top of page
  • Roland Kauffmann

Luc 7, 36-50, La compassion divine

Dernière mise à jour : 27 sept. 2023

Guebwiller 20 août 2023

Madeleine aux pieds du Christ PERITERIA MAGDALENE IESUS SYMO IOANES. Jésus, (nimbé d'une croix) et Jean, simplement nimbé, sont attablés chez Simon le Pharisien; Madeleine se jette aux pieds du Christ; l'audace de la pécheresse suscite l'indignation de Simon. Vitrail du XIVe siècle, temple Saint-Étienne, Mulhouse, © Saint-Étienne Réunion.

Une fois n'est pas coutume mais je vous ai fait distribuer une image en début de culte. Il s'agit de la représentation de Madeleine lavant les pieds de Jésus avec un vase de parfum, à la grande indignation du pharisien Simon. C'est ainsi qu'elle est représentée dans les vitraux médiévaux du temple Saint-Étienne de Mulhouse. Vous y voyez donc Jésus, du côté gauche et une femme couchée au pied de la table, la tête contre le pied droit d'un personnage que l'on reconnaît comme étant Jésus par le fait que sa propre tête est auréolée de rouge avec une forme en croix. C'est ainsi que les artistes du Moyen Âge représentent le Christ d'une manière générale. Au milieu de la table, un personnage qui écarte les mains en miroir inversé de celles de Jésus. Elles sont collées l'une à l'autre quand celles du Christ sont écartées dans un signe universel de bénédiction. L'image suggère ainsi que Jésus approuve ce qui se passe quand le personnage dont la légende nous dit qu'il s'appelle Simon le réprouve. Le troisième personnage à table, à droite de l'image, a les bras croisés, ce qui signifie qu'il est spectateur de l’événement. Le fait qu'il soit également auréolé le désigne comme un membre de l'entourage de Jésus.

Nous avons donc quatre personnages et la légende de l'image nous dit qu'il s'agit de Madeleine, de Jésus, de Simon et de Jean. Avec un mot particulier pour désigner Madeleine, celui de Périteria, ce qui signifie femme de mauvaise vie, débauchée, autrement dit et pour le dire crûment une prostituée. C'est d'ailleurs implicitement dit dans le texte : une femme « pécheresse ». Voilà donc une fois de plus Jésus en bien mauvaise compagnie alors même qu'il est dans la meilleure société, celle de ce pharisien Simon qui devait sans doute être un homme d'importance pour que Jésus accepte son invitation. Sans doute Simon avait-il prévu de faire de ce déjeuner une occasion d'en savoir un peu plus sur l'enseignement de ce jeune illuminé qui prône une nouvelle compréhension de la loi.

Et voilà que survient cette femme, toute en cheveux et qu'elle répand du parfum sur les pieds du jeune maître en les inondant de ses larmes et en les séchant avec ses cheveux. L'entrevue si attendue par Simon est gâchée et on ne sait ce qui l’empêche de jeter cette femme dehors. Peut-être l'attitude de Jésus justement qui se laisse faire. Ce serait manquer aux devoirs d'hospitalité que de chasser cette femme auquel son hôte accorde tant d'importance. Mais il n'en pense pas moins notre pharisien. « S'il était vraiment prophète, il saurait qui est cette femme... sous entendu, il ne se laisserait pas faire et donc puisqu'il se laisse faire, c'est qu'il ne sait pas qui elle est et donc qu'il n'est pas prophète » CQFD, fin de l'histoire et Simon n'a plus besoin d'interroger Jésus, son opinion est faite, il ne reste plus qu'à attendre la fin du repas, qu'on va d'ailleurs accélérer et ensuite aller rendre compte aux autres pharisiens qu'il n'y a rien à attendre de ce jeune hurluberlu.

C'était compter sans l'esprit d’à-propos de Jésus. Nul besoin en effet d'être devin pour imaginer quel devait être l'état d'esprit de Simon à voir cette prostituée, que peut-être Simon connaissait par ailleurs… marquer ainsi une telle forme de repentance. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans ce geste de cette femme anonyme dans le récit que nous en fait Luc. Si elle se jette ainsi à ses pieds, c'est bien qu'elle veut exprimer son remord pour sa mauvaise vie et son désir ou sa volonté, on ne sait pas trop bien à ce moment là de changer de vie.

C'est en tout cas ce que Jésus comprend immédiatement. Il sait bien, n'en déplaise à Simon qui est cette femme en cheveux. Il sait certainement aussi d'où lui vient l'argent pour ce vase rempli de parfum qui coûte la même fortune à l'époque qu'aujourd'hui. Il sait que la richesse de cette femme n'est pas honnête et pourtant il en accepte l'hommage car il ne voit pas dans la femme à ses pieds, celle qu'elle est aujourd'hui mais celle qu'elle sera demain. Il ne la réduit pas à ses actes qui la condamneraient pour l'éternité, il voit la repentante, celle qui a pris conscience aujourd'hui de la misère de sa vie malgré la fortune que cela lui rapporte et c'est à celle-ci qu'il affirme « Tes péchés sont pardonnés, ta foi t'a sauvée va en paix ».

Des paroles de bénédiction quand Simon, après avoir peut-être été client de l'anonyme n'aurait que des paroles de malédictions. Contrairement à celui-ci qui veut enfermer la femme débauchée dans un jugement définitif et sans appel, Jésus ouvre la porte du Royaume de Dieu à cette femme qui veut changer de vie. Là où le pharisien voit un être perdu et condamné, qui ne peut en rien changer car c'est sa nature qui est mauvaise, Jésus voit une personne dont les actes ne correspondent pas à la nature d'être une enfant de Dieu, aimée et restaurée dans sa réalité d'image de Dieu. Et c'est sans doute là l'un des plus grands contrastes entre l'enseignement traditionnel de la loi de Moïse et sa nouvelle compréhension qu'en fait Jésus. Et le pardon accordé à cette femme est bien plus parlant, nous en dit bien plus sur l'évangile apporté par Jésus que ne l'aurait fait une grande controverse entre lui et Simon. L'acte est bien plus fort que les paroles et cette femme, dont on apprendra plus tard et ailleurs qu'elle s'appelle Marie, qu'elle viendrait de Magdala, raison pour laquelle on l'appelle Marie-Madeleine va devenir l'une des disciples les plus sérieuses, à telle enseigne qu'on l'a retrouvera en bien des moments de la vie de Jésus, jusqu'au pied de la croix et à la porte du tombeau d'ailleurs.

L'épisode du lavement des pieds de Jésus avec un vase de parfum est fascinant tant il est exemplaire des diverses interprétations qui lui ont été données dans les évangiles eux-mêmes. Chaque évangéliste raconte l’événement mais pour Matthieu (26, 6-13) et Marc (14, 3-9), c'est une femme à Béthanie dans la maison d'un certain Simon qui est lépreux ; pour Luc (la version retenue par l'artisan verrier au temple), c'est une pécheresse anonyme dans une ville inconnue chez Simon qui n'est pas lépreux mais pharisien, c'est-à-dire membre d'une école d'interprétation moderne pour l'époque de la loi de Moïse ; tandis que pour Jean, ce n'est pas du tout une pécheresse mais nulle autre que Marie, la sœur de Lazare qu'il a ressuscité et nous sommes bien à Béthanie mais non plus chez Simon, qu'il soit lépreux ou pharisien mais chez Lazare et ses sœurs, Marthe et Marie, deux sœurs dont la réputation de piété est sans tâche.

Les débats ont été sans fin, tant chez les Pères de l'Église que pour les théologiens contemporains pour essayer de résoudre cette contradiction pour finalement arriver à une version faisant plus ou moins consensus dans les milieux conservateurs qu'il s'agirait d'une seule et même femme, appelée Marie-Madeleine (ou Marie de Magdala, la ville dont elle serait originaire). Luc garde l'anonymat de la femme pécheresse mais tout de suite après au chapitre 8, il donne le nom de Marie-Madeleine à cette femme libérée de sept démons, que certains confondent aussi avec la femme adultère.


Une confusion qui a largement dépassé le cadre biblique puisque certains en font l'amante de Jésus. Dan Brown et son Da Vinci Code ne sont pas les premiers à le faire, la tradition remonte aux évangiles apocryphes, notamment l'Évangile de Thomas, L'Évangile de Philippe et celui de Marie-Madeleine. Sans oublier que comme Énée et les Troyens vaincus, cette même Marie-Madeleine, sa sœur Marthe et son frère Lazare, auraient été contraints de prendre la mer avant de s'échouer aux Sainte-Marie de la Mer puis de mourir en Provence à la Sainte-Baume ! Autant de traditions légendaires qui soulignent la place éminente de cette Marie dans la religiosité populaire depuis les origines.


Une nouveauté de vie

Cette tradition est tellement installée au XIVe siècle que Ludolphe de Saxe, l'auteur de l'ouvrage qui a inspiré les vitraux n'a aucun besoin de rappeler les détails de l'histoire. L'épisode est si bien connu de ses lecteurs qu'il lui suffit de dire le nom de « Madeleine » pour que tout le monde comprenne mais, et c'est là qu'est toute son originalité, il s'inscrit résolument dans l'interprétation de l'évangile de Luc. Les trois autres évangiles font de l'épisode du vase de parfum répandu sur les pieds de Jésus, une anticipation de sa mort et de son embaumement. Et il aurait été cohérent pour Ludolphe de reprendre cette préfiguration de la passion.

Mais il préfère, et ce sera également l'objet des vitraux suivant, insister sur la rédemption offerte à tous les cœurs repentants, sans condition autre à ses yeux que la foi. Au-delà de l'intention théologique, le Speculum Humanae Salvationis est aussi un livre de consolation pour les désespérés, ceux qui pourraient croire que tout est fichu, qu'ils ne servent à rien et que rien ne peut plus leur permettre de reprendre pied dans l'existence et de se rendre maîtres de leur vie. Citant les sept péchés de Marie-Madeleine, dont le détail importe peu mais dont le chiffre sept indique le summum, ou l'abîme, de la dépravation et de la perdition, il en tire la conclusion de la magnanimité de Dieu dans une splendide formule : « Pour tant ne se doit desespérer nul, tant soit il grant pecheur. Car Dieu est prest de pardonner à tous vrais contritz et repentans. »


Ce n'est pas encore le salut par la grâce seule luthérien mais la compassion divine dont notre auteur se fait le témoin en est bien le prémisse.


Peu importe en réalité dans les faits le débat de savoir si cette femme anonyme dans l'évangile de Luc est bien Marie de Magdala dite Marie-Madeleine. La Tradition de l'Église, telle qu'elle s'exprime encore au XIVe siècle va dans ce sens. L'Église de Rome a identifié cette femme avec Marie de Béthanie jusqu'au Concile de Vatican II en 1965. Peu importe ces choses car nous reste la leçon de Jésus. Celle qu'il donne à Simon et d'une certaine manière à chacun d'entre nous qui pouvons être si prompts à juger et à réduire les personnes à une seule facette de leur identité, ou à les enfermer dans les mauvaises voix qui sont les leurs aujourd'hui.

Et cette leçon est résumée dans cette courte parabole « un créancier avait deux débiteurs dont la dette était différente, aucun d'entre eux n'ayant de quoi payer, il fit grâce à tous les deux, lequel l'aimera le plus ? » La réponse est évidente pour Simon comme pour nous, celui à qui il aura été remis la plus forte somme.


Si la repentance de la femme anonyme est efficace, ce n'est pas à cause de sa foi. Il y a là en effet un contre-sens qu'il faut absolument éviter. Certains, dont Ludolphe de Saxe tirent de la dernière parole du Christ à la femme « Ta foi t'a sauvé, va en paix » la conclusion que c'est la foi de la femme qui est le moyen du salut. Or Jésus dans son histoire associe clairement Simon et la femme, certes les péchés de Simon sont moins évidents que ceux de la femme mais il n'en est pas moins dans la même situation d'une nécessaire repentance. En faisant le parallèle entre ces deux débiteurs qui, tout deux sont dans l'impossibilité de régler leur dette, d'une part et Simon et la femme d'autre part, Jésus veut dire que Simon, comme la femme, est dans l'impossibilité d'obtenir son salut par ses œuvres, ses mérites, ses actions. De son point de vue, il est parfaitement juste, puisqu'il accomplit tous les rites prescrits par la Loi. Il est donc, dans son esprit, à l'abri de la colère divine et parfaitement justifié et sauvé.


Mais ce que Jésus déclare dans sa parabole, c'est rien de moins que cette insolvabilité des deux débiteurs et partant de toute l'humanité, Simon y compris. Et rien n'y fait, de même que les deux débiteurs de la parabole ne sont pour rien dans la décision du créancier de leur faire grâce de leur dette, ni Simon ni la femme anonyme n'y sont pour quelque chose dans leur salut. C'est à l'entière initiative du créancier, à l'entière initiative de Dieu, que les débiteurs voient la remise intégrale de leur dette et que Simon et la femme, et nous tous avec eux, sont pardonnés. Simon est tout autant sauvé que la femme, mais il ne le sait pas, n'en a pas conscience parce qu'à l'inverse de la femme il ne croit pas ce que dit Jésus.


« Tes péchés sont pardonnés », ce que dit Jésus à la femme anonyme est valable pour tout être humain parce que c'est Dieu qui en prends l'initiative. C'est en tout cas ainsi que l'apôtre Paul dont nous parlerons la semaine prochaine, avec là aussi une image..., a compris son message d'un salut universel. Et c'est cette compréhension qui permet à la femme anonyme de changer radicalement de vie et de devenir disciple de cet homme fondamentalement bon qui aura su voir en elle autre chose que tous les autres hommes, qu'elle ne sera plus anonyme.

Une nouveauté de vie qui est toujours possible et dont nous vivons chacun à notre manière. Ce qui nous unit dans cette assemblée, n'est-ce pas justement que notre foi nous a fait prendre conscience de la libération et de la possibilité d'une vie libre, vertueuse et au service des autres ? Alors à l'image de la femme anonyme plutôt que de Simon, aimons doublement notre Seigneur pour ce qu'il nous donne à vivre.


Roland Kauffmann

25 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page