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Photo du rédacteurThierry Holweck

Prédication du dimanche de Pâques 2024

30 mars 2024, dimanche de Pâques, Guebwiller





Jour de joie que le jour de Pâques ! À la peine et au deuil du Vendredi saint succède la joie de la résurrection. Joie ? Allégresse ? Voilà qui est vite dit. Si vous avez entendu le récit que nous en fait l'évangéliste Marc, vous aurez été peut-être étonné de la réaction des femmes qui sont allées au tombeau aux premières heures du jour.


Alors que l'aurore pointe à peine ses doigts de rose nous dirait le poète, elles vont au tombeau accomplir les rites qu'elles n'ont pas eu le temps de faire l'autre jour. Souvenez-vous, c'était la veille de la Pâque et il avait fallu l'ensevelir très vite dans une tombe qui se trouvait à proximité et qui avait été donnée par un notable, Joseph d'Arimathée. C'était un disciple de Jésus mais en secret car il était aussi membre du Conseil, c'est-à-dire de ceux qui avaient condamné et livré Jésus. Étrange destin que le sien que d'attendre le Royaume de Dieu et d'avoir été obligé de se cacher. Il faudra un jour revenir sur lui mais aujourd'hui, arrêtons-nous un instant sur ces femmes : Marie-Madeleine, Salomé et Marie, mère de Jacques.


L'idée ne leur est pas venue de demander aux hommes de les accompagner, ne serait-ce que pour les aider à déplacer la lourde pierre qui ferme la tombe. À noter aussi que Marc ne s'attarde pas sur les gardes qui auraient été placés pour veiller à ce que les disciples n'enlèvent pas le corps pour faire croire à la résurrection comme il l'avait annoncé. La douleur est toujours là mais il faut faire ce qui doit être fait pour rendre hommage à celui qu'elles ont aimé, qu'elles ont suivi et en qui elles avaient mis toutes leurs espérances.


Joseph d'Arimathée était un homme riche, c'est pourquoi la pierre qui était devant le tombeau était grande. C'était une manière de montrer sa richesse. Depuis que l'homme est homme, il a toujours eu besoin de montrer sa réussite sociale en se construisant un tombeau à sa mesure. Et Joseph ne déroge pas à la règle de son époque. Mais ce qui est grand en réalité, c'est la surprise des femmes quand elles voient que la pierre est roulée.


Qu'aurions-nous fait à leur place ? Certainement que nous aurions couru chercher de l'aide ou alors nous aurions fait comme elles : nous serions rentrés, persuadés que nous aurions été, comme elles l'étaient peut-être que le corps avait été enlevé, volé, sans doute par les hommes du Conseil qui voulaient ainsi les empêcher d'honorer la dépouille de Jésus. En effet, Joseph avait été demander l'autorisation à Pilate de déposer le corps et de l'ensevelir. Or Pilate était persuadé de l'innocence de Jésus et si ça n'avait tenu qu'à lui, il l'aurait libéré et c'est Barabbas qu'il aurait fait crucifier.


Mais Pilate, bien que représentant de la puissance de Rome ne pouvait pas faire ce qu'il voulait. Il était bien obligé pour maintenir la paix civile de donner aux chefs du peuple ce qu'ils voulaient, exécuter Jésus, pour éviter un soulèvement populaire. Une révolte qu'il n'aurait pas pu mater avec le peu de troupes qu'il avait à sa disposition. En effet, il ne faut pas se représenter les romains à Jérusalem comme une armée nombreuse, c'est une petite garnison, une simple force de police. Et il a eu raison, Pilate, d'avoir peur de la révolte. Elle gronde déjà et dans quelques années elle se déclenchera et avant la fin du siècle elle se déchaînera et il faudra de nombreuses légions pour détruire Jérusalem.

En attendant, voilà donc ces trois femmes, tiens, trois femmes, comme il y avait eu trois disciples dans le jardin de Gethsémané juste avant qu'il ne soit arrêté. Ces trois disciples avaient été très courageux. Alors que Jésus connaissait l'effroi du doute et de l'abandon, ils l'avaient soutenu en s'endormant... On a connu mieux comme soutien… Elles entrent donc et sont épouvantées, non par l'absence du corps de Jésus mais au contraire par une présence qui n'aurait pas dû être là. Qu'ont-elles vraiment vu ? Un jeune homme comme nous le raconte Marc ? Un ange, un fantôme ou un esprit ?


Peu importe ce qu'elles ont vu ou n'ont pas vu ! Paul au moment où il raconte à son tour cet événement aux fidèles de la ville de Corinthe ne rentre pas dans ces détails. Peu lui importe qu'il y ait eu un ange, deux anges, qu'ils aient été dans le tombeau ou hors du tombeau. Peu lui importe que les femmes aient vu Jésus : la seule et unique chose qui compte à ses yeux et c'est déjà une confession de foi « Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures, il a été enseveli le troisième jour, selon les Écritures et il a été vu par Pierre puis par les douze », voilà la seule chose qui compte aux yeux de l'apôtre, c'est que tout ce qui s'est passé s'est déroulé « selon les Écritures ».


Or que disent les Écritures ? C'est l'antique foi d'Israël qui affirme que Dieu parle par ses prophètes qui sont inspirés, remplis par son esprit. Or il arrive que le prophète soit une femme. Une de ces femmes que rien ne prédisposait à être porteuse de la Parole de Dieu et qui pourtant annonce cette parole qui allait s'accomplir des siècles plus tard. Cette femme s'appelle Anne. Non pas la mère de Jean-Baptiste mais la mère de Samuel et c'est dans cet hymne en l'honneur de l'Éternel qu'elle déclare « l'Éternel fait mourir et il fait vivre, Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter » (2 Sam. 6). Paul qui connaît par cœur la tradition juive connaît évidemment cet hymne de Anne et pour lui voilà les Écritures qui sont en train de s'accomplir.


Et ce qui est étonnant c'est que nous avons là deux récits de résurrection. Paul quand il raconte la résurrection de Jésus, c'est pour expliquer à ses lecteurs comment il en est venu à se faire messager de l'Évangile. Il raconte comment Jésus s'est manifesté à lui et comment lui qui n'était rien d'autre qu'un avorton est devenu le plus convaincu et le plus convaincant des apôtres. Certains, parmi les autres apôtres, le trouvent arrogant parce qu'il affirme des choses plus fortes que les autres. Alors qu'ils devraient être respectés parce qu'eux ont bien connu Jésus, Paul les dérange, les bouscule parce que lui c'est avec les yeux du cœur qu'il a vu le Christ. Sa conviction est toute intérieure alors que les autres apôtres commencent à oublier ce qu'ils ont vécu à tel point qu'il faudra l'écrire pour ne pas l'oublier complètement. Bien qu'il ait été avant cela déjà un maître dans les textes, il a conscience qu'il n'était rien et qu'il est devenu quelqu'un quand il a été appelé par le Christ. Il était mort et il est ressuscité avec le Christ.


Quand Paul dit qu'il est un avorton, c'est en se comparant aux autres, à Pierre, à Jacques et Jean ou encore à tous ceux qui faisaient partie de la foule des disciples. Il n'est rien à côté d'eux et pourtant c'est lui qui donnera toute sa dimension au message de Jésus. Notamment parce qu'il a parfaitement compris ce que voulait dire Anne, au moment où elle « prête » son fils à l'Éternel.


Anne est en fait une préfiguration de Marie. Comme la naissance de Jésus, celle de Samuel sera l’œuvre de l'Esprit, l'accomplissement d'une prière. Anne était stérile, comme l'était déjà avant elle Sara, la femme d'Abraham. Nous sommes à l'époque archaïque d'Israël, à peu près au XIe siècle avant notre ère. À cette époque là, la guerre de Troie est encore dans les mémoires, c'est l'époque des dieux et des héros et chaque année Elqana et sa femme Anne font le pèlerinage dans un lieu saint pour faire leurs offrandes au Dieu d'Israël. Des années durant Anne prie le Seigneur de lui donner un enfant car la seconde femme d'Elqana qui s’appelait Pennina, avait des fils et des filles. Et voilà que sa prière est exaucée. Elle est enceinte et enfante un garçon qu'elle appelle Samuel mais au lieu de la garder pour elle, elle le « prête » à l'Éternel et le consacre au service de Dieu. L'enfant deviendra le premier des grands prophètes, celui qui choisira les rois et notamment David, le plus grand des rois d'Israël.


Et elle remercie Dieu dans les termes qui étaient ceux de ce temps. Ainsi « le monde » n'est-il pas le monde que nous connaissons aujourd'hui. Elle affirme avec force sa foi : le monde, c'est-à-dire ce que nous connaissons, ce qui est autour de nous, est posé sur des colonnes ! C'est une manière poétique de se représenter l'univers comme entièrement entre les mains de Dieu : d'un Dieu qui « redresse l'indigent de la poussière, relève le pauvre du fumier » autrement dit un Dieu qui restaure ceux qui sont effondrés, console ceux qui pleurent et ressuscite non pas ceux qui sont morts mais ceux qui croient en lui.


Ressusciter pour la vie !


Pour Anne, la vie n'était qu'humiliation devant la fierté de l'autre épouse. Son mari l'aimait tendrement mais rien n'y faisait, elle était comme morte et l'Éternel l'a fait revivre en lui donnant un enfant, plus rien ne sera jamais pareil. Son mari ne l'aimera pas plus pour autant, il l'aimait déjà tellement qu'il lui donnait une double portion de toutes choses. Voila les Écritures qui s'accomplissent selon l'apôtre Paul, la résurrection de Anne est une image de la résurrection de Jésus et une image de notre propre résurrection.


Selon les Écritures, pour reprendre les termes de l'apôtre Paul, nous ressuscitons avec le Christ. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il ne s'agit pas d'une résurrection à venir, de l'autre côté de la mort. D'ailleurs une telle résurrection serait-elle plus crédible? Notre résurrection est accomplie en Christ. De même que Anne avait un destin fermé, dans une répétition sans fin du même désespoir de l'absence de sens et de signification à sa vie, elle ressuscite lorsque la vie est à nouveau en elle, lorsque les choses prennent sens, s'ordonnent et ont une orientation pour la vie.

La naissance de Samuel est la résurrection de sa mère Anne comme la vocation de Paul est sa résurrection. Voilà quelle est la joie de Pâques, avec Christ nous sommes ressuscités. Bien sûr que cela paraît fou parce que nous sommes encore englués dans toutes nos contradictions, nos détresses mais nous le disions lors du culte de Vendredi saint mais nous le disons souvent sans forcément penser à ce que nous disons.


Lorsque nous disons que Jésus est mort pour nous, qu'il a donné sa vie pour nous ou quelque formulation que nous ayons pour dire le don qu'il nous a fait, c'est pour que nous en vivions ici et maintenant, non pas comme une quelconque récompense à venir après une existence de souffrances et de douleurs mais une vie qui vaut la peine d'être vécue parce qu'elle aura été consacrée à l'amour de Dieu et de son prochain.


Je pense là à cet homme très lourdement handicapé que ses parents vont visiter depuis 42 ans sans pouvoir espérer la moindre amélioration. Une vie qui à vue humaine est une atroce prison et une peine incommensurable pour ses parents et pourtant ils ne s'en détournent pas, ils ne l'oublient pas et ils l'aiment d'un amour qui dépasse tout entendement. Ils ne peuvent rien faire d'autre qu'être là, aussi pleinement là que possible et essayer, sans être sûrs d'y parvenir, d'aimer celui qui est avant leur tout leur enfant.


Ils sont ressuscités ceux-là qui ont compris que le sens de leur vie est d'aimer. Aimer au-delà de l'imaginable, aimer ceux qui ne le méritent pas, ceux qui n'ont rien fait pour l'être et pourtant, celui dont nous célébrons la résurrection n'a-t-il pas dit qu'il n'y a pas de plus grand amour que de consacrer sa vie, son âme, toute sa personne à ceux que l'on aime (Jean 15,13) ? C'est ainsi que l'on ressuscite, lorsque notre vie trouve son sens à travers l'autre auquel on se consacre avec fidélité et humilité.


Roland Kauffmann

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