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  • Roland Kauffmann

La Reine de Saba. 1 Rois 10, 1-13

Dernière mise à jour : 16 janv.

Épiphanie Guebwiller 7 janvier 2024


N'est-ce pas un merveilleux pas de côté au moment où nous célébrons les Rois mages, ces fameux sages venus de l'Orient, dont la tradition nous dit qu'ils se nomment Gaspard, Melchior et Balthazar ? On nous raconte depuis l'enfance que l'un serait un vieillard venu de Perse, aux cheveux blancs, l'autre serait un jeune homme aux traits asiatiques tandis que le dernier serait noir. Blanc, jaune et noir, les trois couleurs de l'humanité connue au temps du Christ, l'Amérique et ses Peaux rouges n'étant pas encore découverte, ces rois se seraient rassemblés quelque part en Orient, à la vue d'une étoile qui les aurait conduit jusqu'aux rivages de la mer, en Palestine dans ce village de Bethléhem où l'enfant vient de naître et ils lui offrent de l'or, de la myrrhe et de l'encens.


Merveilleux pas de côté quand au lieu d'un récit légendaire de ces rois venus d'Orient, notre Église nous propose de réfléchir à un autre récit, non plus d'un roi mais d'une reine ! Et quelle reine ! La plus merveilleuse, la plus belle, la plus riche et la plus intelligente que la terre ait jamais connue. Venue de ce royaume étrange, très méconnu qui aurait à l'époque du roi Salomon, couvert les deux rives de la Mer rouge, se serait étendu dans l'actuel Yémen du côté de la péninsule arabique et en Éthiopie du côté africain.


Gina Lollobrigida dans Salomon et la Reine de Saba, King Vidor, 1952
Gina Lollobrigida dans Salomon et la Reine de Saba, King Vidor, 1952

Le texte biblique ne nous en dit pas beaucoup plus sur la localisation. Les livres d'histoire ne nous disent rien de cette reine ni même de ce royaume si riche. On a bien quelques traces du royaume des sabéens au Yémen mais à une période beaucoup plus tardive. Au point que finalement seule la Bible nous raconte l'histoire de la reine de Saba et de sa romance avec Salomon. Car c'est bien d'une histoire d'amour qu'il s'agit, digne des plus grands péplums du cinéma qu'il est question. Yul Brinner et Gina Lollobrigida sont les acteurs du film réalisé par King Vidor en 1959. Mais les amours de Salomon et de la reine de Saba, qui n'a pas de nom dans notre récit, ont inspiré un autre film bien plus contemporain et bien plus recommandable. Vous le connaissez peut-être, c'est le film du réalisateur roumain Radu Mihaileanu Va, vis et deviens. Ce film nous raconte l'immigration en Israël en 1984 d'une communauté religieuse éthiopienne, les Falashas, qui sont réputés être les descendants direct de la reine et de Salomon. L'histoire éthiopienne en fait même descendre toute la famille royale jusqu'au dernier, Haïlé Sélassié , mort en 1975.


Haïlé Sélassié est devenu après sa mort une divinité pour les Rastafaris et toute la musique reggae est une ode à son retour, lui qui, parce qu'il descend de Salomon, serait donc pour eux, le véritable Fils de David, autrement dit le Messie attendu. Vous voyez à quel point notre récit de cette courte rencontre entre Salomon et cette reine merveilleuse a connu un destin culturel bien au-delà de la place qui lui est accordé dans le récit biblique. Comme une sorte de revanche, une femme qui serait chargée de la continuation de l'alliance. Vous comprenez aussi pourquoi dans les milieux les plus intégristes, qu'ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, cette reine est assimilée au diable. C'est évidemment elle qui aurait corrompu Salomon, modèle de vertu jusque là et qui après le départ de la reine se serait perdu avec des centaines de femmes étrangères. On nous dit un peu plus loin qu'il aurait eu sept cent princesses comme épouses et trois cent concubines, ce qui entraînera sa perte et la déchéance du royaume.


Mais nous n'en sommes pas encore là. Nous en sommes au moment où Salomon est encore un exemple, un modèle sinon de vertu conjugale à tout le moins de sagesse. Et c'est là que nous avons un premier élément qui tranche complètement avec les autres récits antiques, des perses, des assyriens ou des égyptiens. En effet, les égyptiens pour ne parler que des plus proches, avaient coutume de raconter leurs expéditions. On les trouve sur les obélisques et dans les palais. Notamment le palais de la reine Hatchepsout à Louxor qui raconte l'expédition qu'elle a faite au Pays de Pount en l'an 9 de son règne, pays de Pount qui est justement quelque part du côté de l'Éthiopie d'où vient notre reine de Saba.


Ce qui est extraordinaire dans notre récit, c'est que nous n'avons pas la relation d'une conquête ni de l'installation d'une relation commerciale. Ce que vient chercher la reine, ce n'est ni l'amour, ni la richesse, ni la puissance ni la gloire mais la sagesse. Et le reste viendra par surcroît, Salomon lui donnera autant de richesses qu'elle en a amené, autant d'amour qu'elle voudra mais surtout elle repartira plus riche des réponses aux innombrables questions qu'elle avait dans le cœur : Elle vint auprès de Salomon et lui dit tout ce qu'elle avait dans le cœur. Salomon lui expliqua tout ce qu'elle demandait et il n'y avait rien de caché pour le roi qu'il ne pouvait lui expliquer (10,2-3).


La sagesse, clé de compréhension du monde


Or quelle est donc cette science qui permet à Salomon de répondre à toutes les questions de la reine, sinon sa connaissance de Dieu ? Du Dieu de ses pères, de celui pour lequel il a construit un extraordinaire temple qui fait l'admiration de tous les peuples. Ce à quoi l'on assiste dans ce récit, c'est à rien de moins que la conversion de la reine qui reconnaît, non pas la puissance ni la sagesse de Salomon mais la puissance et la sagesse de celui qui a placé Salomon à la tête de son peuple : Béni soit l'Éternel (…) qui t'a placé sur le trône d'Israël ! C'est parce qu'il aime Israël qu'il t'a établi … pour que tu fasse droit et justice (10, 9).


Elle reconnaît ainsi qu'il n'y a pas de plus grande sagesse que de vivre selon le droit et la justice, et non pas n'importe quel droit et n'importe quelle justice. Non pas le droit et la justice que nous érigeons par nous-mêmes, le droit du plus fort, du plus méritant, du plus nombreux, du plus riche. Non pas la justice des puissants, de ceux qui s'arrogent tous les pouvoirs du seul fait de leur caprice et de leur position mais la justice de l'Éternel. Celle qui veut que toute l'humanité soit une, réunie dans un même projet de vie, par-delà les différences de cultures, d'histoires et de conditions, qu'il n'y ait plus ni riche ni pauvre, ni esclave ni libre, ni homme ni femme, ni faible ni puissant mais que toute homme et toute femme ait sur la terre droit à la dignité, à la liberté et à la subsistance.


La tradition juive veut en effet que la Reine de Saba aurait posé trois questions à Solomon, les trois questions qui résument tout ce qu'il faut savoir : que nul ne manque de rien de ce qui est nécessaire, le feu, l'eau, la nourriture et le vêtement, c'est la première question, celle de la subsistance autrement dit de l'économie. Que nul ne soit empêché de mettre ses talents et ses compétences au service de la communauté, c'est la seconde question, celle de la liberté autrement dit de la politique. Et que nul ne soit empêché de rechercher le bonheur pour lui-même et avec les autres, c'est la troisième question, celle de la culture et de de la foi, autrement dit de la religion. La subsistance, la liberté et la dignité, trois dimensions fondamentales que l'on peut décliner de toutes les manières, et qui sont autant de guides pour notre action dans le monde : veiller à ce que nul ne manque de rien, à ce que nul ne soit opprimé ou exploité, à ce que nul ne voit sa dignité bafouée ou son humanité niée. Autant de principes qui sont le droit et la justice et la sagesse, celle que la reine de Saba est venue trouver auprès de Salomon et qu'il nous appartient, à son exemple, de chercher auprès de celui qui est, ô combien supérieur à Salomon, en parole et en sagesse. Car vous savez bien que dans les récits bibliques, il faut toujours se demander où nous sommes nous.


Quel protagoniste de l'histoire sommes-nous ? Certainement pas Salomon, nous aurions alors la science parfaite. Il y a certes un troisième personnage dont nous n'avons pas parlé dans notre histoire, il s'agit de l'intendant Hiram dont on nous raconte que les navires ramenaient de l'or, du bois de santal et des pierres précieuses, soit dit en passant, autant de préfigurations de ce qu'amèneront les rois à la crèche. Mais Hiram est un personnage secondaire. Si nous devons ressembler à un personnage du récit biblique, que cela soit à la Reine. Nous qui vivons avec de nombreuses questions, qui cherchons toujours à savoir ce qui est bien, juste et bon, ne sommes-nous pas comme elle ? En attente de réponses. Et où pouvons-nous les trouver ? Où est le trésor de sagesse qui dit le droit et la justice, qui défend le droit à la subsistance, à la liberté et à la dignité, ailleurs que dans l'Évangile ? Dans ce texte dont nous parle l'apôtre Paul qui est comme un mystère. Mystère non pas au sens de « caché » mais au contraire au sens de révélé à tous, d'accessible à tous et de compréhensible par tous.


Aucun d'entre nous n'est à l'écart de l'évangile, il nous est révélé de la même manière qu'il a été révélé à Paul, de la même manière qu'il a été révélé à la Reine de Saba dès l'instant où nous nous approchons du Christ avec nos questions plutôt qu'avec nos réponses toutes faites et que nous nous mettons à l'écoute sincère et fidèle de sa parole. C'est alors que nous repartons comme le fait l'apôtre Paul, que nous repartons comme « serviteurs » de nos frères et sœurs de toute l'humanité pour rechercher avec eux les moyens non seulement de maintenir la vie mais de la maintenir de façon souhaitable, c'est-à-dire en cherchant à répondre aux trois énigmes de la Reine de Saba : comment faire pour que nul ne manque de rien de ce qui est nécessaire à la vie ? Comment faire pour que nul ne soit privé de sa liberté d'agir et de penser ? Comment faire pour que nul ne soit nié dans son humanité et ne soit privé de son besoin de bonheur ?


Voilà les trois questions qu'il nous faut creuser avec foi, constance et fidélité.

Roland Kauffmann

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