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  • thierryholweck5

Soyons cette graine du Royaume de Dieu qui germe dans notre monde

Guebwiller 4 février 2024


La Bible serait-elle un manuel d'horticulture ? Ou de jardinage ? On pourrait le penser à lire des paraboles comme celle de ce matin ou d'autres comme celle, si bien connue du semeur qui sortit pour semer ou cette métaphore d'Ésaïe lorsqu'il compare la parole de Dieu à l'eau qui tombe du ciel et n'y retourne pas sans avoir produit son effet.


Vous aurez d'ailleurs remarqué que Ésaïe semble connaître parfaitement le cycle de l'eau. On peut aussi être surpris du fait qu'il parle de neige alors qu'il écrit en Palestine et qu'à priori on ne s'attend pas à y trouver de la neige. Sans doute que le climat du 6e siècle avant notre ère devait être sensiblement différent de ce qu'il est aujourd'hui. Il n’empêche que l'image qu'il utilise est particulièrement parlante et l'on peut remarquer qu'il ne s'arrête pas aux effets les plus directs de l'eau sur les plantes. D'une manière terriblement moderne, il extrapole : l'eau produit les plantes, les plantes produisent de la semence et du grain, dont on fait la farine avec laquelle le boulanger fait du pain. Ainsi le pain dont l'homme se nourrit vient-il directement de l'eau tombée du ciel, ainsi la vie de l'homme est-elle tributaire de ce qui lui est donné par Dieu. De même la vie de l'homme est-elle tributaire de la Parole de Dieu qui fait que la vie de l'homme ne se résume pas seulement à ses fonctions biologiques ou naturelles mais dépend de l'orientation qu'il donne à ses actes.


Une image qui sera reprise par Jésus lui-même lorsqu'il explique que « l'homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4). On le voit, que ce soit Ésaïe ou Jésus, il s'agit toujours d'ancrer les idées à partir de réalités directement et facilement compréhensibles par tout un chacun. Une métaphore, je le dis pour les plus jeunes d'entre nous, c'est lorsque l'on prend une chose pour une autre, quand on assimile une chose concrète, tangible, ici l'eau et le pain qu'elle permet, à une chose abstraite, impalpable, ici la Parole de Dieu et ses effets dans la vie dans celui qui l'écoute.


Et Jésus fait cela très souvent : il utilise des métaphores, des paraboles pour dire « telle chose que vous avez du mal à comprendre est semblable à telle autre chose que vous connaissez bien ». Ainsi le « Royaume de Dieu », réalité oh combien difficile à appréhender et à comprendre, est-il comparé à cette semence qui produit du grain et ensuite à ce grain, si petit mais qui produit un arbre plus haut que tous les autres. Il est probable qu'il fait référence à une variété de graine que nous assimilons à la moutarde mais qui ne devait pas être la moutarde que nous connaissons aujourd'hui puisque nos moutardes contemporaines ne font pas d'arbres mais des buissons.


Cet écart entre les réalités que nous connaissons aujourd'hui et celles de l'époque de Jésus est un problème mais ce n'est pas le sujet de la parabole. Qu'il s'agisse de moutarde ou d'une autre semence, on voit bien l'idée. Il s'agit de faire remarquer que cette toute petite chose, que l'on voit à peine, porte en elle une puissance de vie et qu'elle peut germer et nourrir les hommes. Qu'il s'agisse d'un grain de moutarde ou de blé, il s'agit de souligner l'écart entre ce qui est minuscule et ce qui devient majuscule. Une graine semée qui nourrit les hommes, une parole donnée qui inspire les hommes, un Royaume de Dieu qui grandit par sa force vitale. C'est cela que veut faire comprendre Jésus en utilisant cette double métaphore de la semence qui produit son fruit et de la toute petite graine qui devient immense par rapport à sa taille initiale.


Jésus n'est pas botaniste. Il n'a aucune idée de l'importance de la qualité du sol, ni de ce qu'on appelle aujourd'hui des « intrants », autrement dit tout ce qui permet de fertiliser le sol. Il faut se souvenir qu'il était charpentier et devait mieux connaître le bois et la manière de le transformer que les graines. Mais il parle à des paysans et utilise donc les codes qu'ils sont capables de comprendre. Jésus parle de manière à être compris de ceux qui l'écoutent. Il ne s'encombre pas de considérations techniques, comme l'amendement des sols, ou la présence des mauvaises herbes ou de tout ce qui peut empêcher la croissance. Il l'a fait justement ailleurs, dans la parabole du Semeur justement.


Ici, il part de la qualité propre à la graine. Elle dispose d'une énergie vitale. Elle contient toutes les potentialités de la plante, du fruit qu'elle va donner et du pain qui sera réalisé à partir de là. La graine n'a besoin de rien, sinon du sol. Sans sol, pas de plantes, sans sol, la graine ne sert à rien, elle ne donne rien. Et c'est là que la parabole devient intéressante.


En effet, vous savez que nous, ceux qui écoutent aujourd'hui la parabole, nous sommes le véritable sujet des textes bibliques. C'est de nous que parle la Bible. Elle ne se contente pas de nous parler, elle parle aussi de nous. Or où sommes-nous dans ce texte ?


Une première lecture est évidente, nous sommes le sol, la terre dans laquelle la graine, la parole de Dieu, est semée. Elle vient à nous, dans notre vie et elle va y produire ses effets. Une lecture encore confortée par le texte de l'épître aux Hébreux qui nous dit que la Parole de Dieu est comme une épée tranchante, encore une métaphore, on voit bien ce que fait une épée tranchante, elle sépare, elle coupe, elle enlève ce qui est mauvais pour ne garder que le bon. Dans cette première lecture, nous sommes donc la terre et nous recevons la parole. Et nous n'avons rien à faire ! C'est elle qui agit et qui, comme la graine va chercher sa nourriture dans le sol et va transformer le sol par l'interaction entre elle, le sol, l'air et la lumière, va transformer nos vies par sa seule efficacité.


Dès lors que nous accueillons la parole de Dieu, que nous l'écoutons et qu'elle prend racine en nous, elle ne reste pas sans effet. Sans que nous nous en rendions compte, elle nous inspire, elle nous formate, elle devient d'une manière ou d'une autre, notre environnement et notre culture. Elle nous façonne et fait de nous autre chose que ce que nous serions sans elle. Tout simplement parce qu'après avoir entendu les béatitudes ou les paroles du Christ, il n'est tout simplement pas possible de vivre comme si on ne les avait pas entendues.


La philosophe Simone Weil que vous savez être si chère à mon cœur ne disait pas autre chose lorsqu'elle utilisait la métaphore de la lumière. Elle disait que nous étions tous des enfants de lumière, nourris par la lumière du soleil qui a fait pousser les plantes qui nous nourrissent ou nourrissent les animaux dont nous nous nourrissons. Une chose vivante, placée à la lumière ou au contact de l'eau se transforme inévitablement. De même, nous qui sommes vivants, nous transformons au contact de la parole de Dieu aussi sûrement que nous nous transformons au contact de la lumière et de l'eau.


Et la force de la métaphore est justement là. La lumière et l'eau ont une action au plus profond de notre corps. L'eau s'amalgame à nos cellules, vous savez que nous sommes majoritairement composés d'eau. La lumière du soleil ne produit pas seulement des coups de soleil, elle est l'énergie vitale dont tout être vivant a besoin, ainsi la parole de Dieu est-elle cette énergie qui nous fait agir et qui s'incorpore à notre intelligence, la nourrit et la fait être meilleure.


Mais si je vous disais qu'il y avait une première lecture, vous pensez bien qu'il y en a une seconde. Une autre manière de nous situer dans le texte de l'évangile. Une lecture où nous ne serions pas la terre qui reçoit la parole de Dieu, où nous serions pas ceux qui reçoivent le Royaume de Dieu appelé à grandir en nous.


Mais si nous ne sommes pas la terre de notre parabole comme tant de commentateurs nous l'ont dit, alors où sommes-nous dans le texte ? C'est la question qu'il nous faut toujours nous poser lorsque nous lisons la Bible. Ce n'est pas seulement ce qu'elle nous apprend de Dieu et des hommes qui compte mais c'est de savoir où je suis dans le texte. Où parle-t-il de moi ? Où me parle-t-il ?


Alors oui, évidemment, je peux me comprendre comme cette terre qui reçoit l'eau, la lumière et où la graine de l'évangile doit germer pour produire du bon fruit. Mais je peux aussi me comprendre comme étant la graine du Royaume qui doit pousser, germer et produire du bon fruit dans mon environnement le plus proche. Nous qui avons entendu la parole de Dieu, avons été transformés dans notre intelligence, dans notre manière de voir le monde, nous sommes la graine du Royaume de Dieu qui doit changer le monde. Là où nous sommes, petits et faibles comme la graine de sénevé ou de moutarde, là se trouve le Royaume de Dieu. Jésus n'a pas dit que le Royaume de Dieu est fait de petites graines qui attendent sagement dans des sacs qu'arrive le grand soir mais il a dit qu'il est semblables à ces petites graines que nous sommes tous et qui doivent produire d'elles-mêmes du bon fruit, là où elles sont.


Dans une prédication consacrée justement au Royaume de Dieu, Albert Schweitzer mettait justement en avant cette dimension individuelle du Royaume de Dieu et la responsabilité qui est la notre de le faire advenir là où nous sommes car nous en sommes le germe. Albert Schweitzer ne croyait pas en une action miraculeuse de Dieu mais il croyait que le Royaume de Dieu « pourra advenir par l'action des hommes » et il continuait en déclarant : « il faut donc qu'il y ait des hommes qui croient en la venue du Royaume de Dieu, qui y pensent, l'âme remplie de son idée » et pour cela il faut « que chacun accroche son âme à une bonne cause »1.


Plus qu'une simple formule lumineuse - « accrocher son âme à une bonne cause » - comment mieux résumer ce qu'est notre mission si nous voulons être les graines du Royaume de Dieu pour nos contemporains ? La graine sans la terre n'est rien, la parole de Dieu n'est rien sans nous ! Elle ne peut prendre forme si nous ne la laissons pas croître en nous. Elle ne peut être efficace que si nous nous en faisons les porteurs, en sommes les graines.


Alors bien sûr que nous sommes tout petits, parfois dans un environnement hostile ou pour le moins difficile. Mais dès que nous nous tendons la main, dès que nous relevons celui qui a chuté, dès que nous aidons et soutenons, dès que nous accueillons et nourrissons, dès que nous agissons parce que nous avons été agis de l'intérieur, que nous devenons à notre tour graine du Royaume de Dieu parce qu'elle a germé en nous, nous faisons advenir le Royaume, ici et maintenant. Et il n'est pas besoin de grande cause. Bien sûr qu'il faut lutter contre le dérèglement climatique, lutter pour la justice sociale ou pour la défense des libertés publiques mais c'est aussi dans les petites luttes, dans les petites résistances à l'esprit de découragement et d'abandon que se trouve le Royaume.


C'est pourquoi je voudrais saluer celles et ceux qui s'engagent aujourd'hui au sein du Conseil presbytéral que nous renouvelons par les élections. Anciens ou nouveaux qui prenez cette charge, et vous aussi qui la déposez, avec le sentiment du devoir accompli et du service rendu à la communauté, vous prenez votre part et à votre manière, par votre engagement, vous contribuez à faire grandir le Royaume de Dieu. Si celui-ci ne devait se développer que dans notre paroisse, par l'attention et le dévouement que vous mettrez à remplir votre mission, ce serait déjà comme cette petite graine, de moutarde ou de sénevé peu importe, si petite et qui pourtant devient plus haute que toutes les autres et procure de l'ombre à tous ceux qui en ont besoin. Qu'ainsi soit notre paroisse ! Et à chacun et chacune d'entre-nous d'accrocher son âme à une bonne cause pour faire advenir, là où il est, le Royaume de notre Seigneur.


Roland Kauffmann



1« Que ton règne vienne », Albert Schweitzer, sermon du 12 mars 1911, dan L'Esprit et le Royaume », traduction et présentation Jean-Paul Sorg, Arfuyen, Arfuyen 2015, p. 85.

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