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L'inspiration pour être serviteurs à notre tour

  • Photo du rédacteur: Thierry Holweck
    Thierry Holweck
  • 16 avr.
  • 8 min de lecture

Guebwiller, Rameaux, 13 avril 2025



L'entrée du Seigneur à Jérusalem, moitié du XVIIème siècle, mosaïque dans la chapelle Palatine de Palerme, Sicile



En ce dimanche des Rameaux, nous entrons dans la période sans doute la plus paradoxale de l'année chrétienne. Paradoxe en effet que ce brusque revirement de situation que nous racontent les Évangiles, entre l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, salué par une foule immense qui voit en lui « celui qui vient au nom du Seigneur » et qui répand sur son chemin des palmiers et ce moment terrible de l'arrestation, du jugement et de l'exécution sur la croix. Deux moments où la foule, la même foule, sera aussi présente alors que seuls les disciples verront le moment décisif, celui de la résurrection.

 

Durant cette semaine décisive et particulièrement intense, Jésus vivra des moments intenses avec ses disciples. Il leur lavera les pieds, leur fera ses dernières recommandations et surtout vivra intensément. Dans l'Évangile de Jean, cette dernière semaine est particulièrement importante. Elle nous est relatée à un peu plus de la moitié de l'Évangile, au chapitre 12 sur 20. C'est dire toute l'importance que cette semaine à Jérusalem a pour Jean, l'évangéliste et ceux de son école.

 

En fait, l'évangile de Jean tourne autour de Jérusalem. Il nous raconte que Jésus est venu quatre fois dans la capitale et à chaque fois pour des fêtes. La première fois, c'était déjà pour la Pâque et ça s'était déjà mal passé. Il avait chassé les marchands du temple, et avait du fuir en Judée, certes après avoir rencontré Nicodème. C'était au début de son ministère, juste après les Noces de Cana (Jean 2). La seconde fois, c'était pour la fête des Huttes (Jean 7, 10-8,59) et là aussi, après avoir enseigné au temple, il a du s'enfuir sous les pierres (8, 59). Décidément il n'est pas le bienvenu !

 

Pourtant il y retourne une troisième fois, ce sera durant l'hiver, pendant la Fête de la dédicace (10, 22-39). Encore une fois, comme à son habitude, Jésus se promène dans le temple, il enseigne et les pierres sont prêtes à voler, il doit s'échapper. On dirait aujourd'hui qu'il cherche les ennuis. À chaque fois, évidemment, de nouveaux disciples se décident à le suivre. À chaque fois, une part du temple est réceptive à sa parole et le rejoint, là où il va. Il faut dire qu'il en profite pour faire des miracles, en changeant l'eau en vin, en ressuscitant son ami Lazare. Les gens aiment bien les faiseurs de miracles et aussi ils aiment bien les rebelles.

 

Une annonce venue de loin

 

Imprégnés de culture biblique, ils entendent dans les synagogues et dans le temple de Jérusalem, la vieille parole du prophète Ésaïe. Une parole d'imprécation contre les hypocrites, ceux qui prient Dieu à longueur de journée et laissent mourir la veuve et l'orphelin au bas des marches du temple ou encore ne cessent de lever les bras au ciel tout en se courbant devant les idoles que leurs mains ont fabriquées. C'est ainsi qu'Ésaïe s'est manifesté à Jérusalem (Ésaïe 1-2). Alors quand ils voient ce jeune homme venu de Galilée, tenir le même discours et pourtant être repoussé, chassé à coup de pierre ou menacé d'être arrêté, ils entendent encore Ésaïe et son cantique du serviteur souffrant que nous avons lu tout à l'heure (Ésaïe 50, 4-9). À force de lire et relire ces textes, rien d'étonnant à ce qu'ils fassent le lien entre Ésaïe et Jésus qui dit la même chose. Ceux qui vont le suivre sont ceux qui ont l'espérance de l'accomplissement promis, le secours viendra de l'Éternel.

 

Et les adversaires de Jésus ne s'y trompent pas. Lorsqu'il revient pour la quatrième fois, à nouveau pour la fête de la Pâque et qu'ils voient l'enthousiasme de la foule, ils voient le jugement venir sur leurs têtes. Ils font alors ce constat terrible pour eux « Vous voyez bien que vous ne gagnez rien, voici que tout le monde est allé après lui » (12, 19). Constat d'échec pour les autorités religieuses. Ils n'ont pas réussi à détourner le peuple de Jésus, il va falloir engager les grands moyens.

 

Ainsi donc l'entrée triomphale de Jésus n'est pas le signe de la versatilité de la foule, de la vanité de la foule qui se laisse aller à tous les vents. C'est le signe de sa reconnaissance, son aspiration au changement est en train de se concrétiser. Plus d'hypocrisie, plus de religion qui pèse la myrrhe et l'encens et laisse mourir les faibles et soutient les forts contre les faibles mais une promesse de vie nouvelle où les déracinés, les opprimés, les courbés pourront se redresser plutôt que de plier devant l'adversité.

 

La liesse populaire de l'entrée de Jésus à Jérusalem est le signe que le monde bouge et que les temps sont venus. C'est à ce moment là que le danger est le plus grand. Quand tout paraît réussir, c'est là que sont tapis dans l'ombre les adversaires, ceux qui regrettent déjà leur pouvoir et leur influence. La semaine sera terrible, eux le savent déjà, et Jean nous raconte cette décision qu'ils ont prise.

 

En bon littérateur, Jean nous introduit dans les bureaux secrets, dans les conciliabules de couloirs, là où les décisions sont prises. Il reconstitue les choses telles qu'il pense qu'elles ont du se passer, les discours tels qu'il imagine qu'ils ont été tenus. Il le fait à la mode de son époque et surtout il a conscience qu'il écrit pour la postérité, pour ses propres disciples, ceux qui font partie de son école. Et surtout il écrit pour nous aujourd'hui, chrétiens de notre époque qui avons choisi d'être disciples de Jésus comme ces habitants de Jérusalem qui décident de le suivre.

 

Pour nous avertir sans doute, pour nous encourager certainement.

 

Car le temps de ces évènements est loin. Pour Jean déjà qui raconte cette semaine sanglante des décennies plus tard. Pour nous encore plus qui ne voyons rien venir depuis si longtemps. On ne peut bien sûr pas entièrement se mettre dans la tête de Jean lorsqu'il écrit son évangile. On peut cependant supposer qu'il se pose la seule question qui vaille.

 

Comment être chrétien aujourd'hui ?

 

La semaine dernière, lors de l'hommage rendu à Dietrich Bonhoeffer, je vous disais que celui-ci se posait une seule question. Non pas celle de sa propre survie héroïque mais de savoir « comment la génération à venir pourrait vivre ». Tout simplement vivre ! Bonhoeffer ne pensait pas qu'aux seuls chrétiens mais à tous les Allemands. Comment pourront-ils vivre après la guerre et après la défaite, car elle viendra, il le sait.

 

Il ne fait en réalité qu'étendre à l'ensemble de la population allemande, la question qu'il se posait déjà auparavant, à savoir : « comment pouvons-nous, à notre époque, vivre en chrétiens ? »[1]. Autrement dit, comment répondre à l'appel du Christ, cet appel que nous avons entendu un jour dans le secret de notre conscience. Cette conviction que nous avons reçu lorsque nous avons compris le sens de la grâce offerte à tous les hommes et à nous en particulier, comment la faire vivre ? Comment l'incarner dans notre vie quotidienne ? Comment vivre à la hauteur de cette espérance ? Comment produire du fruit qui soit conforme aux racines que nous avons ?

 

Vous entendez à quel point cette question est intemporelle. Nous nous la posons et chaque jour nous essayons d'y trouver la réponse la plus juste, la plus libératrice, celle qui manifeste le mieux l'amour de Dieu pour notre monde. Jean et ses disciples, ceux pour qui il écrit son évangile se la posaient aussi. Et sans doute, est-ce l'une des raisons principales pour lesquelles il l'a fait. Sachant que lui-même, un des derniers témoins de la vie et des paroles de Jésus, allait disparaître, il fallait laisser son témoignage et montrer que cet événement de l'entrée de Jésus à Jérusalem disait la vérité.

 

Indépendamment de la suite désespérante à première vue, Jean nous dit que la foule de ceux qui avaient vu la résurrection de Lazare rendaient témoignage à Jésus et que le reste de la foule s'est alors ralliée à ce témoignage. Pour lui, pour Jean, raconter cette entrée est important parce qu'elle dit justement quelque chose de la suite. Elle dit la vérité de l'espérance du peuple, une espérance qui sera trahie ensuite par les chefs du peuple. En faisant cela, il explique que la foule n'est justement pas coupable. Et qu'il ne faut pas la condamner au vu de la suite des événements. Cette foule aurait porté et supporté Jésus si elle n'avait pas été elle-même victime de la manipulation.

 

Dans un contexte où les premiers chrétiens accusaient les juifs, tous les juifs, d'avoir tué Jésus, posant ainsi les racines de l'abominable antisémitisme chrétien – même si ces deux mots s'excluent l'un l'autre, il faut reconnaître qu'il a existé, et existe encore une forme d'antisémistisme propre aux Églises, Jean déclare ainsi, en montrant les manœuvres des Pharisiens, que le peuple a été abusé, a été trahi, qu'il a été victime lui-aussi.

 

Encore une fois, le parallèle avec l'Allemagne des années trente ou avec l'Amérique d'aujourd'hui peut être fait. Ni Jean l'évangéliste ni Dietrich Bonhoeffer n'ont laissé de place pour la haine ni pour le mépris de cette grande masse de la population abusée par les rêves de grandeur et de puissance qui séduisent les esprits faibles.

 

Jean nous encourage à tenir ferme, à choisir le maître que nous voulons servir, celui dont nous voulons être les disciples selon les mots du prophète. Et c'est ici que nous rejoint cet hymne extraordinaire de l'apôtre Paul dans sa lettre aux Philippiens : « ayez en vous la pensée qui était en Christ Jésus ». Dans cet ode au dépouillement et à l'incarnation, Paul ne fait pas l'apologie de la faiblesse ni de l'impuissance. Au contraire, il exalte l'élévation de Jésus, celle qui est en germe dès cette entrée à Jérusalem. Il raconte avec ses propres images le drame de cette fameuse semaine décisive.

 

« Lui qui entrait à Jérusalem, tout auréolé du prestige du prophète Ésaïe, se considérant lui-même comme le serviteur devant restaurer l'espérance des pauvres et des opprimés, abattre les idoles faites de main d'homme et relever ceux qui étaient courbés, n'a pas considéré comme une proie à arracher que d'être lui-même idolâtré par les foules. Il a pris cette condition de serviteur accablé et accusé en acceptant ce qui devait advenir, en ne réclamant pas la puissance de Dieu contre les hommes mais en acceptant la violence des hommes jusqu'à la mort, la mort sur la croix. Mais cette défaite n'est qu'éphémère apparence. En réalité, malgré sa mort, il vit. Il vit là où des hommes et des femmes se réclament de son nom et vivent de sa vie, cherchent à le suivre et à faire de ce monde, le monde qu'il a tant aimé, un monde à l'image de son royaume. Dans l'obéissance de ses disciples de tous les temps et de tous les lieux, il vit et il règne afin que le monde entier le reconnaisse à travers ce qu'en montrent ses disciples et que tous soient convaincus de sa gloire. »

 

Voilà ce que Paul voulait dire à ses lecteurs lorsqu'il leur demande d'avoir les pensées qui étaient celles du Christ, c'est-à-dire de se conformer à son esprit et d'essayer de vivre, chaque jour, dans l'obéissance à sa parole et à son exemple. Voilà le sens qu'il donne à cet événement de l'entrée de Jésus à Jérusalem, comprenant lui-même que le serviteur annoncé par Ésaïe doit renoncer à tout ce qui compte aux yeux des hommes, à tout ce qui est promis par les sociétés humaines.

 

Alors qu'il aurait pu être un maître incontesté parmi les Juifs, Paul y a renoncé au nom d'un maître plus grand que lui. Ainsi l'ont fait Albert Schweitzer et Dietrich Bonhoeffer, ainsi pouvons-nous trouver dans leur exemple l'inspiration pour être serviteurs à notre tour.



Roland Kauffmann




[1]     Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le prix de la grâce, Labor et Fides, 2009 [1937], nouvelle édition, traduction de Bernard Lauret avec la collaboration de Henry Mottu, pp. 35.

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