« Il vient ! sans apparence mais il vient »
Guebwiller, 1er avent, 1er décembre 2024
André Borderie "Les armes de la lumière", huile sur toile.
Vous aurez peut-être été surpris en entendant les textes du jour, particulièrement ce récit de l'évangile de Matthieu qui nous raconte l'entrée de Jésus à Jérusalem lors de la fête de la Pâque. « Monté sur un ânon, le petit d'une ânesse », vous aurez évidemment reconnu le récit des Rameaux et vous êtes peut-être en train de vous dire que j'ai confondu les dates des fêtes, confondu Pâques avec Noël.
Pire encore, vous pourriez vous dire que je radote et que j'aurais répété le même texte deux fois tant la parole de Zacharie, l'un de ces prophètes que l'on nomme « petits », est la copie presque conforme du récit de Matthieu. Il est vrai que c'est quasiment du mot à mot : « il est humble et monté sur un âne, Sur un ânon, le petit d'une ânesse. » Mais ceux d'entre vous qui connaissent leur Bible, vous aurez évidemment remis les choses dans l'ordre et compris que ce n'est pas Zacharie, prophète du VIe siècle avant notre ère qui aurait copié Matthieu mais bien ce dernier qui pour raconter l'entrée de Jésus à Jérusalem reprend l'image de la prophétie.
Vous savez en effet que parmi les évangélistes, Matthieu cherche à rattacher la vie de Jésus, ses actes et ses paroles, dans l'histoire longue du peuple d'Israël. Alors que les Églises fondées par Paul comprennent Jésus comme l'envoyé de Dieu pour le salut du monde, Matthieu, lui, contrairement à Paul, veut montrer que Jésus est l'envoyé de Dieu pour le salut du peuple avant tout. Et Matthieu connaît la tradition sur le bout des doigts et il nous dit comment, selon lui, l'évangéliste, Jésus a tout fait depuis le commencement de sa vie jusqu'à sa passion pour réaliser les prophéties : si Jésus est entré à Jérusalem sur un ânon, c'est justement pour signifier à ses contemporains que la parole de Zacharie dont on attendait la réalisation est en train de devenir réalité. Selon Matthieu, Jésus aurait suivi un plan décidé de toute éternité et annoncé par les prophètes et au premier chef Michée qui avait annoncé qu'il naîtrait à Bethléem, Jésus devait donc naître à Bethléem
C'est ici partir du principe que le prophète annonce l'avenir, qu'il serait une sorte de devin qui annonce ce que l'Éternel Dieu a décidé et qui parle forcément toujours du Messie, de celui qui doit venir à la fin des temps. Jésus, au courant de sa vie, a particulièrement mis en avant les prophètes justement. Alors que ses adversaires insistaient sur la Loi de Moïse et la stricte observance de ses règles et rituels, Jésus, sans jamais renoncer à la Loi insistait sur la nécessité de la pureté du cœur et de la volonté. Pour Jésus, le respect de la loi n'avait aucun sens s'il ne s'accompagnait pas d'une volonté de justice et d'amour. Si aux actes ne correspondait pas une véritable intention de servir Dieu et son prochain, alors les actes sont vains. Tel est le message des prophètes.
Ceux-ci ne cessent de dénoncer les hypocrisies et les apparences sous lesquels les uns ou les autres prétendent être pieux et respecter la loi alors que dans leur cœur, ils ne sont que mensonges et tromperies. Les prophètes n'annoncent pas l'avenir, ils jugent leur époque et proclament la volonté de Dieu pour aujourd'hui. Et Zacharie ne déroge pas à cette règle.
Un libérateur monté sur un ânon
Au moment où il annonce l'entrée du roi dans Jérusalem, Zacharie ne pense pas du tout au Messie à venir, il ne parle pas ici de Jésus ni du Fils de l'homme. Il est bien plus concret que cela. Zacharie pense à un homme qu'il a devant lui, avec qui il chemine et dont il chante les louanges. Cet homme s'appelle Zorobabel, un nom peu connu et qui pourtant est pour Zacharie l'envoyé de Dieu. C'est lui, Zorobabel, qui au lieu d'être à la tête d'une immense armée pour conquérir la terre entre le grand fleuve, l'Euphrate et la mer méditerranée, se contente de l'humilité pour néanmoins accomplir de grandes choses, rien de moins que rebâtir Jérusalem et surtout son temple.
Jérusalem a été détruite, envahie, ravagée par les armées de l'empire de Babylone et elle n'est plus qu'une terre dévastée. Si nous voulons avoir une petite idée de ce à quoi elle devait ressembler, il nous suffit d'ouvrir nos postes de télévision et de regarder Gaza ou Marioupol, le Soudan ou Haïti. La violence l'a emporté, les forces des ténèbres l'ont emporté et tout n'est plus que pleurs et dévastation. Les déportés pleurent sur les rives de Babylone quand les rescapés, restés en Judée, pleurent sur leur misère. Tous attendent la libération, la destruction de l'ennemi et le rétablissement de la paix, le relèvement du monde. Comme nous aujourd'hui, dans un monde qui pleure et souffre, nous attendons le jour de la paix.
Et Zacharie voit ce jour arriver. Il le voit de ses yeux et il le désigne à ses contemporains mais il n'est pas dans les nuées ni dans la tempête, il n'est pas non plus dans les armes et les grandes paroles. Il vient monté sur un âne, un ânon, le petit d'une ânesse, Zorobabel qui va reconstruire la ville et le temple. Restaurer ce qui était détruit, reconstruire ce qui n'était plus qu'un souvenir.
Il suffit d'une lumière
Nous avons pour beaucoup oublié cette histoire de la reconstruction de Jérusalem. Le temps est venu pour la défaite de Babylone : cette grande puissance de terreur a été vaincue par un roi plus avisé et plus rusé, plus fort et plus juste que les derniers souverains de Babylone, ce sera Cyrus le grand roi des Perses. Dès sa victoire obtenue, Cyrus libère tous les peuples qui avaient été opprimés par les Babyloniens et parmi eux les Israélites, libres de retourner à Jérusalem, nous sommes au VIe siècle, c'est le retour d'Exil. Le livre d'Esdras nous raconte comment Zorobabel, revenu de Babylone après l'Édit de libération va lever une pierre, une simple pierre pour en faire un autel. Un tout petit geste, symbolique et sans prétention mais qui sera l'autel autour duquel tout va se reconstruire, le temple autour de l'autel, la ville autour du temple, le peuple autour de sa capitale. Et tout cela sans apparences, sans démonstration de forces ni de puissances, simplement avec les armes de la justice et la sincérité du cœur.
Bien sûr, tout ne se passe pas aussi facilement et Zacharie ne se prive pas de condamner ceux qui veulent empêcher Zorobabel de rétablir la cité tout en restant soumis aux Perses. Mais Zacharie ne voit qu'une chose, cette simplicité de l'homme qui sans bruit, sans querelle, fait seulement ce qu'il pense devoir être fait pour le bien de son peuple et pour servir son Dieu. Et l'histoire s'est répétée. D'autres empires se sont levés, d'autres souverains sont venus et toujours d'autres oppressions avec eux. Mais les paroles de Zacharie se sont répétées de générations en générations jusqu'à devenir une espérance pour aujourd'hui et pour demain : c'est à la manière de Zorobabel que le monde changera, par de petites choses sans apparences sans prétention mais qui changent tout.
Ainsi en est-il de cet enfant qui naît dans l'indifférence du monde dans cette nuit de Bethléhem et Matthieu de prendre le rôle de Zacharie, de celui qui raconte ce que signifient les gestes et les paroles de celui qui vient monté sur un ânon. Zacharie, en parlant de Zorobabel parle du libérateur qui vient et qui viendra ; Matthieu, en parlant de Jésus parle du libérateur qui est là et qui viendra.
Mais comment viendra-t-il ? Nous n'en savons ni le jour ni l'heure mais Paul le rappelle aux chrétiens qui sont à Rome : « La nuit est avancée, le Jour approche ». Et Paul enfonce le clou « dépouillons-nous donc des œuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière ». Le jour est là quand à l'exemple de Zorobabel et du Christ, nous prenons courage et osons monter sur nos ânons. Il n'est évidement pas question ici d'aller à la ferme la plus proche et prendre le premier âne disponible. Paul a expliqué ce que cela signifie de revêtir les armes de la lumière : il a donné la clef dans ce même texte : « Ne devez rien à personne, si ce n'est de vous aimer les uns les autres, car celui qui aime les autres a accompli la loi ». Voilà ce qui sépare la lumière des ténèbres et de même que nous n'avons pas besoin d'explication sur ce que sont physiquement la lumière et les ténèbres, nous pouvons ainsi comprendre ce que c'est que d'essayer de vivre sans apparences, sans aucun simulacre, sans prétention ni orgueil mais avec sincérité de cœur et de volonté.
Les petits gestes, les petits mots, les petits commencements, les petites décisions de chaque jour ont des conséquences dont on ne peut mesurer les effets. Voilà pourquoi il est essentiel d'adopter pour règle de vie ce principe essentiel de l'amour : ne pas faire de mal !
Se revêtir des armes de la lumière, c'est ne pas augmenter la détresse du monde en veillant à nos habitudes de vie, de consommation et de relations avec les autres. Je ne dis même pas à les changer a priori mais à chercher en toutes choses à rendre le monde autour de nous plus habitable, plus fraternel, plus libre et plus égal. C'est une main tendue à celui qui souffre, c'est une oreille attentive à la parole de l'autre, c'est un cœur ouvert à l'altérité et à l'inattendu.
Nul besoin d'être un saint, ni d'attendre des miracles ni de voir une étoile dans le ciel pour vivre en chrétien dans ce monde. Pour reconstruire Jérusalem, il aura d'abord fallu que Zorobabel lève sa pierre, pour inaugurer le royaume de Dieu, il aura fallu à Jésus qu'il monte sur un ânon. Pour vivre et agir en chrétiens, il nous faut nous dépouiller de nos apparences et de nos faux-semblants, de nos préventions et de nos inquiétudes, de tout ce qui nous dégrade et nous enténèbre. Il suffit d'une lumière dans une pièce pour en chasser les ténèbres. Que cette période de l'Avent soit pour nous tous le temps de l'avènement de la lumière dans nos cœurs et nos âmes.
Roland Kauffmann
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