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Photo du rédacteurThierry Holweck

L'annonce de l'espérance

Dernière mise à jour : 17 déc. 2024

Fellering 8 décembre 2025 – 2e Avent





À entendre l'évangile de ce matin et cette annonce du jour où il y aura des signes dans le ciel, dans la lune et les étoiles, que tout sera bouleversé par un cataclysme universel, peut-être êtes-vous saisis d'angoisse. Alors que nous sommes dans cette période de l'Avent où nous suivons, dimanche après dimanche, le chemin des rois mages qui se rendent vers la crèche de Bethléhem après avoir été alertés par le signe d'une étoile dans le ciel, voici que Jésus lui-même, aux derniers jours de son ministère, alors qu'il est à table avec ses disciples leur parle d'un tout autre type d'étoiles.


Des étoiles qui sont ébranlées au lieu d'une étoile qui nous guide, la terreur des flots et du bruit de la mer, on croirait entendre le récit d'une catastrophe naturelle dont nous pourrions nous sauver. Une image qui devait faire écho pour les contemporains de Jésus à cette autre annonce faite des siècles auparavant par la voie du grand prophète Ésaïe, l'annonce de ce jour du retour du Seigneur. Jour de vengeance et jour de joie pour les humiliés, les vaincus de l'histoire et jour de délivrance où « la langue du muet triomphera » et où « les yeux des aveugles s'ouvriront ».


Ce texte d'Ésaïe qui annonce la venue du Messie est traditionnellement à l'honneur en cette période de l'Avent. En effet, malgré nos routines et nos habitudes de fête rituelles revenant chaque année comme une tradition folklorique, il faut nous rappeler que nous sommes dans l'attente. Non pas l'attente du sapin ou des cadeaux mais bel et bien l'attente du Messie, de celui qui vient ouvrir nos oreilles de sourds et faire sauter nos boiteux. En un mot de celui qui vient bouleverser nos existences.


Car c'est bien cet effet de bouleversement que veut produire le prophète, en utilisant de manière extrêmement poétique des mots et des concepts qui ne vont pas ensemble ou s'accordent mal. On se croirait presque dans une polyphonie moderne avec ces eaux en plein désert, ces mirages changés en étang ou encore ces roseaux là où dorment les chacals.


Autant d'images parlantes en ce temps-là pour un peuple vivant en milieu aride et désolé où la menace est permanente, que d'annoncer une steppe se couvrant de fleurs et tressaillant d'allégresse. Pourtant au moment où Ésaïe annonce ce paradis sur terre, l'heure est grave pour le peuple de Jérusalem. Les armées du grand roi d'Assyrie, Sennachérib, marchent sur la capitale du royaume de Judée. Nous sommes très exactement en 701 avant notre ère et le roi Ézéchias confiant dans l'alliance avec l'Égypte part au combat. Il sera vaincu et la ville assiégée. Les habitants de Jérusalem, cette ville qu'Ésaïe appelle « Sion » savent à quoi s'attendre. Bien des années auparavant, ces mêmes armées d'Assyrie avaient assiégé et vaincu Samarie la capitale du royaume d'Israël. Toute la population du pays a été déportée et ne reviendra jamais.


Des bruits de guerre à l'horizon


C'est en ce temps-là, temps de désolation et de désespoir que se lève Ésaie pour annoncer une folie : l'espérance. Vous lirez dans les chapitres suivants la suite de l'histoire d'Ézéchias, l'histoire de sa défaite, du siège et finalement du départ de Sennachérib à cause d'une épidémie qui ravage son armée. Cette épidémie sera racontée comme étant l'intervention miraculeuse de l'Éternel. Cette délivrance en germe n'est pourtant pas le cœur du sujet de la parole d'Ésaïe, ce n'est pas le cœur de son message.


De même que dans l'annonce de Jésus à ses disciples ou encore dans les encouragements de l'apôtre Jacques, exhortant les fidèles de son époque à prendre patience et à demeurer fermes, Ésaïe comme plus tard, Jésus et encore plus tard Jacques, n'a qu'un seul message « Fortifiez les mains languissantes, affermissez les genoux qui chancellent ». Ainsi fera Jésus : « relevez la tête », ainsi fera Jacques : « demeurez fermes ». Alors que tout s'obscurcit, que tout part à la dérive et s'effondre, la tentation est grande de renoncer à tout ce qui comptait jusqu'à présent. Alors que la menace est devant nous, pourquoi ne pas renoncer à notre liberté, à la vérité, pourquoi ne pas rejoindre le camp des vainqueurs et trahir nos convictions et ceux qui comptent sur nous ?


Voilà très certainement ce que devaient se dire, les premiers chrétiens réunis autour de Jacques, voilà ce devaient penser les disciples au soir de la mort de Jésus, voilà sans doute les sentiments des habitants de Sion quand les bruits de guerre s'approchent. Voilà peut-être ce que peuvent être nos sentiments aujourd'hui à regarder le délitement du monde et bien naïfs et fous celles et ceux qui croient encore en la vérité dans un monde où triomphe le mensonge, défendent la liberté dans une société où la raison du plus fort est la meilleure ou sont solidaires à l'époque du chacun pour soi.


Pourtant, une voix dans le désert. Une voix venue du fond des âges, qui ne cesse de résonner et dont nous trouvons les échos dans cette parole du prophète et qui continuera à vibrer avec Jésus, avec Paul, avec Jacques, avec Luther, avec Martin Luther King, avec Albert Schweitzer bien sûr : cette voix qui parle de la folie de l'espérance. Une espérance qui est plus forte que la haine ! Une espérance qui est plus forte que les ténèbres ! Une espérance qui fait resplendir les déserts et couler les fontaines.


Dans les années 1950, durant la guerre froide, alors qu'il apparaissait pour la première fois dans l'histoire de l'humanité qu'elle avait acquis la capacité de s'auto-détruire par le feu nucléaire, des fous se sont alors levés pour alerter et réclamer le renoncement à cette arme terrible. Parmi eux, Albert Schweitzer bien sûr en 1957 et 1958 par ses appels à la radio norvégienne mais aussi un philosophe peu connu aujourd'hui.


Qui connaît encore aujourd'hui Ernst Bloch ? Philosophe allemand d'une dizaine d'années plus jeune que Schweitzer (1885-1977) qui publie dans ces mêmes années 1950 en Allemagne de l'Est, un ouvrage fondamental justement intitulé Le principe Espérance1. Ce livre est né sur les décombres de l'Europe en 1918 dans une Allemagne vaincue puis en proie aux crises politiques, économiques et sociales. Déchu de sa nationalité allemande en 1935 pour sa dénonciation du nazisme, Ernst Bloch trouve refuge aux États-Unis.


Ernst Bloch est ce que l'on peut appeler un penseur de l'utopie. De cette utopie biblique qui s'exprime par la voix des prophètes, avec ces images déroutantes où sous l'action de Dieu, est tracé « un chemin, une voie , qu'on appellera la voix sainte » ; une utopie où certes c'est « l'Éternel qui libère les affranchis » mais où rien ne peut se faire si l'on ne commence pas par « fortifier les mains languissantes ! »


Vouloir et pouvoir agir


Le principe espérance, c'est l'appel de l'avenir. C'est la conviction que ce qui arrive n'est pas, n'est jamais le mot de la fin, ni de l'histoire, ni de la nature, ni de la culture, ni de la foi. Le principe espérance, c'est la conviction, la volonté de chercher ici et maintenant dans le risque et l'incertitude à répondre aux besoins des hommes et des femmes de ce temps. C'est ne pas se résigner à ce qui est, ne pas s'arrêter devant les difficultés, c'est ne pas accepter le monde tel qu'il est mais toujours prendre force et courage pour le changer, l'améliorer, le transformer dans le sens de le rendre meilleur pour le plus grand nombre possible pour plus de justice, plus de liberté et plus de solidarité pour toute l'humanité dans le respect et l'alliance avec le vivant. Autrement dit, le principe espérance, c'est la confiance en la capacité que nous avons d'agir. Alors que tout est fait pour que nous pensions n'avoir aucune prise sur le monde et la société, que notre destin se joue ailleurs et est décidé par d'autres, le principe espérance nous remet en mouvement, nous redit que nous pouvons agir, à notre mesure en faisant société, dans notre communauté, dans notre paroisse, dans notre Église et dans tous les cercles de nos existences.


C'est au nom même de cette espérance qu'Albert Schweitzer et Hélène Bresslau sont partis à Lambaréné, c'est au nom de cette capacité d'agir qu'après bien des hésitations, il s'est décidé à lancer ses appels contre la bombe. Pour Albert Schweitzer, ce que l'on appelle le « respect de la vie », n'est pas un respect des choses telles qu'elles sont mais bien au contraire, l'expression d'une volonté qui se manifeste dans ses actions. Le « respect de la vie » schweitzerien n'est pas l'acceptation des choses telles qu'elles sont mais au contraire, l'expression d'une volonté fondée sur une capacité d'agir. C'est parce que nous pouvons soigner, guérir, soulager, encourager, soutenir qu'il nous faut le vouloir.


Cette capacité d'agir est le propre de l'homme selon Ernst Bloch, elle l'est d'autant plus pour les chrétiens que nous sommes. Dans sa critique du Principe Espérance, Gabriel Vahanian, théologien qui a fait de l'utopie biblique le cœur même de sa pensée, regrette que Bloch fasse une différence entre le Dieu du Royaume à venir et le Dieu de la création alors même que les prophètes comme Ésaïe et avec eux Jésus lui-même, au contraire, placent le Royaume au cœur du monde et de la création1. Les images d'un désert florissant ont cette fonction précisément de nous rappeler que le Royaume de Dieu est là, au milieu de nous : que nous attendons toujours ce qui est déjà présent.


Ce qui demeure


C'est exactement ce que nous dit Jésus avec ces paroles énigmatiques de l'évangile de Luc : « Cette génération ne passera pas que ces choses n'arrivent. Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. » (Luc 21, 32-33). Il parle à ceux qui sont là devant lui et qui ont toutes les raisons d'être inquiets. Il sait et il le leur dit que son destin est scellé, il sait à ce moment-là qu'il va mourir, qu'à vue humaine tout est perdu. Pourtant une chose demeurera et demeure jusqu'à aujourd'hui. Jésus peut mourir, les empires peuvent se succéder et se remplacer, des choses terribles peuvent arriver, l'histoire et son flot sont le théâtre non de la gloire de l'homme mais trop souvent de son désastre, et pourtant, dans le désert, une parole ! Dans la nuit, une lumière ! Dans la détresse une espérance !


Mais pas une espérance vaine : une espérance qui est là, tout prêt, dans notre main et dans nos cœurs, dans nos pensées, dans nos paroles et dans nos actes de chaque jour. Elle est là, toute entière dans cette parole de Dieu qui fait de nous des hommes et des femmes debout parce que fondés sur une promesse et une présence. Parce que nous sommes en Christ, parce que ses paroles inspirent nos vies et nous transforment sans cesse à son image, il vit et nous vivons en lui.


Et c'est à cause de lui, parce que sa parole nous fait agir dans le monde et pour le monde, auprès de tous ceux et celles qui n'ont pas cette espérance, qu'il nous faut être, non pas des ombres fuyantes et apeurées mais au contraire des témoins. Qu'à l'écoute de la parole d'Ésaïe, nous, nul autre que nous, soyons pleinement présents au monde et dans notre société. Qu'au milieu de « la terre de la soif », nous soyons « des fontaines d'eau ». Que nos paroisses et nos Églises soient ces « emplacements pour les roseaux et les joncs là où étaient les chacals ».


Quand Ésaïe parle des « affranchis », c'est de nous qu'il parle, celles et ceux qui ont été affranchis de leurs fautes par le Christ. C'est nous qui, par la foi et l'espérance, pouvons avancer sur « ce chemin frayé pour (nous), sur cette voie sainte ». Nous qui avons été libérés, nous pouvons chanter car nous sommes « couronnés d'une joie éternelle », celle qui demeure aussi longtemps que la Parole du Christ demeure parmi nous avec toute sa richesse.


Roland Kauffmann



1 Ernst Bloch, Le Principe Espérance, [Das Prinzip Hoffnung, 1954-1959], nrf, Gallimard, tome I, Première, deuxième et troisième parties, 1976 ; tome II : Quatrième partie, 1982 ; tome III : Cinquième partie, 1991.


2 « Le Nouveau Testament est pourtant clair : à moins de naître d'en haut ou de naître à nouveau avec le Christ, tout accès à Dieu est exclu ; sans le Christ pas de Dieu et pas non plus de nature. (…) Et, certes, avec le Christ, Dieu n'est pas tellement le Dieu d'en-haut que Dieu pour nous, hic et nunc, moins même un Dieu pour demain qu'un Dieu à l'instant. - l'instant d'un destin, cette vie qu'est la nôtre. », Gabriel Vahanian. Ernst Bloch, Le Principe espérance, III : Les images-souhaits de l'instant exaucé. Traduit de l'allemand par Françoise Vuilmart. Éditions Gallimard (Bibliothèque de Philosophie), Paris, 1991. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 72e année n°4, Octobre-décembre 1992. pp. 506-508; https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1992_num_72_4_5210_t1_0506_0000_2



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