Guebwiller, 9 mars 2025

Fra Angelico, Les trois Maries, détail de La Résurrection du Christ, entre 1437 et 1445, couvent de San Marco, Florence
C'était donc hier le 8 mars la journée de la femme et avant-hier le 7 mars, la Journée mondiale de prière des femmes. Chaque année depuis 1887, des milliers d'Églises se réunissent donc pour prier pour l'avancement de la cause des femmes dans l'Église et dans le monde. Chaque année, c'est un autre pays qui prépare des célébrations sur un mode œcuménique, un peu comme nous le faisons pour le dimanche de prière pour l'unité des chrétiens. Et cette année, ce sont les femmes des Îles Cook, au milieu du Pacifique qui ont préparé la célébration sur la base du psaume 139, 14 « Je te célèbre ; car je suis une créature merveilleuse » que nous avons lu en introduction de ce culte.
Un verset de circonstance aussi pour un baptême tel que celui que nous célébrons ce matin et qui nous permet de réfléchir ensemble à ce qui se passe lorsque nous prononçons ces quelques paroles de bénédiction et versons quelque gouttes d'eau sur le front d'un enfant. Et c'est pourquoi j'ai choisi ce passage de la lettre de Paul aux chrétiens qui sont en Galatie pour lier ensemble ces deux questions, celle de la place des femmes dans l'Église et dans la société et celle du baptême.
À priori, vous pourriez me dire que ces deux sujets n'ont pas grand chose à voir ensemble. À moins de considérer les femmes comme étant des enfants, en tout cas des individus immatures et incapables de faire les choix qui les concernent. Une pareille idée, si elle était la mienne, provoquerait vos huées et j'aurais sans doute du souci à me faire en descendant de la chaire et vous auriez parfaitement raison.
Pourtant nos mères, nos grands-mères et certaines parmi nous se souviennent encore de ce temps pas si lointain où une femme devait demander l'autorisation de son mari pour posséder un carnet de chèque.
Ce qui nous paraît aujourd'hui une telle évidence, c'est à dire l'absolue égalité entre les hommes et les femmes, n'a pas toujours été aussi évident. Et malheureusement il est de nombreuses sociétés, aujourd'hui dans le monde, où les femmes et les filles sont considérées quasiment comme des biens meubles, vouées à la propriété des hommes autorisés à les exploiter, les échanger et à en changer à loisir. Nous qui vivons dans la France d'aujourd'hui ne devons jamais oublier ces femmes et ces filles qui vivent comme si elles étaient une sous-catégorie de l'humanité.
Nos Églises ne sont malheureusement pas totalement innocentes dans cet état de fait. Nous avons beau avoir un grand nombre de femmes pasteures, même des présidentes, c'est vrai pour notre consistoire, pour notre Union d'Église et pour l'Église Protestante Unie de France, ce fut un long processus pour en arriver là. D'autres Églises chrétiennes continuent à refuser aux femmes le ministère pastoral et toute fonction d'autorité qui s'exercerait sur des hommes. Une femme peut être abbesse d'un couvent de nonnes mais pas d'un couvent d'hommes.
Et ce n'est pas seulement l'Église catholique romaine qui est ici en cause, bien des Églises dites évangéliques n'acceptent toujours pas qu'une femme célèbre un sacrement ou prêchent l'évangile. C'est un véritable marqueur entre nous et nous devons, dans le dialogue avec nos Églises sœurs, toujours les interroger sur ce point. C'est en 1930, tout près d'ici au temple Saint-Étienne de Mulhouse qu'a été ordonnée la première femme pasteur de plein exercice dans le monde francophone. Berthe Bertch, car c'est d'elle qu'il s'agit, devait cependant s'engager à rester célibataire, comme les institutrices à l'époque. Tout simplement parce qu'on estimait qu'elle aurait eu le devoir de ne rien cacher à son mari et ne pouvait donc garder le secret pastoral. Nous rendre compte du chemin parcouru ne doit pas nous enlever la légitime fierté que notre Église réformée d'Alsace et de Lorraine ait été la première à prendre ce chemin.
Cela ne doit pas pour autant nous empêcher de regarder devant nous et de voir tout ce qui reste à faire pour nous hisser, non pas au niveau des modes de notre époque, mais au niveau requis par l'apôtre Paul, au premier siècle de notre ère. Vous voyez que nous ne sommes pas modernes dans nos revendications de l'égalité parfaite et que la modernité n'est d'ailleurs pas encore au niveau de l'Évangile.
Il est vrai que Paul souffre d'une image de misogynie en raison de certaines dispositions pratiques concernant l'ordre social d'une manière générale. Pour ne pas attirer l'attention des autorités païennes et ne pas leur donner de prétextes pour dissoudre les premières communautés si difficilement bâties, il fallait respecter les apparences et faire comme si de rien n'était.
Mais en interne, quel bouleversement !
Un bouleversement qui n'est pas dicté par des considérations pratiques. Il est vrai que les femmes étaient nombreuses autour de lui comme elles l'avaient été autour de Jésus. N'oublions pas que ce sont des femmes qui sont au pied de la croix et devant le tombeau vide. Elles ne sont pas là pour préparer les repas et s'occuper de l'organisation des communautés. Elles prêchent, elles prophétisent, elles dirigent. Tout simplement parce qu'elles ont acquis une nouvelle dignité qui supplante toutes les autres conditions naturelles, culturelles ou sociales.
Elles ont revêtu le Christ au moment de leur baptême. Elles ne sont plus des femmes soumises à leurs maris mais des personnes qui sont en Christ, exactement de la même manière que les hommes. Et cette commune condition implique une commune égalité dans toutes les tâches et responsabilité, les mêmes exigences et les mêmes droits en ce qui concerne la foi. C'est une révolution dont on ne dira jamais assez combien elle distingue la jeune Église chrétienne de toutes les autres formes de religion existantes.
Une révolution rendue possible par ce simple geste, cette simple parole dite lors du baptême. Une parole qui n'est jamais celle de celui qui célèbre le baptême mais qui est la parole de Dieu lui-même, la parole d'amour de ce Dieu qui nous aime inconditionnellement avant même que nous en ayons conscience. Et de cette parole, tous ceux qui ont été baptisés peuvent se revendiquer. Quand Paul, dit «Il n'y a plus ni hommes ni femmes », il ne mélange pas les genres. Il sait très bien qu'il y a une manière d'être humain différente selon les sexes mais il relativise ces conditions biologiques et sociales exactement de la même manière qu'il le fait entre riches et pauvres « il n'y a plus ni riches ni pauvres, ni libres ni esclaves, ni Grecs ni païens » mais Christ qui est tout en tous.
Paul ne prétend pas que cela soit vrai pour l'ensemble de la société. Le regard que porte celle-ci sur l'individu en fonction de son genre ou de sa condition sociale et juridique reste le même. Mais dans cette société nouvelle, dans cette société utopique qu'est l'Église qui se veut fidèle au Christ, il doit en être autrement. Et chacun de celles et ceux qui ont reçu cette parole de l'amour de Dieu dans le baptême peut s'en réclamer pour exercer pleinement sa place dans l'Église.
Il se peut que cette parole ne soit pas entendue, qu'elle soit oubliée ou déformée, manipulée. Il se peut que certains prétendent qu'ils sont plus égaux que d'autres. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ceux qui veulent dire que le baptême serait ceci ou cela, qu'il serait conditionné à la foi de celui ou celle qui le reçoit. On peut toujours vivre comme si de rien n'était ; comme si on n'était pas baptisé, on peut être parfaitement heureux sans l'être, le baptême ne saurait être une condition pour quoi que ce soit.
Pourtant le baptême reçu aujourd'hui par Timothée et par nous qui sommes ici aujourd'hui, s'il n'est pas une condition, s'il n'est pas une chaîne qui s'abat sur nous, est bien au contraire un signe, une attestation, celle que Dieu lui-même prononce sur nous, sans que nous n'ayons fait quoi que ce soit, ni en paroles, ni en actes, sans que nous ne puissions jamais mériter, justifier et expliquer cette grâce qui nous est faite.
Si des observateurs extérieurs étudiaient ce que nous avons vécu ce matin avec Timothée, ils pourraient penser que nous avons réalisé un rituel d'initiation apparenté à des pratiques religieuses ancestrales dont les racines plongent dans les origines même de l'humanité comme nous le raconte le récit d'Adam et Ève. Mais ils ne pourraient voir ce que nous y voyons. Ils ne pourraient comprendre qu'avec ces gestes et ces paroles, nous avons affirmé la présence du Christ dans la vie de Timothée comme dans la notre. De même que dans la cène, le Christ ne se trouve ni dans le pain ni dans le vin, il n'est pas non plus présent dans l'eau du baptême, il est présent au milieu de nous, nous qui sommes son corps.
Par le baptême nous croyons à la réalité de la présence de Dieu, ici et maintenant, pour Timothée et pour chacun et chacune d'entre nous qui croyons en lui : une présence qui se révèle au plus secret et au plus intime de notre être, d'une manière dont aucun mot ne peut pleinement rendre compte mais que le signe du baptême manifeste comme une ombre manifeste la présence de la lumière.
Que cette lumière soit toujours présente au cœur de Timothée et de nous tous.
Roland Kauffmann
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