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Un engagement pour la paix

Alors que la guerre est redevenue une réalité et que ses mots - "économie de guerre" - "réarmement démographique" - envahissent nos espaces médiatiques et communs, la dernière livraison des Études Schweitzeriennes (automne 2023 n°14) est particulièrement bienvenue pour reprendre la mesure des choses.


Le professeur Matthieu Arnold y revient sur les fondements théologiques qui motivent l'engagement inconditionnel pour une paix universelle de celui qui n'hésitera pas à mettre en jeu les soutiens politiques et financiers de son action à Lambaréné. C'est dans ses prédications d'avant la première guerre mondiale que Schweitzer développe déjà les grands principes qui seront, d'une certaine manière, sécularisés dans ses interventions en faveur du renoncement unilatéral à l'arme nucléaire. La réédition ici de Paix ou guerre atomique, publié en 1958 et épuisé depuis longtemps, permet de remettre ce texte essentiel à la portée du plus grand nombre.


L'intérêt d'une publication conjointe du Discours de réception à l'Académie Nobel et d'une partie de la correspondance de Schweitzer avec Einstein ou Kennedy permet de mieux comprendre l'influence qui aura été la sienne dans les cercles scientifiques et politiques de son temps.


Ce "petit dossier de textes" (selon Matthieu Arnold lui-même) est paru à l'occasion de la réouverture du musée de Kaysersberg, renommé "Centre Schweitzer pour la Paix" inauguré en septembre 2023 et sera profitable à tous ceux qui veulent mieux connaître la pensée d'Albert Schweitzer sur la question.


Roland Kauffmann


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Pour aller plus loin


On pourra cependant s'étonner du silence schweitzerien sur la Shoah. Déclarer ainsi "ce qui importe, c'est de reconnaître, tous ensemble, que nous sommes coupables d'inhumanité" (Discours…, p. 70) paraît au premier abord un peu court. Ce serait cependant oublier que contrairement à nous aujourd'hui, Albert Schweitzer connaissait parfaitement les ravages de l'antisémitisme dans tous les pays occidentaux bien avant la guerre. Il faut se souvenir également qu'il était personnellement concerné, son épouse Hélène et sa belle-famille, les Bresslau, étant juifs.


Dans ses appels à un "désarmement unilatéral", Albert Schweitzer montre une étrange naïveté ("l'Union soviétique n'est pas tout à fait assez méchante pour ne penser qu'à se précipiter sur l'Europe", 3e appel "Les négociations au sommet, p. 111) et une grande lucidité ("La guerre atomique ne connaît pas de vainqueurs mais uniquement des vaincus", 2e appel, "Les dangers de la guerre atomique", p .100).


La première peut se comprendre si l'on se souvient qu'il lance son appel en 1958 et qu'à l'époque le régime soviétique semblait faire preuve d'ouverture avec Nikita Khrouchtchev qui parviendra à faire illusion sur le caractère totalitaire de l'URSS. La politique de la main tendue pour une réconciliation des peuples pouvait s'envisager. La crise de Cuba enterrera ces espoirs.


La seconde est fondée théologiquement et philosophiquement et dépasse en-cela les calculs strictement militaires. C'est en effet au nom du "respect pour la vie" (Ehrfurcht vor dem Leben), qu'il étend le champ des victimes de la guerre, non seulement aux populations non belligérantes ("Une guerre menée avec des armes nucléaires est une infraction bien plus grave au Droit des gens (parce qu'elle) met en question l'existence même de l'humanité." 3e appel, p. 109) mais aussi implicitement à tous les vivants : "[Il faut] atteindre par un nouvel esprit, cette raison supérieure qui nous détournera de faire de la puissance qui est à notre disposition un usage funeste. (…) [Cet esprit] est convaincu que la compassion dans laquelle l'éthique prend sa racine ne gagne sa véritable étendue et profondeur que si elle ne se limite pas aux hommes mais s'étend à tous les êtres vivants." (Discours.... p. 71 & p. 74). C'est parce que l'arme nucléaire ne connaît pas de limite dans l'espace et dans le temps qu'elle est une manifestation de l'hybris - de la démesure - de l'humanité et pourquoi elle doit être combattue.


Des principes que l'on trouve déjà dans les prédications de Schweitzer avant-guerre (la première…) comme par exemple dans celle du 15 novembre 1908 où il constate amèrement "L'individu nourrit pour le peuple auquel il appartient davantage d'idéaux d'orgueil et de puissance." (Romains 12, 2 "Ne vous conformez pas au monde", p.24). Bien avant Lambaréné, Schweitzer, lecteur de Nietzche, sait que chaque individu porte en lui-même une "volonté de puissance", c'est-à-dire une "volonté de vivre" fût-ce aux dépends de son voisin. L'hybris individuelle nourrit l'hybris collective et est légitimée par elle. La fierté individuelle de faire partie d'un grand peuple ou, à l'inverse, l'humiliation personnelle qui naît d'une humiliation nationale, rachète ou s'ajoute aux misères ou aux joies personnelles.


Il faut donc une nouvelle mentalité: "La seule originalité que je réclame pour moi (c'est) la certitude, née de la pensée, que l'esprit est capable, à notre époque de créer une nouvelle mentalité, une mentalité éthique." Discours…, p. 77.


C'est cette profonde cohérence de la pensée d'Albert Schweitzer, tant du théologien que du pasteur, que du médecin et de l'homme de culture, aux diverses époques de sa vie et de son action que ce volume des études schweitzeriennes met remarquablement en valeur.


Roland Kauffmann



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