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thierryholweck5

La Transfiguration

Matthieu 17, 1-9 – Guebwiller 28 janvier 2024


La Transfiguration (1520), Raphaël, Musée du Vatican


« Le plus parfait de tous les tableaux qui existent », Athanase Coquerel1


1 Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. 2 Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. 3 Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui.

4 Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. 5 Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection : écoutez-le !

6 Lorsqu’ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent sur leur face, et furent saisis d’une grande frayeur. 7 Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et dit : Levez-vous, n’ayez pas peur ! 8 Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul. 9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts.


Sur une petite éminence, les trois disciples sont à terre comme foudroyés par ce qu'ils voient : Jésus en position de majesté, entouré d'une nuée lumineuse en arrière-plan et flanqué du prophète Élie à gauche et de Moïse, portant les tables de la loi, à droite. Au pied de la butte, à droite, le jeune épileptique que Jésus guérira juste après la transfiguration (Matthieu 17, 14-23), entouré de sa famille qui, sans remarquer l'événement sur l'éminence, s'adresse au groupe des disciples, à gauche. Parmi eux, deux tendent le doigt vers Jésus et les autres s'interrogent sur ce qu'il faut faire.

Les deux personnages au pied de l'arbre à gauche sont Juste et Pasteur, les patrons de la cathédrale de Narbonne, le commanditaire de l’œuvre est justement l’archevêque de Narbonne Jules de Médicis. En arrière-fond à droite, un paysage typique de l'Italie du temps de Raphaël.




Petit cours d'histoire de l'art ce matin au moment d'évoquer le récit de la transfiguration avec ce merveilleux tableau de Raphaël en parallèle du texte de l'évangile de Matthieu. C'est l'écho de notre atelier d'étude biblique, Bible en mains de jeudi dernier où nous avons travaillé à partir de ce tableau de Raphaël.


J'emploie à dessein le terme « d'atelier » pour désigner Bible en mains car, croyez bien que ce n'est pas un figure de style quand je vous dis que j'y apprends beaucoup. Non seulement par le travail préliminaire qu'il me faut faire pour comprendre le texte et vous le présenter, un travail essentiel et qui, particulièrement sur ce texte là, me conduit parfois à des intuitions tout à fait étonnantes. Au point que je peux parfois vous dire, en étude biblique, des choses qui, il y a quelques siècles, m'auraient sans doute valu la condamnation pour hérésie et qui encore aujourd'hui pourraient être mal comprises hors du contexte. Le texte biblique est d'une telle richesse que dès qu'on se met un tant soit peu à son écoute, on découvre des choses incroyables.


Mais j'apprends aussi par ce que vous dites et comment vous recevez ces textes, comment ils nourrissent votre foi et inspirent votre vie quotidienne. Là aussi, je parle à dessein de « réception ». Nous qui sommes les lecteurs de la Bible, nous ne sommes aussi le sujet. Elle parle de nous, de nos incompréhensions, de nos doutes, de nos espoirs et de nos contradictions aussi bien que de la clarté et de la vérité de notre foi et de notre vie. Elle est ombre et lumière, tumulte et paix, inquiétude et sérénité, désespoir et gloire. C'est précisément parce qu'elle est le miroir de notre humanité qu'elle nous parle.


Cette conception de la Bible comme miroir de la condition humaine n'est pas spécifiquement protestante, on la trouve déjà chez des théologiens du Moyen Âge. C'est d'ailleurs le titre de l'ouvrage ayant inspiré les vitraux du temple Saint-Étienne à Mulhouse : « Miroir du salut du genre humain ». Mais ce sont les Réformateurs qui ont redonné à la Bible cette importance. Ce faisant ils lui ont redonné une pertinence pour la vie quotidienne. C'est en raison de cette actualité de la Bible, toujours pertinente pour le lecteur de toutes les époques, que nous pouvons aujourd'hui encore y trouver une inspiration, un guide et un horizon pour nos propres existences.


C'est aussi en raison de cette fonction du récit biblique que le pasteur Athanase Coquerel, figure du libéralisme théologique du XIXe siècle s'est autorisé à qualifier Raphaël et particulièrement ce tableau de peintre protestant. Évidemment que Raphaël n'était pas protestant, il est mort en 1520 alors que le protestantisme n'en est encore qu'à ses balbutiements. Cependant Coquerel le qualifie de « protestant » parce que Raphaël s'autorise à l'interprétation du texte. C'est au nom de la liberté et de l'audace d'interprétation de l'artiste que Coquerel estime que Raphaël aurait pu être protestant s'il avait vécu plus longtemps.


En effet, vous aurez remarqué que la majeure partie du tableau est occupée par cet épisode de l'épileptique. C'est la partie basse, celle la plus directement accessible, celle qui s'impose, notamment avec le tumulte de cette famille éprouvée par la maladie que l'on qualifiait de démoniaque. Et les neuf disciples qui sont au pied du monticule, dans la diversité de leurs attitudes, sont autant d'images des sentiments d'impuissance, d'incompréhension et d'inquiétude mais aussi de confiance et d'attente du Christ. La famille de l'enfant exprime tous les sentiments de désespérance, de plaintes et de peines qui sont notre condition humaine alors que nous sommes confrontés à des situations qui nous paraissent insurmontables. L'épileptique et sa famille nous représentent lorsque nous sommes étouffés par la crainte ou par les difficultés, les misères de notre époque. Mais les disciples nous représentent également au moment où nous ne savons plus quoi faire, que nous nous agitons comme ils le font pour essayer de trouver des solutions toutes plus inutiles les uns que les autres et en même temps quand nous comprenons qu'il convient de nous attendre à celui qui est plus plus grand que nous, comme le signifie ces deux disciples dont les bras levés vers Jésus forment une magnifique ligne d'espérance.


Le tableau unit ces deux mondes, celui de l'humanité souffrante et celui de l'humanité transformée, transfigurée par celui qui vient nous relever de nos peines et nous montrer qu'une nouvelle humanité est possible, que nous avons un avenir et une espérance.


Entre les deux mondes, ces trois disciples privilégiés, que Jésus a emmené avec lui mais qui ne peuvent qu'être éblouis par ce qu'ils découvrent. Un peu comme nous le sommes lorsque nous comprenons la force de l'amour de Dieu révélé en Jésus, celui qui accomplit l'humanité dans tout ce qu'elle a de meilleur.


Car c'est cela qui est représenté dans la partie supérieure du tableau. La nuée éblouissante qui entoure Jésus et lui donne son éclat n'est autre que le rappel de la nuée qui précédait le peuple d'Israël dans le désert après la sortie d'Égypte. C'est Dieu lui-même qui est présent et donne tout son sens à la vie et au message de son Fils. C'est de cette nuée que vient la voix dont l'évangile se fait l'écho : « Celui-ci est mon fils bien aimé, en qui j'ai mis toute mon affection. Écoutez-le » autrement dit, suivez-le ! Si vous voulez savoir qui je suis, vous avez en lui l'image parfaite de l'homme tel que je le veux, dans toute la gloire que j'ai voulu pour vous, les hommes et les femmes d'aujourd'hui.


C'est ce que soulignent encore les personnages d'Élie et de Moïse : Jésus est venu accomplir toute la loi et tous les prophètes. Il l'avait dit au début de son ministère dans le sermon sur la montagne : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Mt 5, 17). Ce qu'il avait dit est maintenant réalisé et ce qui est transformé, ce n'est pas seulement Jésus mais précisément la loi et les prophètes. Toute la Bible est ainsi transformée, à reconsidéré en fonction du message de Jésus. Toute la Bible doit ainsi être comprise à l'aune du Royaume de Dieu que Jésus annonce. Et nos Réformateurs, et surtout le premier d'entre eux, Martin Luther, ne s'y sont pas trompés. Luther donnera pour règle de compréhension de la Bible qu'il faut toujours y chercher le Christ.


En se donnant la liberté de représenter en même temps deux événements distincts, la transfiguration et la guérison de l'épileptique, Raphaël se donne la liberté d'affirmer que la gloire de Dieu se manifeste pleinement dans la guérison de l'enfant, autrement dit dans la guérison de l'humanité souffrante que l'enfant représente dans toute sa douleur. Ce rapport extraordinaire entre le ciel et la terre, entre cet éclat si lumineux qu'on en est saisi de crainte et la réalité de l'humanité confrontée aux ténèbres, c'est cela que montre Raphaël et qui a dérangé les belles âmes du XIXe siècle au point que bien des critiques ont considéré ce dernier tableau réalisé par Raphaël comme étant un tableau « païen ». Ces critiques avaient bien compris le sens du tableau. Plutôt que de montrer l'aspect surnaturel du Christ, la gloire de Dieu n'a de sens que si elle s'accompagne de la guérison de l'humanité. La véritable transformation, c'est celle qui s'accomplit lorsque l'enfant est guérit. Ces critiques ne voulaient voir que le Christ, sans l'homme, et ne pouvaient admettre que Jésus est d'abord et avant tout l'homme tel que Dieu l'a voulu, tel qu'il nous veut aujourd'hui. Alors que Raphaël, en phase avec l'Évangile, nous dit que c'est l'homme, que c'est nous qui avons à être transfigurés, transformés à l'image de ce Jésus que nous reconnaissons comme notre maître.


Et cela a été très bien dit lors de Bible en mains. Vous avez reconnu ce moment où nous sommes « transformés dans notre intelligence ». Dans notre discussion, les participants à l'atelier, ont mis en avant le fait que la transfiguration évoque ce moment si particulier, si intime, où nous comprenons la parole comme étant une parole qui nous parle mais aussi ce moment où dans les situations qui sont les nôtres aujourd'hui, l'on ose parler de sa foi et de l'expérience que nous en faisons. Et les récits des uns et des autres ont été très divers. Certains ont évoqué le moment où quelque chose fait « tilt » dans notre lecture. D'autres le moment où, confronté à des questions de nos contemporains, nous osons prendre la parole pour dire notre espérance, devenant ainsi d'une certaine manière comme ces disciples qui tendent le doigt vers le Christ en gloire. D'autres encore ont placé le moment de la transfiguration au moment où nous nous écoutons les uns les autres avec un respect véritable, avec une véritable attention à l'autre et à ce qui l'occupe et le préoccupe. D'autres encore ont vu la transfiguration au moment où nos actes et nos paroles deviennent cohérents les uns avec les autres. Pour d'autre, c'est au moment où l'on fait l'expérience d'un temps de grâce et de reconnaissance pour ce que nous vivons, comme nous venant de Dieu lui-même.


Et une extraordinaire définition de la transfiguration a été donnée, c'est « devenir beau ! ». C'est tout le mouvement du texte comme du tableau : partir de l'expérience de la détresse de tout homme pour en arriver à l'expérience de la grâce qui nous transforme. Et bien plus avant, l'atelier en est venu à cette extraordinaire parole de l'apôtre Paul lorsqu'il nous dit dans sa lettre aux chrétiens qui sont à Rome « soyez transformés dans votre intelligence » (Ro 12, 12).


Ce que je ne vous ai pas dit, c'est à quel point vous aviez raison. En effet, nous avons tourné un peu autour du mot « transfiguration » et avons essayé de savoir ce qu'il signifiait et j'avais écarté, si vous vous en souvenez, le mot de « métamorphose » parce que la métamorphose évoque toujours dans nos imaginaires, dans le mien en tout cas, celle de Gregor Samsa dans la nouvelle de Kafka. Mais en allemand, métamorphose se dit « Verwandlung » tandis que Transfiguration se dit « Verklärung » et nous avons là une indication lumineuse car « Verklärung » évoque justement l'illumination, l'éclaircissement, autrement dit la révélation. Ainsi donc le récit de la transfiguration nous révèle la véritable nature du Christ, accomplissement de la lo et des prophètes, autrement dit qui est le plus profondément humain ou pour le dire à la manière d'Albert Schweitzer, la transfiguration est l'instant exact où l'on se découvre un but à l'existence et « que ce but nous l'avons aperçu (…) dans les paroles puissantes et les actes de celui qui a été grand en étant profondément, pleinement homme »1.


Or c'est à tort que j'avais écarté le mot de « métamorphose »! Parce que le verbe grec, traduit en français par « transfiguré », en anglais par « transfigured » et en allemand par « verklärt », c'est justement « μεταμορφόω », qui donne justement le français « métamorphose ». Et ce verbe, en-dehors de notre récit n'est utilisé que deux fois dans tout le Nouveau testament, et précisément dans cette phrase de Paul à laquelle vous êtes arrivés si naturellement: « soyez transformés ( μεταμορφόω) dans votre intelligence ».


Oui, la parole de Dieu nous transforme! Elle nous fait devenir autre que ce que nous sommes naturellement. Elle transforme notre façon de voir et d'agir, de nous comporter les uns avec les autres et d'envisager notre présent et notre avenir. Elle transforme le monde dans lequel nous vivons parce que nous nous y engageons pour le transformer à l'image de ce que Dieu voulait en faire, c'est-à-dire en son royaume. C'est à l'image du Christ que nous devons être transformés : « Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés (metamorphoo) en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit. » (2 cor. 3, 18).


Ainsi la transfiguration devient aux yeux des disciples et aux nôtres, la révélation du Christ dans son intention première, celle du Royaume de Dieu dont nous sommes, non seulement les témoins, mais encore les acteurs. Et elle rejoint le moment fondamental de notre conversion à l'esprit du Christ. Cet Esprit qui nous guide, nous inspire dans toutes nos réalisations. Cet Esprit que nous venons chercher dimanche après dimanche pour en vivre chaque jour de notre vie. Cet esprit que nous trouvons, jour après jour, dans la méditation de la parole de Dieu, dans la rencontre avec les autres, dans la rencontre au plus profond de notre coeur avec celui qui vient transformer, transfigurer, non seulement nos intelligences mais aussi nos existences.


Raphaël n'était certainement pas protestant comme le pensait Athanase Coquerel. Je concluerai simplement en évoquant encore une remarque de l'une des participantes catholiques de Bible en mains qui s'étonnait qu'en protestantisme nous fassions aussi référence à des oeuvres d'art. Elle pensait que nous ne tolérions pas les oeuvres pieuses comme celle-ci. C'est effectivement une idée assez répandue et elle est juste en raison de la méfiance des réformateurs envers l'art dans sa capacité à imposer une représentation au détriment du libre arbitre de celui qui regarde.


Les réformateurs craignaient également une certaine forme d'idôlatrie mais il y a toujours eu en protestantisme des portraits, non seulement de Luther et Calvin mais aussi des représentations du Christ. La principale différence entre l'art protestant et l'art catholique étant en réalité que l'art protestant s'astreint à représenter des épisodes bibliques et à s'abstenir de toute représentation des saints et toujours avec cette liberté d'interprétation qui renouvelle notre regard et notre intelligence. C'est en celà que l'art participe à notre compréhension du monde et de l'Évangile. Et particulièrement ce tableau de Raphaël qui, pour n'être pas au sens propre « protestant » aurait pu l'être et n'est certainement pas « païen » mais un magnifique témoignage de la foi de l'artiste.


Roland Kauffmann


1Lettre à Hélène Bresslau n°496 du 31/12/1910. Albert Schweitzer, Hélène Bresslau, Correspondance, présentation, traduction et notes de Jean-Paul Sorg, vol. III : 1910-1912 L'alliance, Jérôme Do Bentzinger, 2011, p. 163.

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