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Roland Kauffmann

Jésus entre à Jérusalem

Roland Kauffmann, Culte des Rameaux, Guebwiller, 2 avril 2023



« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », c'est par ces paroles du psaume 118, avec lesquelles nous avons ouvert notre culte de ce matin, que la foule acclame Jésus en ce jour où il entre à Jérusalem. Il est accompagné de ses disciples mais pas seulement, une foule nombreuse le suit.


Le psaume 118 n'est pas un psaume anodin, c'est celui qui est chanté à toutes les grandes occasions et circonstances, à toutes les fêtes car il rappelle sans cesse à Israël son caractère


particulier : celui d'être un peuple perpétuellement dans l'attente. C'est en effet ce qui fait la particularité de ce petit peuple coincé entre la mer et les montagnes, coincé entre les grands empires depuis des millénaires.

Alors que les autres, tous les autres, peuvent se satisfaire de leurs fondations et de leurs réalisations, de leur prospérité et de leur puissance, Israël vit dans la nostalgie du passé glorieux, de cette belle époque des grands rois, David et Salomon qui régnaient depuis les frontières de l'Égypte jusqu'au-delà de Damas et de la Syrie. L'histoire en a décidé autrement, la corruption des descendants de David et Salomon, la force des grands empires, ont détruit la gloire et la puissance d'Israël qui n'est plus rien d'autre qu'un protectorat dominé par les païens, hier les Perses, puis les Grecs, aujourd'hui les Romains et leur règne de fer.


Alors, année après année, fête après fête, Israël répète « béni soit celui qui vient… » et découvre qu'il ne vient pas, le Messie attendu et qu'il faut toujours en attendre un autre. Se faisant, Israël découvre qu'il n'est pas le peuple d'une terre mais le peuple d'une promesse et la différence est essentielle. La terre, c'est évidement ce qu'on possède, que l'on exploite, que l'on défend à tous prix, coûte que coûte, il en va de sa dignité, de sa liberté et les Ukrainiens en payent aujourd'hui le prix. Mais si les Ukrainiens donnent leur vie pour sauver leur pays, ce n'est pas seulement pour sauver leur terre, c'est au nom d'un idéal : l'idéal européen de liberté individuelle et collective, de démocratie et de gestion partagée du bien commun, c'est-à-dire du bien public, de ce qui appartient à tous les citoyens. Ils se battent et meurent pour obtenir ce que nous leur avons promis : la liberté, la justice, la vérité. Ils se battent au nom d'une promesse.

Comprendre qu'il y a des choses plus importantes que la subsistance, la puissance ou l'impuissance, le faste des palais et des temples, c'est précisément ce qu'a appris et découvert Israël au cours de ces siècles de retrait. Ils ont découvert, à travers les prophètes, que le pays promis par Dieu était le pays de la justice et du droit et qu'il était plus important d'aimer son prochain comme soi-même que de chercher à le dominer ou à le vaincre. Ils ont découvert à travers les prophètes que le temple de Dieu n'était pas bâti de la main des hommes mais qu'il était en nous, dans notre cœur. Ils ont découvert que Dieu ne se cachait pas dans un temple ni dans les règles et les pratiques imposées par les prêtres mais qu'il se révélait dans sa parole. Et surtout ils ont découvert tout au long de ces siècles que c'est l'Esprit de Dieu qui nourrit, suscite et donne vie à l'esprit de l'homme et qu'aujourd'hui, il ne faut plus adorer Dieu ni sur une montagne, ni dans un temple, ni dans une morale mais qu'il faut rechercher la communion avec Dieu en recherchant son esprit.


Toutes ces choses que ce jeune rabbi, celui que l'on appelle Jésus, ne cesse de répéter, encore et encore parce qu'il a compris que c'est le cœur de la foi d'Israël, que c'est ainsi que la loi de Moïse sera accomplie et que la plénitude de l'amour de Dieu sera manifestée. Et ils sont nombreux ceux qui l'ont compris avec lui, ils sont derrière lui, ils sont une foule immense, celle de tous ceux qui voient en lui la réalisation de la promesse. C'est le première foule de notre histoire qui en compte trois.

Les foules se rencontrent


Il serait en effet trop facile de prendre la foule comme un bloc et de se moquer de ces gens qui adorent un jour celui qu'ils vont crucifier demain. La foule qui accueille Jésus n'est pas la même que celle qui réclamera sa mort au palais de Pilate, ce n'est pas non plus la même que celle qui insultera Jésus sur le chemin du Golgotha ni la même qui le verra ressuscité.

L'évangile nous parle d'abord de la foule nombreuse de ceux qui étaient venus à Jérusalem pour la fête de Pâques. Ces gens-là viennent aussi de tout l'empire, des frontières les plus éloignées, ils font leur pèlerinage annuel ou celui de toute une vie pour ceux qui viennent du plus loin. Ceux-là sont des curieux. Ils ont entendus parler de ce guérisseur qui se prétend aussi un peu prophète et dont on dit qu'il se fait appeler « fils de l'homme » et que certains l'appellent même « fils de Dieu », d'autres l'appellent encore « messie ». Alors ceux-là sont curieux et ils viennent là comme on irait aujourd'hui sur le passage d'une rock star, en tout cas d'un personnage. Et emportés par l'enthousiasme, ils chantent comme tout le monde et avec tout le monde « Béni soit celui qui vient… »

Et cette foule-là rencontre la première foule dont nous avions parlé, celle de ceux qui ont compris que oui la promesse est réalisée. Ceux-là ont vu la résurrection de Lazare et les choses prennent leur place : souvenez-vous, au début du ministère de Jésus, Jean le baptiste lui envoie deux de ses propres disciples pour demander à Jésus, « es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Luc 7,19). Et la réponse de Jésus était limpide « les aveugles voient, les sourds entendent » autrement dit « les gens comprennent le sens de la Loi, découvrent la force de la Grâce et vivent désormais dans la fraternité. Ils aiment désormais Dieu et leur prochain de tout leur être, de toute leur force, de toute leur pensée et de toute leur âme ».


Et ce jour-là, les deux foules se rejoignent, se mélangent, se confondent, unies dans la même espérance entre ceux qui ont côtoyé Jésus et ont eu le temps de méditer ses paraboles et sa parole et ceux qui n'en avaient jusque là que seulement entendu parler. Il faut imaginer ces mouvements de foule comme des cortèges syndicaux qui se rejoindraient et deviendraient plus forts, d'autant plus forts qu'ils reprendraient des slogans communs mais il ne faut pas oublier la troisième foule ! Celle de tous ceux qui n'en ont rien à faire en vérité de la loi de Moïse, de la Grâce de Dieu et de l'espérance d'Israël, et qui sont restés à leurs affaires, indifférents à ce qui se passe parce que préoccupés par les soucis du quotidien ou du lendemain ou simplement parce qu'il faut tout préparer pour la grande fête. Et on peut penser que ce sont les plus nombreux même si on les voit pas, que les rues sont encombrées par ceux qui chantent « voici ton roi vient…assis sur le petit d'une ânesse ».


Ceux qui n'ont rien compris

Mais à côté de la foule, Jean nous parle encore de deux groupes de personnages. D'abord les disciples qu'il nous montre d'ailleurs, fidèles à eux-mêmes, autrement dit n'ayant encore rien compris à ce que voulait Jésus. L'évangile de Jean, il faut toujours s'en souvenir, est très critique d'une manière générale envers les disciples, il ne les aime pas beaucoup et il s'en moque souvent. Peut-être parce que Jean lui-même avait une complicité particulière avec Jésus ? En tout cas les élèves de Jean continueront cette tradition et c'est pourquoi on voit dans notre récit, les disciples qui ne comprennent pas vraiment ce qui se passe au moment de l'entrée de Jésus dans la ville. Jean nous raconte que c'est seulement « après que Jésus fut glorifié » qu'ils se souvinrent, sous-entendu qu'ils ont compris.


Par contre, il y a un autre groupe de personnages qui a tout compris, ce sont les Pharisiens et ceux-là ont compris tout le danger que représente pour eux Jésus. Jusque-là, selon l'évangile de Jean, Jésus avait été un marginal, il prêchait en Galilée, là-bas de l'autre côté du lac, on dirait aujourd'hui de l'autre côté des Vosges, sous-entendu avec une nuance fortement péjorative « chez les ploucs ». Il était bien venu à Jérusalem une première fois, il y avait longtemps mais comme il avait chassé les marchands du temple (Jean 2), on savait à quoi s'en tenir et ses paroles ne circulaient pas dans les cercles du pouvoir, qu'il soit politique, religieux, ou militaire. « On peut bien laisser les simples, les « pauvres en esprit » auxquels Jésus s'adressait en priorité, écouter ses lubies, tant qu'entre gens de bonne condition, on garde la tête froide, et qu'on reste entre gens sérieux, tout va bien ».

Les Pharisiens ne sont pas nombreux, ils ne représentent pas tous les chefs du peuple, ce sont simplement les adeptes d'une école de pensée majoritaire à l'époque dans les cercles de pouvoir. Ce ne sont pas de mauvais bougres ni des impies, ni des corrompus à la solde des Romains comme on cherche parfois à le faire croire. Simplement les Pharisiens attendent, ils attendent au point qu'ils ont oublié ce qu'ils attendent et que lorsque ce qu'ils attendaient ou plus exactement celui qu'ils attendaient se manifeste, ils ne savent plus le reconnaître. Et qu'ils le perçoivent, non comme la réalisation de l'espérance mais comme une menace « voici que tout le monde est allé après lui ».


Les Pharisiens n'ont pas compris. Comme les disciples, ils n'ont pas compris que Jésus ne venait pas établir un nouveau royaume ni restaurer le culte et la loi, qu'il ne venait pas reconstruire un règne où ses disciples auraient été les chefs, autrement dit auraient pris la place des Pharisiens. Même Nicodème, un pharisien pourtant ami avec Jésus, n'avait pas compris quand Jésus lui avait expliqué que la chair et le sang ne peuvent entrer dans le Royaume de Dieu mais qu'il faut que l'homme naisse de nouveau, qu'il naisse dans l'esprit de Dieu. Le drame, c'est que la foule ne l'a pas compris non plus, elle aussi croit que c'est un roi selon les hommes qui entre dans sa capitale.

Il sera facile d'engager quelques comparses pour créer la troisième foule, celle dont l'évangile ne parle pas ici mais qui est pourtant bien présente, celle qui sera violente dans le prétoire, celle qui voudra la libération du brigand Barrabas, celle qui voudra la mort de celui qui représentait la vie nouvelle, la vie sous le regard de Dieu dans l'accomplissement de la Loi, celui qui révélait l'esprit de la Loi. Ceux qui voudront crucifier Jésus ne sont pas les mêmes que ceux qui l'honorent aujourd'hui, ceux qui l'ont suivi auraient-ils été si hypocrites que cela ?

Nous verrons en étude biblique que « l'heure vient – et c'est maintenant- où il faut adorer le Père en esprit et en vérité ». C'est dans son échange avec la femme samaritaine sur la margelle d'un puits que Jésus avait donné la clé de son royaume. Une clé trop intime pour les trois foules qui attendent un royaume de force et de puissance comme pour les Pharisiens et même pour les disciples. Une clé qui doit nous rejoindre chacun et chacune d'entre nous au plus intime de notre personnalité, une parole de grâce sur nos peines, une parole de force sur nos craintes, une parole de courage sur nos fidélités : que l'Esprit de Dieu insuffle sa vie dans notre communauté et inspire chacun et chacune d'entre nous.

Roland Kauffmann, 2 avril 2023

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