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Christ nous est présent

  • Photo du rédacteur: Thierry Holweck
    Thierry Holweck
  • 8 juil.
  • 9 min de lecture

Le sermon sur la montagne III - Soultz 5 juillet 2025


Vitrail de l'église luthérienne Saint Paul à Montréal, Québec
Vitrail de l'église luthérienne Saint Paul à Montréal, Québec

Quand on lit le Sermon sur la montagne, il faut toujours se rappeler qu'il s'agit d'un résumé. C'est un condensé de paroles prononcées par Jésus à ses disciples réunis auprès de lui. Qu'il s'agisse du tout petit groupe de ses fidèles ou du grand nombre de ceux qui l'écoutent, ils comprendront les choses parfois très différemment. Les premiers pouvant revenir vers lui pour demander des explications, des éclaircissements, les seconds devant repasser dans leur cœur ces paroles enflammées.

 

C'est l'une des raisons plus lesquelles le Sermon a nourri et continue de le faire la spiritualité des chrétiens à travers les siècles jusqu'à aujourd'hui. Le sens de la formule courte et choc, facile à garder « C'est vous qui êtes la lumière du monde » ou « Ne vous souciez pas du lendemain, le lendemain se souciera de lui-même » permet à tout un chacun de se souvenir et en même temps de comprendre différemment, selon un sens plus ou moins spirituel en fonction de l'état d'avancement et de compréhension de chacun. Certains auteurs contemporains l'ont même traduit en tweets[1], c'est dire si la force de ce texte réside grandement dans sa forme.

 

En ce sens le Sermon sur la montagne est un exemple quasi parfait du traité à la fois théologique et spirituel ; à la fois pratique et utopique. Il constitue une sorte de manuel de la vie chrétienne dans toutes les circonstances de la vie, un guide pour nos choix de vie comme une orientation et un encouragement dans la nuit du doute et des inquiétudes. À la fois d'ordre communautaire et personnel, s'adressant à la communauté comme à chaque fidèle, chacun et chacune d'entre nous peut y trouver ce dont il a besoin au moment où il en a besoin et chacun peut aussi chercher à conformer sa vie au modèle qui nous est ici donné. On peut imaginer qu'avant même que l'évangile de Matthieu dans son entier ait été rédigé, le Sermon devait peut être déjà circuler sous une forme ou une autre pour accompagner des communautés isolées, des voyageurs au milieu d'une foule ou des familles au milieu d'une cité indifférente.

 

Un résumé de l'Évangile

 

Par ses qualités et ses perfections même, par l'importance qu'il a toujours eu dans la vie de l'Église, au point d'être considéré par saint Augustin comme la « charte de la vie chrétienne » ou par saint Thomas comme le « résumé de la Loi nouvelle » en qui nous aurions tout ce qu'il nous faut pour vivre et agir dans le monde d'aujourd'hui, le Sermon sur la montagne nous permet de réfléchir à cette grande question posée par Dietrich Bonhoeffer à savoir « comment être chrétien dans le monde d'aujourd'hui ? ». Sous-entendu, à l'époque de Dietrich Bonhoeffer,  « comment être chrétien dans la société allemande désormais dominée par les nazis ? ».

 

Nous avons vu justement la fois dernière que l'évangile de Matthieu se posait précisément cette même question « comment être chrétien dans un monde où les chrétiens sont désormais rejetés ? » Comment faire pour rester fidèle à la parole du Christ quand celle-ci est trafiquée ? Comment faire pour continuer d'obéir à sa parole quand tout concoure à nous en éloigner ? Après  62 de notre ère, les chrétiens ne sont plus les bienvenus à Rome, les juifs en avaient déjà été chassés aux alentours de 50 par l'empereur Claude. Cet exil des juifs nous est relaté par le livre des Actes, au moment où Paul arrive à Corinthe. (Actes 18, 2). Les chrétiens qui avaient pris soin de se démarquer des juifs n'avaient pas été inquiétés, ils se croyaient à l'abri. C'est d'ailleurs à eux que s'adresse Paul dans sa lettre aux Romains où il précise ce qui nous distingue justement des juifs, c'est-à-dire la grâce et la foi reçues de Dieu indépendamment de tout mérite et de toute œuvre.

 

Le Sermon nous dit autre chose. Il nous dit qu'il « ne suffit pas de croire » encore faut-il que notre foi se concrétise par des actes. À la question de savoir si c'est la foi qui est première, le Sermon nous répond « Heureux serez-vous si vous faites ce que je vous demande » à savoir être miséricordieux, rechercher la justice, être artisan de paix. Le Sermon sur la montagne, parce que la situation a changé par rapport à l'époque de l'apôtre Paul, insiste d'avantage sur l'agir que sur le croire.

 

D'abord chercher

 

« Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice et tout cela vous sera donné ensuite », la finale de notre chapitre 6 est explicite. Il n'est pas dit « croyez d'abord » mais bien « cherchez d'abord ». Nous disions la fois dernière que le chapitre 5 concernait l'aspect public de cette obéissance nécessaire, la manière dont se comporter dans la société et pour cela, la pratique des vertus, c'est-à-dire le courage de la vérité, la défense des pauvres et des opprimés, la recherche du bien pour tous ou encore être « être sel de la terre », c'est-à-dire donner un sens et une valeur à toute chose, sont les manifestations concrètes de cette obéissance. Il se concluait par cet extraordinaire qui est requis de notre fidélité. Les chrétiens selon le Sermon devant sortir de l'ordinaire, du commun pour aimer, non pas seulement leurs amis, ce qui est normal et ordinaire, mais aussi leurs ennemis, ce qui est extraordinaire.

 

Le chapitre 6 aborde la même question mais en insistant sur la manière dont cet extraordinaire peut devenir notre quotidien. Le chapitre 5 nous parlait de l'aspect public, le 6 nous parle de l'aspect intime et personnel. Mais il n'y a pas seulement, selon Dietrich Bonhoeffer, un parallèle entre public et privé, entre social et intime, entre visible et caché, mais véritablement entre cet extraordinaire aux yeux du monde et l'ordinaire à nos yeux.

 

Pour Bonhoeffer, les choses sont claires, ce qui doit être fait, c'est l'extraordinaire, c'est l'objectif du chapitre 5. Le chapitre 6 est celui qui traite du « comment y parvenir ? ». Et si à première vue ce chapitre est découpé en trois parties, la prière, le vrai trésor et les inquiétudes, c'est bien de l'intériorité dont il est question car c'est « là où est ton cœur que se trouve ton trésor ». Et il ne s'agit pas seulement des questions matérielles, de la richesse mais bel et bien de ce que nous avons au plus profond de nous-mêmes, cela seul doit et peut nous motiver à agir suivant le projet du Sermon.

 

Le cœur, c'est le centre de la décision pour les anciens. Ce n'est pas le cerveau, donc ni l'intelligence ni la raison. Ce n'est pas non plus le ventre, donc ni nos intérêts ni nos plaisirs. Le cœur c'est le lieu où se rejoignent nos espoirs et nos inquiétudes, que se forgent nos valeurs et nos principes. C'est l'endroit du courage et de la volonté, c'est pour cela qu'il est le lieu du choix. Parce qu'il en faut du courage pour vivre en chrétien à l'époque de Matthieu, à l'époque de Bonhoeffer et à notre époque. Parce qu'il y faut de la volonté et que la volonté se trace elle-même son chemin entre nos peurs et nos inquiétudes. C'est pour cela que s'il faut chercher le Royaume de Dieu, les inquiétudes sont au centre de ce chapitre 6. C'est en les reconnaissant, en les assumant, en les affrontant que l'on peut parvenir à faire un choix. Ces inquiétudes sont aussi une image de nos moments de doute, c'est là aussi que se construit la fidélité.

 

Il y a là une grande sagesse de la part de l'auteur du Sermon. Il porte un regard lucide sur notre situation, il ne nous mène pas en bateau, ne nous fait pas rêver à une vie facile et tranquille. Au contraire, il reconnaît nos difficultés : il est légitime de rechercher ses intérêts et de chercher à être du bon côté de l'histoire, du côté des vainqueurs. C'est vers cela que sont tombés les chrétiens allemands à l'époque de Bonhoeffer. Parce qu'ils se sont inquiétés de ce qu'ils allaient manger, de quoi ils allaient être vêtus s'ils ne ne soumettaient pas à l'idéologie du régime. Ils ont gardé la nourriture et le vêtement mais ils ont perdu la vie au sens spirituel. Comme l'ont fait les chrétiens de Rome qui ont renoncé à chercher le Royaume et ont préféré garder leurs postes et leur rang. Le Sermon sur la montagne ne nous parle pas tant de la foi que de la fidélité. Il s'agit pour nous d'être fidèles et la fidélité se construit au plus intime de la personnalité. Le chapitre 5 nous parlait de la fidélité collective, le 6 nous parle de la fidélité personnelle, celle qui se forge dans le cœur plus que dans le cerveau ou dans le ventre.

 

L'avenir appartient aux fidèles

 

Mais si les oiseaux du ciel sont vêtus de parures plus belles que Salomon, à plus forte raison, notre Père dans le ciel ne nous vêtira-t-il pas ? Ce que Bonhoeffer entend dans cette parole des lys des champs c'est que l'avenir n'appartient pas aux méchants, aux puissants de l'heure mais qu'au contraire, l'avenir appartient à ceux qui restent fidèles à la parole du Christ et placent leur cœur entre ses mains, décident de persévérer et de continuer à vivre dans la lumière même si le monde est plongé dans les ténèbres, dans la vérité même si le mensonge parait l'emporter. Ce n'est jamais que pour un temps, il y aura toujours un lendemain mais un lendemain qui ne sera pas la répétition de la peine d'aujourd'hui mais un lendemain qui sera heureux pour peu que nous ayons cherché à le rendre possible.

 

Ce refus de laisser l'avenir aux mains des méchants est essentiel pour Bonhoeffer et tout cela se forge dans la prière. On ne peut commencer à vivre tel que le Christ nous le demande si on ne recherche pas sa volonté dans la

prière. Puisque le cœur est le lieu de la décision, de notre décision, il nous faut le nourrir, prendre le temps de la méditation, de la maturation. Il faut bien distinguer le temps de la réflexion, celui où on s'informe, où on se cultive, où on apprend comment faire ce qui doit être fait, du temps de la décision. C'est pour cela que le chapitre commence par l'essentiel, c'est-à-dire par la prière individuelle dont le Notre Père est, non seulement le modèle, mais le type même.

 

Toute cette partie consacrée à la prière est encadrée par l'appel à la simplicité et à la modestie : ni trompettes ni cortèges ni déclamation ni proclamation mais le secret de la chambre à soi, autrement dit de son cœur. Ce n'est en effet pas seulement le lieu physique dont il nous faut fermer la porte mais aussi du lieu symbolique. Il nous faut à un moment ou un autre fermer la porte de notre cœur, non pas pour laisser à l'écart les autres, non pas pour nous retrancher sur nous-mêmes mais au contraire le fermer à nos désirs, à nos caprices, à nos penchants, à nos propres idées, à toutes sortes d'influences pour laisser y résonner une Parole, celle qui nous vient de « Notre Père qui es aux cieux ».

 

Nous avions consacré toute une saison ici à Soultz au Notre Père en 2023, je n'y reviendrai donc pas.  Simplement Bonhoeffer insistait sur sa cohérence et sa nécessité. Si Dieu est au ciel, c'est qu'il m'appartient de le rendre présent sur la terre ; que ma vie ne doit pas trahir l'Esprit ; que son règne s'élargisse de ma vie à tout ce qui nous entoure, que ma volonté soit alignée sur la sienne ; que nous soyons reconnaissants et prenions la vie pour ce qu'elle est : un don de Dieu ; que nous comprenions que nous ne pouvons être pardonnés si nous-mêmes ne savons pardonner ; qu'il nous préserve de la chute que serait le renoncement à l'Évangile et la soumission aux mensonges des puissants et qu'enfin nous serons délivrés du mal, c'est-à-dire au temps de Bonhoeffer du nazisme qui défigure non seulement l'Église mais aussi l'Allemagne et l'humanité. Car, justement, l'avenir n'appartient pas à ceux-là mais il sera donné à ceux qui, sincèrement, humblement, dans la simplicité et l'authenticité, auront gardé la foi et la loi du sermon sur la montagne.

 

Le prochain chapitre reviendra sur l'articulation entre cette vie publique et cette vie privée, entre l'affirmation de la foi d'une communauté et la décision priante de chacun et chacune d'entre-nous. Pour Bonhoeffer, le chapitre 7 du Sermon sur la montagne est l'affirmation de la mise à part de la communauté des disciples, nous y reviendrons la prochaine fois, le 13 septembre.

 

Il vit 

 

Un dernier mot cependant qui donne un éclairage essentiel aux propos de Bonhoeffer, non seulement sur le Sermon sur la montagne mais sur l'ensemble de son œuvre. C'est à la suite de sa réflexion sur le Sermon lorsqu'il s'interroge sur ce qu'est « l'Église à la suite de Jésus-Christ », c'est-à-dire qu'il applique son principe de Nachfolge à la réalité concrète de l'Église. Et c'est là qu'il nous explique pourquoi, de son point de vue, le Sermon ne peut être suffisant pour le chrétien. On ne peut s'en contenter pour savoir ce qu'il faut faire, savoir ce qu'il faut être et choisir pour se comporter en chrétien aujourd'hui. Le Sermon n'est pas la réponse à la question parce qu'il lui manque quelque chose d'essentiel. Il y manque la foi.

 

Dietrich Bonhoeffer nous rappelle qu'en toute chose, il faut « compter avec le fait que Jésus-Christ n'est pas mort, mais qu'il vit aujourd'hui et que, par le témoignage de l'Écriture, il continue à nous parler. Il nous est présent, aujourd'hui, corporellement et avec sa Parole. »[2] Tout, y compris le Sermon sur la montagne prend une nouvelle dimension avec cette conviction que Jésus n'est pas mort, « il vit aujourd'hui là où l'homme est à la portée de l'homme » selon la confession de foi de Gabriel Vahanian. C'est-à-dire qu'il vit là où les hommes et les femmes d'aujourd'hui se mettent à l'écoute de sa Parole pour être plus vrais, plus solidaires, plus libres, plus courageux et fidèles à son Évangile.


Roland Kauffmann


[1]    Le Sermon sur la Montagne en tweets, Michel Sommer, Farel, 2015.

[2]    Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le prix de la grâce, Labor et Fides, 2009 [1937], nouvelle édition, traduction de Bernard Lauret avec la collaboration de Henry Mottu, p.183.


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