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Roland Kauffmann

Cherchez d'abord…

Dernière mise à jour : 27 sept. 2023

Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice

Guebwiller 17 septembre 2023 – baptême Mila Haenni


Le texte du jour a certainement résonné étrangement à vos oreilles. Particulièrement pour vous, Valentin ainsi que pour vos parents, habitués que vous êtes et bien plus qu'aucun d'entre nous à observer les lis des champs. Bien plus modestement que dans votre exploitation agricole, beaucoup d'entre nous n'en sommes pas moins des observateurs de nos jardins, de nos potagers ou de nos plates-bandes. Il nous arrive souvent d'échanger des trucs et des conseils, notamment sur le repiquage des tomates et la récupération de leurs graines.

C'est dire que cette parole de Jésus résonne encore aujourd'hui même dans nos environnements urbains et dans nos existences numériques. Heureux celles et ceux qui savent encore « regarder les oiseaux du ciel » et « regarder l'herbe pousser » d'un cœur confiant et tranquille. C'est en tout cas quelque chose qui est à la portée de tous, aussi longtemps qu'il reste des oiseaux dans le ciel et des lis dans les champs.


Et c'était tout à fait l'intention de Jésus au moment où il prononce ces paroles lors de cet extraordinaire sermon réputé être sur la montagne. Il devait plutôt être sur une petite éminence surélevée, un rocher ou une sorte d'estrade qui lui permettait non pas de dominer la foule mais de se faire entendre de tous ceux qui étaient là. On nous dit qu'il y avait foule. Peu importe le nombre, nous sommes au début du ministère de Jésus, il n'a encore que peu de disciples, quatre nous dit le chapitre précédent, mais il y a beaucoup de curieux qui viennent l'entendre. Et le discours qu'il leur tient est un peu un discours programmatique. Il décline un enseignement à la fois théologique et pratique, à tel point qu'après l'avoir entendu, les gens se disaient leur étonnement d'avoir entendu quelqu'un d'aussi convaincu et convaincant (Mt 7, 28-29).


Et ce « sermon sur la montagne » est une source inépuisable pour notre prédication contemporaine parce que Jésus parle donc de manière directement compréhensible, ancrée dans la réalité que vivent ses auditeurs. On dirait aujourd'hui qu'il parle de leur expérience quotidienne. Et de manière très concrète. C'est un programme de vie, un programme de foi et c'est pourquoi un tel texte est tout indiqué au moment de célébrer le baptême de Mila : « ne vous inquiétez pas pour votre vie ; regardez les oiseaux du ciel, regardez les lis des champs ; ne vous inquiétez pas du lendemain », voilà une série de conseils que l'on pourrait donner à Mila au moment où elle entame son existence.


Mais pour vous qui êtes « paysan », j'aime ce mot de « paysan » parce qu'il parle de « pays », parce qu'il évoque la forme que vous donnez à nos « paysages », il dit l'importance de votre métier, vous êtes « paysan », vous modelez nos paysages et vous assurez la subsistance de la société. Valentin, vous êtes d'une tradition paysanne et même si aujourd'hui on dit « agriculteur », il importe de garder ce mot. Mon grand-père était paysan et depuis sa colline du Sundgau, il cultivait tous les vallons alentours et en était très fier. Vous donc qui êtes paysan, vous entendez peut-être autre chose que nous dans ces termes. Car les oiseaux ne sont pas forcément une bénédiction ni les lis des champs contre lesquels vous êtes en réalité toujours amenés à lutter. Si vous ne regardiez que les lis des champs et les laissiez prospérer, il n'y aurait pas d'asperges par exemple.


Jésus serait-il donc naïf ? C'est bien beau de dire que les lis ne travaillent ni ne filent mais sont pourtant plus beaux que le plus grand des rois d'Israël, Salomon en personne. C'est bien beau de dire qu'il ne faut pas s'inquiéter du lendemain mais que le lendemain aura soin de lui-même. Allons dire à celles et ceux qui sont à la porte des restos du cœur qu'ils ne doivent pas s'inquiéter de ce qu'ils mangeront demain. Jésus serait-il donc tellement à côté de la plaque. Certains parmi nous connaissent cette angoisse du lendemain et on ne peut l'évacuer d'un revers de la main en se contentant de dire « que ce sont les païens qui recherchent ces choses ». Jésus n'était pas un moine, reclus dans le désert, il ne recommande pas l'ascétisme ni ne valorise la pauvreté et surtout, il n'excuse pas ni ne légitime la misère. Jésus ne fait pas partie de ceux qui affirment que la misère n'est qu'une étape transitoire et qu'il faut l'accepter ou s'y résoudre en attendant le paradis qui attend les fidèles.


Écoutez le cheminement de sa parole. En réalité il part d'un constat : ses auditeurs s'inquiètent du lendemain et bien plutôt que de dire qu'il ne faut s'en inquiéter, il déroule des exemples des bienfaits de Dieu. Il montre ce que Dieu fait de bon pour ses créatures. Ses créatures, oiseaux et lis des champs qui sont considérés en tant que tel, comme des exemples, indépendamment de leurs effets sur les cultures. Il faut toujours se rappeler que Jésus parle du Royaume de Dieu et n'écrit pas un traité d'agriculture. Les oiseaux et les lis dont il parle ne sont ni bons ni mauvais, ils sont ! Tout simplement. Et ce qu'il cherche à produire, c'est l'effet d'analogie, de comparaison : si Dieu s'occupe ainsi de l'herbe bonne à jeter au feu, à combien plus forte raison s'occupera-t-il de vous !

C'est une image du soin que Dieu prend de nous pour les choses de la vie. Plutôt que de dire « ne vous inquiétez pas de votre nourriture et de votre vêtement parce que ce n'est pas important », au contraire, Jésus affirme « votre Père sait que vous en avez besoin ». Là encore, c'est une image qui nous rejoint dans notre réalité. Nous qui sommes père ou mère, nous savons, ou plutôt nous essayons de savoir, ce dont nos enfants ont besoin. Nous cherchons à anticiper leur développement, nous veillons à les préserver de tout ce qui pourrait leur faire du mal, nous enlevons les ronces et les épines de leur chemin et quand ils s'égratignent ou se blessent, nous sommes là pour nous occuper d'eux. Et c'est exactement cela que Jésus veut faire comprendre à ses auditeurs : vous cherchez le meilleur pour Mila, Dieu veut le meilleur pour chacun et chacune d'entre-nous. Il ne peut vouloir la souffrance, la peine, la misère, l'angoisse et la douleur. De même que nous ne pouvons vouloir cela pour nos enfants, Dieu non plus ne peut le vouloir pour l'humanité. Cette analogie est la première chose que Jésus dit à ses auditeurs : « Dieu sait que vous avez besoin de ces choses qui sont légitimes, normales et bonnes ».

Une fois qu'il a dit ça, il en vient à ce qui est encore plus important. Il renverse l'ordre des priorités : la nourriture, le vêtement, le toit, le travail, la dignité, la sûreté, tout ce que nous pouvons considérer comme des « droits de l'homme » car ils sont en réalité des besoins fondamentaux de tout être humain, de toutes les époques et de tous les pays, c'est important mais… Il y a quelque chose qui vient « d'abord », « premièrement » non pas comme étant une condition mais comme étant une priorité absolument prioritaire si vous me permettez cette redondance.


Ce n'est pas une « condition » au sens où, à défaut de chercher le Royaume de Dieu, nous serions condamnés à la misère et au dénuement, nous voyons bien qu'il y a suffisamment de gens très aisés qui n'en ont que faire. Ce que Jésus fait, ce n'est pas instaurer une sorte de « donnant donnant » où il faudrait chercher le Royaume de Dieu pour, en retour, recevoir la prospérité ou être à l'abri du besoin. Il ne nous propose pas une assurance tout risque à condition de croire en lui. Le baptême que nous venons de célébrer ne met pas Mila à l'abri de l'adversité ou des difficultés de l'existence. Ces choses n'ont rien à voir ! Il ne faut pas comprendre ce texte comme le font malheureusement certains « si je suis un bon chrétien, alors Dieu me donnera le bonheur, la richesse et la prospérité ». Si nous prétendons être chrétiens pour obtenir ces choses, importantes évidement, nous confondons l'Éternel avec un maquignon pour rester dans la métaphore paysanne.


Jésus nous fait lever la tête de nos préoccupations après avoir reconnu qu'elles sont légitimes. Le Royaume de Dieu et sa justice sont plus importants que la réussite ou la prospérité. Il importe plus de vivre dans la justice que de réussir et c'est cela que nous voulons pour Mila comme pour chacun d'entre-nous. Vivre selon les règles du Royaume de Dieu, ici et maintenant, c'est-à-dire rechercher le bien de l'autre plutôt que le sien propre, aimer Dieu en aimant notre prochain de la même manière que Dieu nous aime alors même que nous ne sommes pas dignes de cet amour. Cette primauté de l'amour de Dieu et de la grâce qu'il nous donne est le message du baptême. De la même manière que Mila n'a rien fait pour mériter votre amour, vous l'aimez parce qu'il ne peut en être autrement. Et cet amour inconditionnel que vous avez pour elle est le point de départ, la conviction, la foi sur laquelle elle pourra bâtir sa vie et en faire, non pas ce qu'elle voudra, mais quelque chose de beau, de bon, de bien, de juste !


Ce n'est autre que l'image imparfaite, car l'amour dont nous aimons nos enfants est toujours imparfait, de l'amour de Dieu pour nous et de la vie chrétienne. Nous ne méritons pas la grâce de Dieu, aucun d'entre nous ne la mérite. Sinon ce ne serait plus une grâce. Elle est là, nous est donnée avant que nous n'en ayons conscience et c'est une réalité. Et de même que Mila aura à comprendre, tout au long de sa vie, ce que cet amour inconditionnel signifie, il nous faut « chercher » le Royaume de Dieu. « Chercher » au sens où Jésus l'emploie, c'est chercher ce qui est déjà là, ce qui a déjà été semé, ce qui a déjà été fait. C'est ce que nous appelons la sanctification. Après avoir reçu la grâce, encore faut-il la cultiver, explorer ses conséquences, défricher tout ce qui l'empêche, débroussailler l'écheveau des complications. C'est à la manière d'une enquête, démêler le vrai du faux, interroger les textes, étudier et comprendre.


Recevoir ce que l'on a reçu

En réalité, tout se passe comme si Mila recevait aujourd'hui une terre. Non pas une terre vierge et aride, désolée et abandonnée mais une terre fertile, féconde et nourrie en abondance, riche de vers de terre et de nutriments naturels et qu'il lui appartient maintenant d'en tirer le meilleur pour la subsistance du monde. Le peuple d'Israël, libéré du pays de la servitude, est entré dans la terre promise et il devait la cultiver pour y faire pousser les fruits de la justice. Il en est de même pour nous protestants qui avons ce que le théologien André Gounelle nomme à juste titre la « théologie du paysan » (1) par opposition à la « théologie du nomade », de celui qui ne fait que passer et à toujours besoin d'être réconforté, confirmé dans sa foi, nous sommes à notre tour un peuple installé sur sa terre, qui n'a plus à se préoccuper de ce qui préoccupe les autres, à savoir notre propre salut. Nous n'avons plus à avoir ces angoisses existentielles quant à notre présent ou notre avenir ni quant à notre destin éternel car toutes ces choses sont entre les mains de Dieu et non plus entre les nôtres.


Le salut n'est pas pour nous un objectif à atteindre, il n'est pas le fruit ni le résultat de nos efforts ni même de notre foi. Il n'est et ne peut être une récompense qui viendrait saluer nos efforts, notre piété, notre justice. Le salut, la grâce de Dieu dont le baptême de Mila est le symbole n'est pas un but mais un point de départ. Jésus ne dit pas « cherchez le salut : faites ce qu'il faut pour l'obtenir » il dit « chercher le Royaume de Dieu et sa justice » : autrement dit « cultivez la terre et faites-en le Royaume de Dieu c'est-à-dire un monde où chacun vivra à la mesure de ses besoins raisonnables dans la paix, la dignité et la liberté et tout le reste nous sera donné par-dessus : chercher le Royaume de Dieu, c'est au sens de l'exploitation agricole, c'est exploiter ce qui nous a été donné, c'est en vivre pour notre bénéfice et de tous ceux qui nous entourent, chaque jour.

C'est cela que nous souhaitons à Mila et à chacun d'entre-nous.


1 «Théologie du nomade, théologie du paysan, cette tension qui traverse une partie de l'Ancien Testament se retrouve à l'intérieur du protestantisme », André Gounelle, Théologie du protestantisme, Van Dieren, 2021, p. 213.

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