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  • Roland Kauffmann

Le beau combat de la joie

Dernière mise à jour : 27 juin 2023

Guebwiller samedi 24 juin 2023

Où en sommes-nous ?

Aujourd'hui, jour de fête, jour de joie, jour de réjouissances, nous aurons plaisir à nous réunir tout à l'heure dans les jardins de la paroisse pour la traditionnelle Gartafäscht qui chaque année depuis des décennies clôture d'une fort belle manière l'année scolaire et le temps des activités paroissiales. Non pas que la paroisse s'arrêterait mais elle colle au rythme social et beaucoup d'entre-nous partiront en vacances ou en famille. C'est le temps du repos, du soleil, en tout cas du changement de rythme qui n'est plus dicté par les impératifs des écoles. Et cette tradition de la Gartafäscht donne déjà un avant-goût des barbecues, des repas dans les jardins en famille dans les soirées estivales.


Où en sommes-nous donc en cette fin d'année ? Où en est notre paroisse ? Après ces années difficiles, bouleversées par la pandémie et par des tensions impossibles à supporter, comment nous portons-nous ? À cette question qui résonne aussi sèchement qu'un bilan de conseil d'administration ou une réunion de conseil de classe, une première réponse est manifeste : nous allons bien et la joie que nous éprouvons à nous retrouver nombreux pour la fête en est le signe.

Peu de gens auraient parié un kopeck sur notre paroisse il y a un an et les signes de désespérances étaient plus nombreux que les rayons de soleil. Nous étions les uns et les autres meurtris par des difficultés sans nombre, j'avais les miennes que vous connaissez à Mulhouse, vous aviez les vôtres dans la paroisse et nous avions en commun certainement d'être confrontés à une sorte d’irrationalité des situations. Ce qui nous arrivait avait bien sûr des raisons, des causes mais restait incompréhensible pour le sens commun.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment en sommes-nous arrivés à nous relever ? À reconstruire cette maison commune à laquelle nous tenons tant et à avoir du plaisir à nous y retrouver aujourd'hui ?


Ces questions me sont venues à la lecture de nos textes d’aujourd’hui. Comme nous avions un repas fraternel, j'ai cherché des textes bibliques qui parlent de repas, en-dehors évidemment du dernier repas de Jésus avec ses disciples ou des grands repas miraculeux que sont les récits de multiplication des pains. Et il s'est trouvé que demain dimanche 25 juin, nos amis luthériens célèbrent le Mémorial de la Confession d'Augsbourg et les textes que nous avons lu correspondent à cette fête typiquement luthérienne et il s'y trouve justement ce récit de la consécration du peuple d'Israël dans le livre de Néhémie.

Vous l'avez entendu : le sacrificateur Esdras invite toute l'assemblée à se lever et à aller manger des viandes grasses, à boire des liqueurs douces et à envoyer des parts du festin à la famille et aux amis. On croirait presque le tract d'invitation à notre Gartafäscht où nous aurons de telles viandes grasses et sans doute de douces liqueurs que notre époque, contrairement à celle d'Esdras nous invite certes à consommer avec modération.


Que s'est-il passé en ce temps-là à Jérusalem ? Les habitants déportés à Babylone sont rentrés. Ils sont revenus et ont reconstruit la ville telle qu'elle était, ils l'ont refondée après la grande catastrophe de l'Exil. Et ils sont conviés à une lecture solennelle de la Loi. Car bien plus que les murs et les murailles, ce sont les principes, les convictions qui soutiennent une vie en société et en communauté. Et vous les avez entendu ces habitants de Jérusalem. Ils pleurent à entendre la Loi et ce n'est pas de joie mais de remords à se dire « pourquoi ? Comment ? Qu'avons-nous fait ? Que voulons-nous faire ? ». Autant de questions bien légitimes et qui pourraient nous traverser également mais Esdras et Néhémie, les deux bâtisseurs, refondateurs de la nouvelle Jérusalem, sans perdre de temps à pleurer sur ce qui aurait pu être ou n'aurait pas dû se dérouler retournent la situation et font cesser les pleurs : « ne vous affligez pas car la joie de l'Éternel est votre force !»


Un Dieu fort ou un Dieu de joie ?

Qu'est-ce qui a fait tenir le peuple de Jérusalem ? Qu'est-ce qui nous a fait tenir, peuple de Guebwiller ? Sinon cette conviction intérieure que l'Éternel est un Dieu de joie ? À l'époque d'Esdras et Néhémie, au 6eme siècle avant notre ère, parler de la joie de Dieu était absolument inouï. Les dieux des peuples étaient lointains, capricieux et quand ils intervenaient dans la vie des humains, c'était pour leur lancer des défis, jouer avec eux et les tromper. Et quand on parlait de la force des dieux, c'était pour évoquer leur puissance, les peuples étaient puissants parce que leurs dieux étaient puissants, chacun revendiquant un dieu plus fort que celui du voisin : « un dieu fort et à bras étendu » telle est la formule.

Et c'est justement cette formule qui est inversée dans la proposition d'Esdras : il n'est plus question de puissance et de violence mais au contraire d'une joie qui est plus forte que toutes les manifestations de puissance. Et cette joie dont nous parle Esdras n'est pas béate et illuminée, elle vient nous dit le texte « car ils avaient compris les paroles qu'on leur avait expliquées ». La joie vient de la parole de Dieu qui nous touche, nous porte et nous oblige à l'action.

C'est cette joie qui nous saisit quand à la lecture d'un texte biblique difficile se produit l'étincelle de la compréhension. C'est cette joie qui nous saisit quand nous faisons ce que nous savons devoir faire parce que la Loi de Moïse, autrement dit l'évangile du Christ et notre foi exigent de nous. C'est cette joie que nous éprouvons lorsque nous vivons concrètement ces vertus dont parle Paul à son jeune disciple Timothée dans sa lettre que nous avons également lue.


Paul vient de lui parler d'une situation extrêmement conflictuelle qui a bouleversé l'Église où se trouve Timothée. Car évidemment, il ne faut pas avoir une vision idéalisée des premières Églises, elles sont traversées par des difficultés sans nombre, qui viennent de l'extérieur et de l'intérieur. Ce n'est pas seulement la société de l'époque qui est une menace mais c'est aussi à l'intérieur des Églises que naissent les dissensions et les appétits. La rivalité fait partie de l'humanité et il n'y a pas de raisons qu'elle n'existe pas dans l'Église.


La différence de l'Église

Mais ce qui fait la différence et que Paul exprime par ces mots de « beau combat de la foi » faisant écho aux paroles d'Esdras « la joie de l'Éternel est votre force », c'est que notre préoccupation n'est justement pas de l'emporter sur l'autre. Bien sûr que quand on parle de « combat », on se dit qu'il va falloir se battre, supplanter, dominer, s'imposer à l'autre avec en plus l'inexcusable excuse qu'on le fait « au nom de la foi » ce qui aura permis les pires horreurs dans l'histoire de l'Église. Quand on croit agir au nom de Dieu, d'un Dieu de colère et de puissance, on pense avoir tous les droits même les plus inhumains.


De quoi nous parle Paul ? Que demande-t-il à Timothée ? Que demande Esdras au peuple de Jérusalem ? Esdras renvoie le peuple à son fondement même. Le peuple de Jérusalem n'est pas fait que de chair et sang, il est fait d'une fidélité à une parole, à la Loi qui veut le bien et le bonheur de l'humanité parce que c'est cela qui fait la joie de l'Éternel. Et la forme que prends le « combat » chez Paul, ce n'est pas non plus ce qu'aujourd'hui on appellerait l'efficacité, le succès ou la rentabilité.

Ce qui compte pour Paul, ce sont ces choses tellement plus difficiles à vivre et pourtant tellement plus importantes que toutes les victoires que l'on pourrait remporter : « fuis la volonté de puissance mais recherche la justice, la loyauté, la confiance, la fraternité, le courage et la bonté ».

Quand dans notre vie quotidienne, personnelle ou communautaire, familiale ou professionnelle, nous parvenons à vivre ces vertus et que nous comprenons qu'elles nous viennent de notre méditation, de notre compréhension de l'évangile, lorsque nous nous découvrons transformés par la grâce et par l'Esprit, lorsqu'au lieu d'accaparer le pouvoir, les décisions, les richesses, nous partageons parce que nous avons compris en notre for intérieur que c'est cela que veut l'évangile, alors c'est la joie qui l'emporte.


Lorsque nous vivons une réelle fraternité avec des gens qui sont différents de nous et que nous découvrons un frère, une sœur, dans la foi dans quelqu'un qui pense différemment, c'est la joie qui l'emporte. Lorsque dans les difficultés, nous nous découvrons solidaires les uns avec les autres, lorsque nous nous soutenons et nous encourageons, lorsque nous nous réconfortons tout en nous rappelant à nos devoirs c'est la joie qui l'emporte. Et tout cela non pas parce que notre effort ou que nous serions meilleurs que les autres mais lorsque c'est la parole de Dieu, cette parole que nous discernons jour après jour avec intelligence, avec émotion, avec lucidité et avec exigence qui nous porte, alors oui c'est la joie qui demeure et personne ne peut nous l'enlever.

Dans les difficultés qui ont été les miennes avant de vous rejoindre, dans l'adversité qu'il m'a fallu affronter, il y a une chose que personne n'a jamais pu atteindre, c'est la joie que je trouve en l'Éternel et qui est le nom qu'avec Esdras et Paul, j'appellerai la foi. Cette même foi en Christ qui a soutenu et accompagné chacun d'entre vous à sa manière et qui aujourd'hui fonde cette communauté que nous formons. Ainsi le « bon combat de la foi » sera-t-il le « beau combat de la joie », cette joie qui naît de la foi.


Roland Kauffmann



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