Être médiateur à la manière du Christ
- Thierry Holweck
- il y a 2 jours
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Baptême de Louise et Lukas Fofana-Goett
Guebwiller 25 mai 2025

Un seul baptême
« Un seul Dieu et aussi un seul médiateur (…) le Christ-Jésus », comment mieux dire l'unité du corps du Christ au moment où nous célébrons le baptême de Louise et Lukas qu'avec ces paroles de l'apôtre Paul ? En effet, issus de confessions différentes, Isabel et Hugo, vous avez choisi ce temple de Guebwiller pour marquer l'entrée de vos enfants dans la grande famille spirituelle qu'est l'Église du Christ.
Une Église qui ne saurait se résumer à ses différentes formes et manifestations extérieures. Au contraire, l'Esprit de Dieu a choisi de répondre de diverses manières aux besoins exprimés par son peuple au cours des siècles, des époques et des situations historiques. Et c'est toute cette diversité humaine que l'on retrouve dans les diverses confessions, protestante, catholique ou encore orthodoxe. Et à l'intérieur de chaque confession chrétienne, les dénominations, chapelles ou écoles sont nombreuses au point que parfois un œil néophyte pourrait y perdre son latin.
Il n'y a pourtant qu'un Dieu et un seul Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes. De cette affirmation, on pourrait dire qu'il faut en ce cas une seule Église, unie sous la bannière d'un chef, d'une autorité doctrinale et pratique, dont le siège pourrait être à Rome, à Genève ou à Constantinople ou dans n'importe quelle autre capitale d'un monde globalisé, d'un monde mondialisé, sans commune mesure avec ce que pouvait envisager Paul, citoyen de l'Empire romain.
Paul nous ressemble. Il est comme nous, à la fois profondément attaché à sa terre, profondément local, comme vous l'êtes Hugo, homme d'une terre d'Alsace ; et Paul est aussi profondément cosmopolite. Il est certes hébreux mais il n'est pas né en Judée, certes juif et en plus de l'école des pharisiens mais qu'il a quitté, certes chrétien mais pas soumis aux chefs de l'Église à Jérusalem. Il parle l'anglais, l'allemand et le chinois de son époque, à savoir le grec de la culture commune, le latin des puissants, et l’hébreu de ses pères. Il est à la fois d'ici et d'ailleurs, comme vous l'êtes Isabel, venue du Cap-Vert, d'Allemagne et du Sénégal.
Cette commune humanité, par-delà les frontières et les bornes qu'imposent nos cultures diverses, c'est cela qui est la cible de l'apôtre, le sujet et la préoccupation constante. Lorsqu'il rappelle à son jeune disciple, Timothée qu'il est « docteur des païens », il lui rappelle en même temps ses propres origines et le fait que Jésus n'est pas venu sauver un petit groupe d'élus au sein du peuple juif mais qu'il est venu pour toute l'humanité, conformément à la volonté de son père, au dessein de « Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ».
L'universalité de l'humanité n'était de loin pas une évidence en son époque. Chaque civilisation prétendant que son dieu, ou plutôt son système religieux, était unique et en tout cas, le meilleur, le plus fort, le plus efficace pour assurer richesse, prospérité, bonheur aux populations qui le servent. Paul est, parmi tous les apôtres, celui qui affirmera avec force que Jésus n'est pas venu sauver un peuple élu parmi d'autres, ni une nation choisie de préférence sur une autre, ni s'incarner dans une civilisation plutôt que dans une autre mais qu'au contraire, c'est l'humanité entière qui est l'objet de son amour.
Une humanité qui prend des formes diverses selon les histoires de chaque peuple, ses cultures, les conditions qui le déterminent dans son être, selon sa géographie, selon sa nature, il est normal sain et salutaire que la foi en Christ s'incarne différemment selon les situations. Et dans ce sens, l'affirmation d'un baptême unique et commun à toutes les Églises chrétiennes, reconnu comme tel est fondamental. Il n'y a pas de baptême catholique ou protestant, ni orthodoxe ou quelque autre dénominations qui vaille mais un seul et unique baptême en Jésus-Christ, indépendant de toute autre considération liée à la foi particulière de chacun.
Une seule incarnation
Lorsqu'il parle de Jésus, Paul le qualifie immédiatement pour ce qu'il est « homme ». Il fait un usage étonnant des adjectifs. D'habitude quand nous pensons au « sauveur », nous pensons à Jésus-Christ, notre sauveur. Alors que Paul parle de « Dieu, notre sauveur », c'est à dire que ce n'est pas Jésus qui sauve mais qu'il est l'instrument du salut, celui qui le rend possible, réel, réalisé une fois pour toutes par l'action de cet homme, Jésus que nous reconnaissons être le Christ.
Paul introduit ici une notion extrêmement importante, la notion de médiation. Il nous présente Jésus comme le médiateur entre Dieu et les hommes. L'image nous parle car nous savons tous ce que c'est qu'un médiateur, un intermédiaire. Il faut bien sûr mettre de côté les intermédiaires commerciaux, ceux qui sont là pour négocier les plus grosses marges bénéficiaires possibles pour celui qui les emploit. Il faut aussi mettre de côté ceux qui prétendent se faire les médiateurs pour la paix afin de prendre le plus de gain possible.
Une fois que nous avons mis de côté ces médiateurs qui ne sont en réalité que des parasites, il nous reste la dimension positive de la médiation. Un médiateur est, par définition, entre les parties. Il va de l'un à l'autre et communique à chacun les positions, les intérêts et les besoins de l'autre partie. Le but d'un médiateur est toujours d'arriver à un accord qui soit le plus juste possible pour les deux parties concernées. C'est le rôle d'un conciliateur de justice dont la mission est précisément d'éviter le conflit judiciaire. Le médiateur n'est pas forcément au milieu, à égale distance de l'un ou de l'autre. Au contraire, quand les rapports de force sont disproportionnés, il faut que le médiateur mette tout son poids du côté du plus faible. Nous le savons bien, si sur une balance, nous voulons équilibrer des poids différents, il faut déplacer le curseur.
C'est exactement ce que signifie l'incarnation du Christ. Le fait qu'il soit « homme » signifie qu'il s'est entièrement placé du côté du plus faible, de celui qui aurait le plus à perdre dans un conflit qui l'opposerait au Dieu créateur du ciel et de la terre. C'est au sein de l'humanité souffrante et implorante que Jésus est venu incarner l'espérance du Royaume de Dieu, lui donner une forme et une réalité, celle du partage et de la communion entre tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Plutôt qu'un divorce entre les hommes et Dieu, Jésus est venu pour manifester une communion, une réconciliation entre l'humanité et son créateur. Il est venu montrer qu'il était possible que les rapports des hommes entre eux soient conformes à la volonté du Dieu sauveur et que nous n'étions pas condamnés au déchirement et à la guerre de tous contre tous, au mépris des plus faibles et à la souffrance des laissés pour compte ni à l'oubli des malades et des désespérés.
Médiateur entre les hommes
J'emploie volontairement cette image d'une réconciliation entre les hommes car il me semble qu'en insistant sur cette dimension de médiateur, Paul a aussi voulu lui donner une dimension horizontale. Vous avez remarqué qu'il commence par demander la prière des fidèles « pour tous les hommes ». Pour les rois et souverains, autorités politiques, économiques et religieuses de toutes sortes, partout dans le monde « afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et toute dignité ». La paix est évidemment toujours une condition indispensable à la vie.
Nous ne pouvons et ne devons ignorer les souffrances des peuples, affamés, martyrisés, torturés, qu'ils soient de l'est de l'Europe, de Palestine ou d'Afrique. Paul nous exhorte à prier non pas pour la paix en général mais pour la paix en Ukraine, à Gaza, au Congo, au Soudan, partout où des innocents voient leurs vies brisées par l'appétit de pouvoir des puissants de ce monde.
Être médiateur, à la manière du Christ, c'est choisir son camp, comme il l'a choisi. C'est choisir le camp du faible, de l'agressé, de celui dont l'humanité est niée, dont les biens, la terre, le corps et la vie sont volés, détruits, réduits à l'état de marchandises et de choses. Être médiateur à la manière du Christ, ce n'est pas renvoyer les parties dos à dos et partager les responsabilités, c'est imposer la justice, la vérité et le droit.
Être médiateur, à la manière du Christ, c'est être au plus près de celles et ceux qui souffrent, dans leur chair, dans leur âme, dans leur esprit ou dans toutes les dimensions de leur être ; de tous ceux qui sont empêchés de vivre comme ils le voudraient par des circonstances extérieures et, ici, comment ne pas penser évidemment à Grégoire, votre frère, Hugo et Martin, votre oncle, Louise et Lukas ? Vous êtes et serez autant que possible à ses côtés et il est dans vos cœurs comme dans le nôtre.
Dire avec Paul que Christ est médiateur entre Dieu et les hommes, c'est aussi considérer qu'il est notre médiateur, celui se tient entre nous, à nos côtés, entre nous et le monde. C'est, dans un double mouvement comme il les aime tant, dire que l'on ne peut connaître Dieu qu'à travers le Christ et que l'on ne peut connaître l'homme qu'à travers le Christ.
Dire que Christ est notre médiateur, c'est avant tout dire qu'il n'y en a pas d'autre, que nous ne pouvons placer notre espérance en rien d'autre que lui, en personne d'autre que lui. Que nous n'avons à attendre notre bonheur ni des richesses du monde ni des honneurs. Rien de ce que le monde ne peut nous offrir ne peut surpasser ce que le Christ nous offre. C'est à travers le Christ qui s'interpose entre nous et le monde, entre nous et les autres hommes comme entre nous et les choses que nous devons comprendre et envisager nos relations avec le monde, la société et toutes celles et ceux qui nous entourent[1].
En demandant aujourd'hui le baptême de Louise et Lukas, vous placez le Christ entre vous et vos enfants. Vous affirmez qu'ils ne sont pas seulement vos enfants, chair de votre chair et sang de votre sang mais qu'ils sont des individus à part entière, qu'ils ne vous appartiennent pas mais qu'ils ont leur propre histoire à construire. Mais pas n'importe laquelle. Vous les séparez du monde et les associez à la communauté de celles et ceux qui refusent de suivre un autre maître que celui qui a donné sa vie pour l'humanité.
Ce faisant, vous les engagez sur un chemin d'exigence et de foi. Par le baptême, vous signifiez à la fois qu'ils sont des individus libres et indépendants de vous et en même temps qu'ils ne sont pas seuls sur ce chemin. Louise et Lukas seront accompagnés, par vous bien sûr, les parrains et marraines ou encore les oncles, tantes et grands-parents au sens le plus large possible mais aussi par la communauté des fidèles partout dans le monde, non seulement ici à Guebwiller mais partout où leur existence les conduira.
Mais surtout ils ne seront jamais seuls. Jésus, le Christ, celui qui a donné sa vie pour eux comme pour nous les accompagnera chaque jour sur le chemin où il les appelle.
Roland Kauffmann
[1] « [Le Christ] s'est interposé, par son incarnation, entre moi et les données du monde. (…) Il ne se tient plus seulement entre moi et Dieu, mais par là même aussi entre moi et le monde, entre moi et les autres êtres humains et choses. Il est le médiateur, non seulement entre Dieu et l'être humain, mais aussi entre les êtres humains, entre l'être humain et la réalité. », Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le prix de la Grâce, Labor et Fides, 2009 [1937], p.75.
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