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  • Roland Kauffmann

Notre Père, celui qui vient

Dernière mise à jour : 4 juil. 2023

Soultz, 1er juillet 2023, Le Notre Père 3

Notre Père qui es aux cieux !

Πάτερ ἡμῶν ὁ ἐν τοῖς οὐρανοῖς·

Páter hēmō̃n ho en toĩs ouranoĩs;


Que ton nom soit sanctifié 

ἁγιασθήτω τὸ ὄνομά σου,

hagiasthḗtō tò ónomá sou,


que ton règne vienne 

ἐλθέτω ἡ βασιλεία σου,

elthétō hē basileía sou,


que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

γενηθήτω τὸ θέλημά σου, ὡς ἐν οὐρανῷ καὶ ⸀ἐπὶ γῆς·

genēthḗtō tò thélēmá sou, hōs en ouranō̃ͅ kaì ⸀epì gē̃s

Comme annoncé la dernière fois, nous allons aujourd'hui entrer dans le détail des demandes du Notre Père. Il y a cependant une difficulté majeure au fait d'entreprendre des séries de prédications sur un même sujet. En effet, cela suppose au moins deux choses, c'est que l'on assiste à l'ensemble de la série et ensuite que l'on se souvienne de ce qui a été dit la fois précédente. Or nos rythmes de vies contemporains font que l'on oublie relativement vite ce que l'on a entendu. Et qu'il est donc toujours nécessaire de faire un résumé des épisodes précédents. C'est de toute façon nécessaire également pour ceux qui n'étaient pas là. C'est aussi la raison pour laquelle je publie sur notre site internet les prédications. Non pas parce que j'aurais besoin de les archiver ou de les répandre autour de moi mais pour permettre à chacun de suivre le fil de nos méditations de la Parole de Dieu, d'y revenir, de s'y référer et éventuellement d'entrer en contradiction avec ce que je dis.


Car il y a une chose essentielle dans la vie d'une communauté paroissiale telle que la nôtre, c'est le dialogue constant et régulier entre le prédicateur et les auditeurs. En protestantisme, la parole est libre et le prédicateur n'y a pas autorité pour imposer un point de vue. Toute prédication est en réalité une proposition qui n'émane pas d'un enseignant à destination d'ignorants mais d'un « serviteur de la parole de Dieu » à destination d'autres serviteurs de cette même parole.


Chacun et chacune d'entre-nous a sa propre lecture de l'évangile, sa propre pratique de lecture biblique et évidemment sa compréhension du sens et de la signification existentielle d'un texte. Et ensuite nous venons la confronter, et le terme « confronter » est ici essentiel parce qu'il signifie « mise en perspective » entre ce que nous pensons du texte et ce qu'en dit cet autre qui est en chaire. Et c'est de la mise en relation de ces deux compréhensions du même texte que peut se faire jour une sorte de polyphonie entre nous. Et ce que le prédicateur recherche n'est pas tant la qualité de sa prédication que la qualité de son auditoire et sur ce registre là, je ne peux que me réjouir de votre qualité.

Ainsi l'un d'entre vous m'a repris sur le nombre de demandes que contient le Notre Père. Je disais en effet la dernière fois, souvenez-vous, nous avions comparé les versions de l'évangile de Matthieu et celle de Luc et je vous disais que chez Luc il n'y en avait que cinq alors que Matthieu en comptait six et mon interlocuteur de me reprendre et de me dire qu'il avait appris au catéchisme de sa jeunesse qu'il y en avait sept : trois demandes autour de l'idée de Dieu et quatre autour de l'idée de l'homme. La dernière demande « ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal » pouvant justement être divisée en deux volets.

Le pasteur de sa jeunesse lui avait expliqué que trois est le chiffre de Dieu et quatre le chiffre de l'homme, trois et quatre font sept qui est le chiffre de la perfection et donc il devait y avoir sept demandes dans la prière parfaite, CQFD. C'est comme cela qu'il avait effectivement retenu ce que je vous disais lors de notre premier volet : que le Notre Père est divisé en deux parties, la première parlant de Dieu dans ses rapports avec le monde, la seconde parlant de l'homme dans ses mêmes rapports avec le monde.

C'est là un excellent moyen pour se souvenir que d'utiliser des chiffres. C'est ce que j'ai fait avec les catéchumènes pour leur apprendre les béatitudes. Ils sont huit et comme il y a huit béatitudes, chacun est le porteur d'une d'entre elle dans la récitation collective. C'est là aussi une image de ce que nous sommes les uns et les autres. Chacun et chacune d'entre nous est porteur de la Parole, en charge de sa réalisation dans la vie quotidienne, de sa concrétisation dans la vie sociale. Chacun d'entre nous est à sa manière un témoin de l'action de l'Esprit dans sa vie, de la transformation qu'opère en lui la Parole de Dieu dès lors qu'on s'attache à sa mise en œuvre.

Le Notre Père est avant tout une prière qui résume notre foi dans ce qu'elle a de plus essentielle, à savoir que Dieu et l'homme sont compatibles l'un à l'autre, sont en relation l'un avec l'autre et ne peuvent se comprendre que l'un par rapport à l'autre et oublier l'un c'est oublier l'autre. On ne peut prétendre aimer Dieu au prix de l'humanité comme on ne peut prétendre aimer l'humanité sans aimer celui qui en fonde la dignité et la liberté. Voilà le résumé des deux épisodes précédents.

Peu importe donc qu'il y ait cinq, six ou sept demandes, ce qui compte c''est d'en comprendre l'articulation et le sens et aujourd'hui, je voudrais m'attacher à la première partie, celle dite « de Dieu ». Elle se repère aisément par sa répétition du préfixe « que » sous entendu, « nous espérons que... » « nous voulons que... ». L'idée est que la chose arrive, qu'elle se produise mais pas n'importe comment. « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite, que vienne l'aurore comme l'attend le veilleur : « J’espère en l’Éternel, mon âme espère, Et je m'attends à sa parole. Mon âme compte sur le Seigneur, Plus que les gardes ne comptent sur le matin, Que les gardes ne comptent sur le matin. Israël, attends-toi à l’Éternel ! Car la miséricorde est auprès de l’Éternel, Et la rédemption est auprès de lui en abondance. » nous dit le psaume 130.

C'est cela qui est en jeu dans ces trois demandes du Notre Père. Certes il est question du « nom », du « règne », de la « volonté » mais ne manquons pas ce qui est dit dans ce tout petit mot « que ». C'est une question d'attitude, d'être dans l'attente et dans l'espérance. Ce que ces trois premières demandes ont en commun, c'est de nous désigner comme des veilleurs, comme ceux qui en attendant que leur maître revienne veillent sur le monde qui leur est confié, veillent sur celles et ceux qui dorment et sont dans la nuit alors que le veilleur sait bien que l'aurore viendra.


Mais le veilleur peut aussi être dans la peur. Il peut craindre que surgisse l'adversaire et qu'avec l'aurore viennent la catastrophe et la destruction, la disparition du monde. Mais le veilleur biblique, en tout cas celui des psaumes nous parle de pardon et de libération, de la bienveillance de l'Éternel qui ne se souvient pas de nos fautes car « sinon qui pourrait subsister ? » (Ps 130, 3). Nous vivons aujourd'hui dans ce que les historiens de l'avenir appelleront un « Âge d'angoisse » marqué par l'éco-anxiété et une certaine forme de lutte urgente pour la survie de l'humanité en tout cas sous la forme que nous lui connaissons. Les menaces sont nombreuses et réelles sur nos libertés individuelles et collectives. La lucidité oblige à regarder le monde qui nous entoure avec courage et détermination plutôt qu'avec naïveté et résignation.


Nos trois premières demandes ont en commun d'être tournées vers l'avenir et c'est certainement là qu'elles sont le plus pertinentes justement dans notre situation contemporaine. Elles nous parlent de l'avenir mais d'un avenir désirable alors même que nous sommes dans les profondeurs de l'abîme pour reprendre les paroles du psaume (130,1) et elles ont un potentiel d'espérance absolument insoupçonné.


Revenons à l'époque des premières communautés chrétiennes, celles qui se sont données cette prière comme un horizon et un ciment fédérateur. Dans quelles situations étaient-elles ? Peu importe les discussions sur la date de rédaction des évangiles de Luc ou de Matthieu ou sur la rédaction du Notre Père, ce qui compte, c'est que notre prière est apparue à une époque où le monde, du point de vue chrétien, était dans la nuit la plus profonde, dans les ténèbres de l'oppression religieuse, politique et économique que représente l'empire Romain triomphant pour les premières Églises.


C'est alors que tout paraît sombre, paraît perdu, que naît le Notre Père, la prière pour que le Royaume de Dieu vienne et remplace le Royaume des hommes, que le nom de Dieu soit sanctifié plutôt que celui de la rentabilité, de l'efficacité et de la manipulation et que soit faite la volonté de Dieu plutôt que celle des grands systèmes politiques, économiques ou idéologiques. Parce que pour les premiers chrétiennes, comme pour les veilleurs de l'ancien Israël, le Dieu auquel ils croient est toujours, non seulement un Dieu « qui vient » mais aussi un Dieu qui libère.


C'est en tout cas en ces termes que Jean en parle dans ce livre si mal connu qu'on appelle l'Apocalypse : Dieu y est qualifié de « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap. 1, 8). Il ne dit pas « qui sera » mais « qui vient » : celui qui n'est pas encore arrivé mais qui est déjà là ne serait-ce que comme un horizon qui s'approche, non pas parce que nous allons vers lui mais parce qu'il vient vers nous.

C'est ainsi une inversion radicale du temps. Ce n'est plus nous qui allons vers l'avenir mais l'avenir, Dieu, qui vient vers nous. Et pour les premiers chrétiens comme pour nous aujourd'hui, c'était une contestation du monde tel qu'il était, tel qu'il est et tel qu'il sera si nous n'y veillons pas.

Prier le Notre Père aujourd'hui et demander « Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite », c'est aussi le refus de toute résignation comme de tout conformisme. C'est dire que le monde que nous voyons et connaissons n'est pas une fatalité et qu'il n'aura pas le dernier mot. C'est une manière de se placer déjà dans la perspective de l'accomplissement, ou en tout cas de la préparation du Royaume de Dieu qui constitue le noyau de nos trois premières demandes.



Peu importe les réalités du monde contemporain, peu importe la nuit et les angoisses dans lesquelles nous pouvons être aujourd'hui, et qui sont les mêmes qui étaient déjà celles des premières Églises, ce qui importe c'est de nous placer du point de vue de la fin, non pas de la fin que nous craignons mais de la fin que nous espérons, c'est à dire de la volonté de Dieu. Le mot « volonté » vient du mot « telos », la « fin » au sens du « but ». On a pu parler il y a quelque années de « fin de l'histoire » pour dire qu'avec la chute du communisme l'histoire s'arrêtait. Or la fin au sens biblique n'est jamais un arrêt, une terminaison, mais une destination qui vient vers nous.

Il s'agit pour nous qui prions le Notre Père d'agir en toutes choses et en toutes circonstances en conformité avec ce but, avec la fin que nous espérons, autrement dit en conformité avec ce qu'est le Royaume de Dieu tel qu'il se révèle dans l'évangile : un royaume où notre liberté passe par celle des autres, où notre égoïsme devient solidarité, où notre intérêt vient après celui de celles et ceux sur lesquelles il nous faut veiller au nom de « celui qui nous aime, nous a délivré et a fait de nous un royaume pour Dieu son Père » (Ap. 1, 5-6).

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