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Photo du rédacteurThierry Holweck

Tous, nous participons

Dernière mise à jour : 12 juil.

Installation du Conseil presbytéral, Guebwiller, 17 mars 2024





Nous y voilà donc ! À ce moment tant attendu où l'on peut dire, où je peux dire « Mission accomplie ». En effet, il y a de cela presque deux ans, la mission m'était confiée par le Conseil synodal de notre Église de venir à Guebwiller pour « assurer l'ordinaire de la vie paroissiale ». C'est en effet dans ces termes que la lettre de mission était formulée pour éviter de parler de « pacification », de « remise en ordre », de « restructuration » toutes formules que l'on retrouve plus souvent dans les conseils d'administrations des entreprises ou dans les négociations entre adversaires.


Dans sa grande sagesse, le Conseil synodal de l'époque avait absolument voulu éviter de marquer des lignes de fractures ou de souligner des difficultés existant au sein de la paroisse et menaçant son existence même. Plutôt que de « redressement » qui fait toujours penser à des « maisons de correction », il avait donc préféré parler donc « d'assurer l'ordinaire ». C'est-à-dire le fonctionnement normal d'une paroisse dans notre contexte alsacien lorrain, où les paroisses ne sont pas des clubs réunissant des copains ou des collègues ni des associations réunissant des individus fédérés par un projet commun ni des partis défendant une idéologie ni des sectes religieuse réservant aux élus les promesses du salut ici-bas et au-delà. Autrement dit nos paroisses protestantes en Alsace et Moselle ne sont ni des clubs Rotary ni l'amicale des collectionneurs de papillons ni des partis bourgeois ou populaires ni des Églises confessantes mais des « Établissements publics du culte ».


Et à ce titre, elles ont une mission essentielle et fondamentale. Elles n'existent pas pour elles-mêmes et ne peuvent être le lieu d'aucune forme d'exclusion ni de discrimination. Elles ont une mission de service public au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire d'une égalité absolue de traitement de tous conformément à la loi. Obligation nous est faite de servir nos contemporains dans toutes leurs diversités de vies et de croyances car c'est cela qui marque notre originalité dans le monde religieux actuel c'est que nous faisons pas en notre sein de différence entre « croyants » et « incroyants », « fidèles » et « infidèles » tout simplement parce que nous ne sommes pas juges de la foi des uns ou des autres. C'est à la conscience de chacun qu'il revient de se déclarer, qu'il revient d'attester ou non de sa foi.


Et cela passe par diverses formes de participation à la vie de la communauté. Et ce que propose la communauté doit justement être diversifié pour correspondre, pour offrir autant d'espaces d'expression de possibles aux diverses formes de la foi. C'est cela l'ordinaire d'une paroisse protestante en Alsace Moselle. Et parmi ces formes d'engagements le Conseil presbytéral en est une, parmi d'autres certes mais centrale. Vous avez accepté cette responsabilité et, entourés par la communauté s'engageant solidairement avec vous, vous vous êtes engagés à l'exercer avec intelligence, humanité et piété. Rien d'extraordinaire à cela, rien que de l'ordinaire de nos paroisses et pourtant c'est extraordinaire !


À l'image de cette première Église qui nous est décrite dans le livre des Actes des apôtres. Nous sommes tout au début de notre histoire, au jour de la Pentecôte, et Luc nous raconte qu'en un seul jour plus de trois mille personnes ont été bouleversées par l'Esprit de Dieu et ont constitué la première assemblée. Et quelle assemblée, quelle effervescence, combien de prodiges et de signes, ils sont au temple toute la journée en une foule nombreuse et bigarrée, mais non content d'occuper l'esplanade du temple de Jérusalem, c'est dans leurs maisons qu'ils continuent à partager le pain et le vin, à débattre des textes bibliques et à s'interpeller réciproquement sur la venue du Christ, de la survenue de l'Esprit dans le monde et à mettre tous leurs biens en commun persuadés que le monde qu'ils connaissent va bientôt disparaître et que plus rien d'autre que Dieu n'a d'importance. Extraordinaire première Église, si souvent citée en exemple comme un idéal qu'il nous faudrait atteindre à nouveau pour être fidèles à la foi de nos pères. Et pourtant, comme tous les modèles parfaits, cette première Église nous désespère, car nous en sommes si éloignés. En effet, comment nous comparer, nous pauvre Église d'Alsace à Guebwiller, à cette assemblée à laquelle « le Seigneur ajoutait chaque jour ceux qui étaient sauvés » ? Alors que nous sommes toujours dans la nostalgie des assemblées nombreuses de nos enfances, la réalité d'aujourd'hui nous paraît si pauvre et faible.


Voilà l'ordinaire de nos paroisses, voilà le cadre où vous exercerez votre ministère de conseiller presbytéral. Entre cette nostalgie d'un passé forcément glorieux et la crainte d'un avenir en berne, comme s'il était inéluctable d'aller vers un rétrécissement des choses. Voilà qui est peu enthousiasmant, qu'êtes-vous donc allés faire dans cette galère d'un avenir incertain ? Pourquoi ne pas être tranquillement restés chez vous en attendant que les choses se passent ? On peut se poser la question !


Cette image d'une assemblée idéale, loin de nous désespérer, doit à l'inverse nous inspirer. Je ne veux pas dire par là qu'il faudrait nous attendre aux trois mille personnes dans un avenir proche et à une remontée en flèche des Églises, ce serait illusoire et mensonger. La déconstruction actuelle est si bien engagée qu'il sera difficile de l'inverser mais il y a dans notre texte un grand nombre de raisons d'espérer et de s'engager. D'abord, vous avez entendu Jérémie, le grand prophète de la catastrophe qui ne manquera pas d'arriver. Au moment d'être appelé par Dieu, il commence par dire qu'il est incapable de s'exprimer et de faire ce que Dieu lui demande de faire. C'est dans nos faiblesses que se manifeste l'esprit de Dieu, celui qui nous porte et nous emporte au-delà de ce que nous imaginons. Si, en tant que conseillers, individuellement et collectivement, vous recherchez humblement et sérieusement l'esprit de Dieu, il vous donnera les forces, les mots et les capacités de faire face à ce qui ne manquera pas d'arriver.


Ensuite, vous avez entendu l'apôtre Paul dans sa description du corps du Christ et des diverses fonctions qui l'animent, des dons qui le font vivre. Et c'est cela qui est important : vous n'êtes pas seuls ! Non seulement l'esprit de Dieu est et sera avec vous mais aussi les membres de la communauté. Ce n'est de loin pas le Conseil seul qui est en charge de la vie et de la dynamique d'une paroisse mais ce sont toutes celles et ceux qui y participent activement par l'animation des groupes, écoles du dimanche, tricot, Bel-Automne, bientôt club littéraire et café convivial. La force et la vie d'une paroisse est aussi due à ceux qui la soutiennent financièrement et marquent par là leur attachement à un témoignage évangélique qui soit pertinent dans notre société moderne.


Votre rôle de conseiller n'est pas de conseiller le pasteur. Ce n'est pas le pasteur qui dirige la paroisse, en acceptant de recevoir des conseils qu'il suit ou non. Vous n'êtes pas les conseillers du pasteur comme on pouvait être conseiller du roi. Non ! Vous êtes les représentants de toute l'assemblée dans toutes ses diversités et ses richesses et vous aurez à être attentifs à ses faiblesses. Vous aurez à encourager des initiatives, à corriger des modes de fonctionnement, à consoler des éprouvés, à manifester des solidarités en interne et en externe. Vous êtes le conseil de la paroisse, le pasteur que je suis doit vous rendre des comptes de son action de même que vous avez à rendre des comptes à la paroisse qui vous a mandaté pour la diriger. Pour cela, il vous faudra faire preuve d'écoute, d'attention à l'autre pour discerner l'essentiel de l'accessoire.


Vous savez comme j'aime les vieux mots et celui de « discernement » en est un beau. Il s'agit de faire en toutes circonstances, la part des choses entre ce qui est requis par l'Évangile, ce à quoi il nous oblige et ce qui est de l'ordre du passager et du particulier, du contexte. Et discerner ne signifie pas « rejeter », « exclure », « refuser » mais « organiser », « donner des ordres de priorité ». Et pour le dire avec des mots modernes, il s'agit « d'empouvoirer » ce qui est bon et utile pour la communauté. Ce néologisme « empouvoirer » que vous ne trouverez pas dans vos dictionnaires vient directement de l'anglais « empowerement » qui désigne la capacité d'un individu ou d'un groupe d'individu à prendre en main sa destinée et à agir efficacement dans le sens de ses idées et de ses intérêts. C'est cela que nous avons fait dans ces derniers mois avec le Conseil presbytéral sortant auquel il faut rendre un hommage vibrant. Nous remercierons tout à l'heure Anne, Catherine et Martin qui nous quittent mais Chantal, Claire, Delphine et Nathanaël, vous avez, avec eux tenu bon dans les difficultés et vous avez avec eux rendu à la paroisse sa capacité d'agir et de reprendre son destin en mains. Vous l'avez « empouvoirée ».


Et c'est à cela que vous allez désormais participer, vous qui rejoignez le Conseil. Cyprien, Danièle, Perrine et Thierry, chacun avec vos compétences, vos forces et vos faiblesses, votre intelligence, votre foi et votre courage. Les temps à venir ne seront pas faciles, ni pour notre paroisse ni pour la société dans son ensemble mais pensez-vous qu'ils allaient être faciles pour cette fameuse première Église du livre des Actes ? Ils étaient en réalité, même si ils l'ignoraient, à l'aube de plusieurs décennies de troubles, de persécutions et de guerres. Et ce qui leur a permis de tenir, comme cela doit aussi aujourd'hui nous permettre d'affronter l'époque et de construire l'avenir, c'est encore une fois un vieux mot, un vieux verbe que l'on oublie si souvent dans notre époque de renoncements.


« Ils persévéraient » ! Voilà ce vieux mot oublié de persévérance, avec toute sa dimension d'effort et d'endurance, de patience et de confiance. Persévérer, c'est exercer une volonté, affirmer cette volonté, cette recherche opiniâtre de ce qui est bon, c'est résister, c'est tenir, c'est ne jamais renoncer, ne jamais se résigner, c'est vouloir vivre et plus que vivre, c'est vouloir être ce que l'on a décidé d'être. Or nous le savons, pour persévérer dans son être, un organisme vivant, et une paroisse est un organisme vivant, a besoin d'énergie, autrement dit de nourriture.


D’où vient l'énergie de notre paroisse comme de la première Église que nous décrit Luc ? Ils ne persévéraient pas pour le plaisir de persévérer mais parce qu'ils recherchaient cette communion avec le Christ qui est l'anticipation du Royaume de Dieu. Et ils persévéraient comme nous le faisons encore aujourd'hui dans l'enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. Autrement dit la communauté que nous formons, dans son ensemble jusqu'en chacune de ses parties, la paroisse, le conseil mais aussi chacun et chacune d'entre nous pourra persévérer en se nourrissant, c'est-à-dire en trouvant sa joie et sa force, son énergie et son inspiration dans la Parole de Dieu, par la fraternité et la solidarité avec les autres ainsi que dans une recherche constante de la volonté de Dieu pour nous et pour le monde que nous sommes appelés à servir.


Voilà votre, ou plutôt notre programme, à nous tous, pasteur, conseil et communauté et chacun d'entre-nous. Voilà l'ordinaire d'une paroisse ordinaire d'une Église ordinaire et pourtant n'est-elle pas extraordinaire notre paroisse ? Et c'est à cet extraordinaire que tous, chacun à sa place, nous participons.


Roland Kauffmann

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