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Photo du rédacteurThierry Holweck

Le courage du témoignage

Guebwiller le 10 mars 2024


Frères et sœurs en christ,


Le reniement de Pierre est l’un des rares récit raconté de manière identique dans les quatre évangiles. Il nous parle d’avertissement et de chute mais aussi de relèvement et de grâce.


Après s’être réunis, les douze et Jésus, pour prendre le repas de la Pâques, après le départ de Judas, qui s’en va pour le trahir, ils chantent les psaumes puis sortent et vont vers le mont des oliviers. À ce moment, Jésus leur annonce qu’il sera pour eux une occasion de chute ; « tu ne le sera jamais pour moi ! » s’exclament Pierre et les autres disciples. Jésus répond à Pierre « Avant qu’un coq n’ai chanté cette nuit, tu m’auras renié trois fois ». Jésus prie à Gethsémani et c’est un premier abandon des disciples qui s’endorment.


Puis c’est l’arrestation de Jésus avec le baiser de Judas et la réaction des disciples dont certains, comme Pierre, sont armés et qui tentent de défendre Jésus.

En effet, ces hommes qui ont suivi l’enseignement de Jésus, qui ont été témoins de ses miracles et qui ont confessés que Jésus est le messie, ces hommes n’ont en tête que le messie glorieux, roi d’Israël, qui va, grâce à des cohortes d’anges, venir délivrer le peuple. C’est cela leur espérance. Ils sont prêts à se battre.


Mais ce n’est pas la volonté de Dieu. Jésus se laisse lier et emmener par les gardes du temple. C’est la débandade. Marc rapporte qu’un jeune homme qui essaye de suivre la troupe qui emmène Jésus, est poursuivi et qu’il n’échappe à l’arrestation qu’en y laissant son vêtement.


Pierre suit Jésus plus discrètement. Sans doute espère-t-il une intervention miraculeuse qui renversera la situation en rendant sa gloire au messie. Jean indique qu’il n’est pas seul, un autre disciple, qui était connu du grand prêtre, l’accompagne et le fait entrer dans la maison. Une servante, la servante à la porte de la maison précise Jean, demande à Pierre « n’es-tu pas l’un de ceux-là ? » la question n’est pas hostile, mais Pierre nie et va se réchauffer auprès du feu avec les soldats et les serviteurs. Il a froid et il est certainement désemparé. Le grand prêtre Anne et les détracteurs de Jésus essayent de trouver une raison pour accuser Jésus mais sans y parvenir, sans trouver de faux témoins crédibles.

Une servante qui voit Pierre assis à la lumière du feu le fixe des yeux et dit : « Celui-ci aussi était avec lui » l’affirmation est plus menaçante. Pierre répond en jurant « je ne connais pas cet homme » et il se dirige vers le vestibule pour sortir de la maison.

Un des serviteurs du grand prêtre, qui était parent de celui à qui Pierre avait tranché l’oreille dit : « Ne t’ai-je pas vu, moi, dans le jardin avec lui ? » Alors Pierre se mis à jurer, sous peine de malédiction nous dit Matthieu : « Je ne connais pas cet homme ! » Aussitôt un coq chanta.


Selon un commentaire talmudique, la fonction du coq est de réveiller les hommes. Le coq rappelle à Pierre la parole de Jésus qui avait prévu son reniement. Dans notre texte, Jésus est témoin du reniement de son disciple. Jésus regarde Pierre. C’est autant ce regard que le chant du coq qui rappelle à Pierre ce que son maître avait annoncé. Regard intense, mais regard d’accusation ou regard de compassion pour accompagner son disciple au moment où ce dernier touche le fond de ses propres ténèbres ?

Par ce regard, c’est la dernière fois que Pierre voit Jésus avant la mort de ce dernier. Le denier souvenir que Pierre gardera de Jésus vivant sera celui de son reniement.


Alors Pierre sortit de la maison et pleura amèrement.

Dans ses larmes, Pierre a pu se souvenir de la parole que Jésus lui adressa lors du dernier repas : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne disparaisse pas tout à fait ; et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22.32)

Pierre sait maintenant, qu’il peut compter sur le tout petit bout de foi qui lui reste.

Les larmes de Pierre sont des larmes de tristesse, mais nous pouvons aussi les entendre comme des larmes de repentance. C’est parce qu’il est allé jusqu’au bout de ses limites que Pierre va pouvoir affermir ses frères.

Et ce n’est pas un hasard si c’est dans l’épitre de Pierre que se trouve le verset que nous avons lu comme volonté de Dieu : « N'ayez aucune crainte des autres et ne vous laissez pas troubler. Mais reconnaissez et honorez dans vos cœurs le Christ comme Seigneur. Tenez-vous toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous. » (1P 3.14b-15)


Justement, n’est-ce pas la crainte d’être arrêté, accusé, torturé et finalement crucifié qui a poussé Pierre à renier son maître ? Ne valait-il pas mieux pour Pierre de hisser un drapeau blanc avant que les choses ne s'aggravent pour lui ?

Le reniement est une arme particulièrement appréciée du malin. Celui qui cède n’a que les larmes de la repentance pour salut. Sinon, il n’a que le sort de Judas comme porte de sortie vers la déchéance définitive.


Ma tante, Heidi Hautval a été appelée à témoigner au procès du Docteur Dering qui s’est déroulé à Londres il y a tout juste soixante ans, du 13 avril au 6 mai 1964. Bien sûr, en 1964 j’étais trop jeune pour avoir gardé un souvenir de cet évènement, mais j’ai eu l’occasion d’échanger sur ce procès avec ma tante à l’occasion de la diffusion du téléfilm QBVII dans le cadre de l’émission « Les dossiers de l’écran » diffusé en 1976. Le Docteur Wladislaw Dering était un médecin polonais détenu comme ma tante, et affecté au bloc 10. Contrairement à elle, il a obéi aux ordres des docteurs SS en pratiquant les opérations qui lui étaient demandées dans le cadre de prétendues expérimentations médicales. Après la guerre, il se réfugie en Angleterre et poursuit sa carrière de médecin en Somalie Britannique puis à Londres. Lors de la parution du roman « Exodus » de Léon Uris, l’auteur cite un docteur « Dehring » qui aurait pratiqué 17 000 opérations sans anesthésie. Sur cette base, Dering intente un procès en diffamation à Uris.


Ma tante m’a confié qu’elle n’avait pas souhaité participer aux procès des médecins, procès tenus dans le cadre du tout nouveau droit international généré par le procès de Nuremberg, car elle ne croyait pas qu’il soit possible de juger ce qu’une personne pourrait faire ou ne pas faire dans des situations aussi exceptionnelles qu’à Auschwitz. Mais elle m’a dit avoir changé d’avis concernant le procès Dering car il ne s’agissait pas d’un procès contre Dering, il n’est pas l’accusé, mais d’une action de Dering contre les autres. Face à la perspective d’un acquittement qu’elle estime injuste, elle décide d’apporter son témoignage, tout en se sentant également responsable.


L’argument principal du docteur Dering, outre le fait qu’il remettait en cause le nombre des opération effectuées, ce que la défense de Léon Uris ne contestait pas, était d’avoir agi sous la contrainte et que s'il n'avait pas opéré lui-même, d'autres personnes sans qualification l'auraient remplacé et qu’en outre, il aurait été envoyé à la chambre à gaz, ainsi que ses malades.


Le témoignage de ma tante a montré qu’il était possible de dire non. Lors de son audition, à la question de l’avocat Lord Gardiner « Avez-vous jamais participé à une quelconque expérience du docteur Clauberg ? » elle répond « non ». Sans changer de ton, Lord Gardiner lui demande aussitôt « En conséquence, avez-vous été fusillée ? ». Ma tante esquissa un haussement d’épaules, écarta les mains, sourit et répondit tout simplement « non ». C’est à la suite de ce refus de participer aux expériences médicales qu’elle est convoquée chez le docteur Wirths qui lui demande « Vous ne voyez donc pas que ces gens sont différents de vous ? » et qu’elle lui répond, devant des témoins subalternes au docteur SS « Il y a bien ici des gens différents de moi, à commencer par vous ! ».


Au-delà de son refus, ma tante était bien consciente des risques qu’elle prenait. La doctoresse polonaise Dorota Lorska rapporte les paroles d’accueil que ma tante lui a faite : « Pour le peu de temps que nous avons encore à vivre, la seule chose qui nous reste à faire est de nous comporter en êtres humains. » Autre témoignage, celui de Geneviève Leider détenue au camp de Watenstedt, qui rapporte un face à face avec le commandant du camp, ma tante lui tenant tête en disant : « Monsieur le commandant, vous pouvez faire de moi ce que vous voudrez, mais une chose est certaine et vous le savez : de nous deux, le vainqueur ce n’est pas vous ».


« N'ayez aucune crainte des autres et ne vous laissez pas troubler. Mais reconnaissez et honorez dans vos cœurs le Christ comme Seigneur. Tenez-vous toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous. »


Au regard du droit, le Docteur Dering a gagné le procès en diffamation qu'il avait intenté contre Léon Uris, l'auteur d'Exodus, et ses éditeurs britanniques. Mais la justice est passée, en effet, l'ancien prisonnier et médecin d'Auschwitz se voit accorder le minimum légal de dommages-intérêts, c'est-à-dire un demi-penny, la plus petite pièce du Royaume ; en revanche, tous les frais du procès, évalués entre 20 000 et 25 000 livres de l’époque, sont restés à sa charge.


Ma tante estimait que « toutes les horreurs commises dans ce monde commencent avec de petits actes de lâcheté ». Quant à nous, aujourd’hui, qui avons été prévenus des risques de chute, où en sommes-nous de nos reniements ? Entre nos micros-reniements que nous pensons sans conséquences et la vie moderne qui nous incite à renier notre foi chrétienne, entre notre peur de la menace de guerre et le reniement de nos valeurs, serons-nous assez forts pour vaincre nos craintes et ne pas nous laisser troubler ?

Serons-nous toujours prêts à nous défendre face à tous ceux qui nous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en nous ?

Alors reconnaissons et honorons dans nos cœurs le Christ comme Seigneur.


Le reniement et le relèvement, la chute et le pardon sont au cœur du message chrétien.

À moi aussi il m’est arrivé de dormir alors que j’aurais dû veiller, il m’est arrivé de fermer les yeux sur une injustice, il m’est arrivé de me taire lorsque j’aurais dû rendre compte de ma foi. Quelles larmes ai-je versé ?


Alors, que je sois toujours à l’écoute des coqs qui me rappellent mes trahisons. Que la méditation des reniements de Pierre me donne le courage du témoignage.

Frédéric Hautval


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