notre passage couvre principalement deux registres : celui de la maladie et du péché, abordés tous les deux au niveau individuel et collectif.


La prière est personnelle et collective. L’auteur ne conçoit pas que la prière relève exclusivement de la sphère privée. Inversement, la prière de l’Eglise ne dispense pas le croyant de sa prière personnelle. Ainsi la prière sollicite le croyant de manière totale, comme être propre et comme être « avec les autres », soit en étant au bénéfice de la prière des autres, soit en étant soi-même priant pour les autres.

La prière pour les malades des anciens, les « presbuteros », c’est-à-dire les représentants de la communauté locale correspond chez Jacques à une charge et non à un charisme particulier, un don de guérison, au sens de l’épître aux Corinthiens. Les presbuteros manifestent ainsi la solidarité de toute la communauté mais dont chaque membre en assume aussi la part personnelle.


Il ne s’agit pas de cloisonner les sphères, individuelle et collective, mais de marquer au contraire la circularité du lien que la prière tisse. Cette circularité englobe le Seigneur lui-même. L’onction d’huile est faite «au nom du Seigneur », c’est le Seigneur qui relève, qui pardonne, qui guérit.

L’unique passage de NT qui joigne également l’onction d’huile à la visite des malades est celui de Mc 6, 13 où nous voyons les Douze recevant l’autorité du Christ pour prêcher en Galilée et guérir les malades avec des onctions d’huile.

Bibliquement, l’onction d’huile est geste associé à une guérison, ou une purification, le samaritain soigne les blessures avec de l’huile, c’est signe d’honneur ou encore signe de l’élection ou de la consécration des rois et des prêtres. Manifestement, elle est encore habituellement pratiquée dans la communauté à laquelle s’adresse Jacques et elle est liée à la guérison. Nous pouvons aussi y voir un lien entre le protocole médical (l’huile/médicament) et le parcours de prière.


La difficulté de reconnaître son péché

D’autre part, il faut approfondir ici la seconde articulation de la maladie et du péché. L’auteur n’établit pas de relation de cause à effet entre la maladie et le pardon ; les deux thèmes, dans le verset 15 et 16, cohabitent par « et » : « Le souhait de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera ; s’il a commis des péchés, il sera pardonné ». Les verbes sauver et relever sont parfaitement équivoques : s’ils peuvent s’entendre au niveau concret, être sauvé de la maladie, en être « relevé », nous en savons aussi le sens lié au jugement dernier. Ce caractère équivoque du vocabulaire, si nous le comprenons positivement ainsi que le renvoi « au Seigneur » tempèrent la première impression d’une efficacité mécanique de la prière. On ne peut plus, alors, affirmer que le croyant sera à coup sûr, présentement, sauvé par la prière au sens de guérir. Inversement, une guérison concrète ne sera-telle pas signe, d’une guérison tout autre ? Au v. 16, Jacques emploie le terme médical de guérir. Pense-t-il à la guérison médicale ou peut-on aussi, de même, y lire une évocation du pardon faisant suite à l’exhortation à la confession des péchés ?

« Reconnaissez vos péchés les uns devant les autres », il ne s’agit pas de se complaire dans une dévalorisation de notre personne, mais d’être en vérité les uns devant les autres. Ne pas se présenter devant son prochain comme un héros de sainteté, mais comme ce que je suis devant Dieu, un pécheur pardonné.

Reconnaitre ses péchés est un acte difficile.


Il y a quelque temps, mon épouse a rencontré le recteur de la collégiale de Thann. Elle lui a exprimé son souhait de se confesser. Evidemment, le père Schmidt ne pouvait pas pratiquer le sacrement de réconciliation pour des fautes exprimées en langue vietnamienne. Elle m’a donc demandé de mettre en forme l’expression de sa confession qu’elle a préalablement traduite en français…


Outre le fait d’entrer dans l’intimité d’une personne, ce qui exprime aussi une grande confiance, la démarche engagée par mon épouse nous fait partir de son examen de conscience personnel intériorisé en vietnamien et exprimé en paroles françaises, réinterprétées par une tierce personne pour être présenté à un curé…


A l’issue de l’exercice, je lui ai dit « Au nom de Jésus le Christ, mort et ressuscité pour nos péchés, je te le dis, tes péchés sont pardonnés »


L’examen de conscience réalisé par mon épouse m’a renvoyé à notre pratique protestante de la confession des péchés. Nous sommes en effet appelés à confesser nos péchés lors du déroulé liturgique du culte lors du rappel de la loi de Dieu, de l’appel à la confession des péchés et de l’annonce du pardon. A nous d’entrer pleinement et en conscience dans cette séquence.


Le théologien Antoine Nouis précise qu’une Église au sein de laquelle les membres se présentent tous comme des pécheurs pardonnés est une Église forte, une Église dans laquelle les relations peuvent se vivre en vérité, une Église qui génère de la guérison.

La prière est celle de la foi (v.15), c’est-à-dire de la confiance au Seigneur au sens de s’en remettre à lui.

Prier les uns pour les autres, c’est alors apprendre à déposer sa situation devant Dieu sans chercher à lui souffler ce qu’il doit faire. Le croyant prend acte de sa précarité devant le malheur jusqu’à renoncer à trouver la solution ; ici, la prière de demande se contente de faire mémoire devant Dieu du nom de ceux et celles qui se trouvent dans une situation difficile, et avoue de ce fait son impuissance humaine à imaginer la réponse.

Ce qui est dit ici vaut aussi bien pour la prière personnelle. Si s’en remettre est aveu d’impuissance, l’exaucement sera, pour le croyant, de réaliser le peu que nous pouvons faire, mais de le faire vraiment.

Quant au Seigneur, l’exaucement de nos prières sera pour nous la certitude de sa réponse, bien que nous en ignorions les tenants et aboutissants. On mesure la délicatesse du sujet face à des malades.

Mais Jacques lui-même fait face lui aussi, sans aucun doute, à des malades. Il n’écrit pas sa lettre avec légèreté.

On peut entendre dans ce passage l’impératif communautaire de ne pas laisser une personne malade dans la solitude à laquelle la maladie peut conduire ; nous savons combien la maladie peut isoler. On peut entendre aussi l’impératif de ne pas laisser cette personne dans le sentiment d’abandon du Seigneur lui-même, que les souffrances peuvent susciter ; nous savons tous les « pourquoi ? » qui surgissent quand la maladie ou l’épreuve au sens large adviennent. L’exhortation de Jacques vise à lutter contre le désert relationnel.

La prière construit le lien là où il fait défaut. Elle est parole là où il pourrait n’y avoir que silence ou oubli. Elle est annonce de la présence de Dieu là où n’est perçue que son absence. Pour le croyant éprouvé, elle est invitation à ne pas se replier sur lui-même.


Amen

Frédéric Hautval

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