Nous dépouiller d'une œuvre de ténèbres
- Roland Kauffmann
- il y a 8 heures
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Guebwiller 30 novembre 2025

Vous aurez peut-être été surpris à entendre les textes que notre Église propose à notre méditation en ce premier dimanche de l'Avent. Il m'a également fallu vérifier à deux fois si on se trompait pas dans les dates du calendrier liturgique et si au lieu de nous préparer à Noël, nous n'étions pas invités à nous préparer pour Pâques en reprenant ces textes de l'entrée de Jésus à Jérusalem, annoncée par le prophète Zacharie et relatée par l'évangéliste Matthieu.
À y regarder de plus près, c'est justement l'intention de notre Église que de nous faire réfléchir sur la notion de « venue du Seigneur » qui est le sens même du mot « Avent ». C'est aujourd'hui « le roi qui vient », dimanche prochain le « rédempteur », le 3e dimanche sera celui consacré au « précurseur » et enfin le dernier et 4e dimanche sera dédié à la « joie imminente ». Trois semaines d'attente, quatre dimanches pour nous préparer ensemble à l’événement de l'incarnation en réfléchissant à l'idée même de venue du Christ dans nos vies. Trois semaines d'attente et de préparation pour la fête familiale la plus attendue de l'année, avec leur lot d'impatience et de fébrilité pour que tout soit en place, tout soit prêt, les cadeaux au pied du sapin. Un peu comme s'il fallait « préparer la venue du Père Noël ».
Et nous sommes tous embarqués dans cette course où au lieu de prendre le temps d'une préparation spirituelle à la fête, nous laissons les inquiétudes et les soucis prendre la première place. Comme si Noël était un événement à ne pas rater, il faut que tout y soit parfait, les maisons et les tables prêtes. Ainsi vont nos vies préoccupées avant même que les choses n'arrivent au point que parfois nous passons simplement à côté du sens de la fête.
Et nous ne dérogeons pas à cette règle non écrite, il fallait que le sapin soit là aujourd'hui, que notre couronne de l'Avent soit prête, merci à celles qui l'ont préparée, et il faudra que les diverses manifestations pour la période soient parfaites, tout comme la veillée qui devra être un moment de ferveur et de communion. Bien sûr qu'il faut que la fête soit réussie mais encore faut-il qu'elle soit pleinement vécue.
C'est à cela que nous invite l'apôtre Paul dans son message aux Romains. Un message qui n'a lui non plus apparemment rien à voir avec Noël. Souvenons-nous d'ailleurs à ce propos que les premières Églises ne fêtaient pas Noël et qu'elles ne se préoccupaient pas vraiment de savoir comment Jésus était né, dans quelle conditions, si l'hôtellerie était pleine ou l'étable « froide et misérable ». Peu importait à Paul et à ses lecteurs de savoir si une étoile s'était arrêtée sur Bethléem. Paul ne parle jamais, dans aucune de ses lettres de l'enfance de Jésus. Et pas plus les autres auteurs du Nouveau Testament, à part Matthieu et Luc qui d'ailleurs ne sont pas tout à fait d'accord sur ce qui s'est passé.
Les récits de l'enfance ne passionnaient pas les premiers chrétiens et pas non plus les Réformateurs. Jean Calvin considère par exemple que nous pourrions largement nous passer de la fête de Noël qui n'était à ses yeux qu'une résurgence de croyances populaires. L’événement fondateur de notre foi, l'inouï de la foi, l'incroyable, c'est la mort et la résurrection de Jésus, pas sa naissance. Noël et l'incarnation n'ont de sens que par rapport au Vendredi saint et Pâques. Si nous n'avions pas les récits de l'enfance, nous pourrions être chrétiens malgré tout, sans la mort et la résurrection de Jésus, notre foi est vaine et sans objet.
Faut-il pour autant gâcher notre plaisir de la fête en nous en détournant ? Il est facile et commun de critiquer sa dimension commerciale et l'absence de sens pour la plupart de nos contemporains. Il y aurait bien sûr tellement à redire sur le mode du « c'était mieux avant » quand Noël était vraiment Noël et que les Églises étaient pleines et qu'une orange suffisait à faire le plaisir des enfants. C'est facile de regretter le temps passé en oubliant ses défauts et ses peines. À l'inverse de cette facilité, je me réjouis au contraire de cette ambiance festive au cœur de la nuit de l'hiver. J'attends avec joie et impatience comme un enfant le réveillon où la famille sera assemblée et comme nos familles sont souvent recomposées et diverses, les fêtes se renouvellent.
Mais au-delà de ma joie personnelle de la fête, il me semble aussi qu'elle représente pour nos contemporains bien plus que ce que nous en pensons. Il suffit de voir le programme des cinémas et des films de Noël où il est la plupart du temps question d'amour, de solidarité et de partage. L'esprit de Noël nous parle de réconciliation, de paix et de lumière dans les ténèbres. N'est-ce pas l'Esprit du Christ qui se manifeste ainsi d'une manière certes complètement sécularisée mais néanmoins fidèle au message de l'Évangile ?
De quoi nous parle Noël ? D'une lueur d'espoir dans l'adversité. La confiance en l'avenir au plus profond de la nuit, la conviction que le soleil reviendra selon sa mesure lorsque le temps du printemps reviendra. Une confiance primordiale, ancestrale, dans le rythme des saisons qui apportent tout depuis que l'humanité a conscience d'elle-même. Ce besoin d'espérance malgré tout, malgré les peines et les inquiétudes, dans les détresses et les misères du temps, est un sentiment religieux au sens le plus pur qui soit.
C'est ce besoin religieux que Noël vient exprimer. Et des siècles de culture chrétienne se sont chargés de lui donner un contenu orienté vers l'amour plutôt que vers le sacrifice, vers le partage plutôt que vers l'accumulation, vers la paix plutôt que vers la guerre, vers le don plutôt que vers la récompense. Quand les enfants reçoivent des cadeaux, c'est une image, une transposition bien imparfaite mais une transposition quand même de la grâce, car les cadeaux ne sont en rien mérités. Les petits et les grands ne reçoivent pas des cadeaux proportionnels à leurs qualités ni à l'intérêt. Ils sont offerts uniquement pour faire plaisir à celui qui les donne et, parfois, à celui qui les reçoit. L'inattendu du cadeau, la surprise et la joie qui va avec, n'est-ce pas une belle image de la grâce de Dieu.
On peut évidemment se lamenter sur le fait que les gens n'y comprennent plus rien et n'ont plus conscience de cette réalité. Encore faut-il que nous, les chrétiens, ceux pour qui Noël a le sens du Dieu qui advient dans nos vies, nous ayons nous aussi conscience que lorsque nous partageons nos biens, nos joies et nos peines, donnons et recevons l'imprévu du cadeau, nous vivons à l'image de ce message de la grâce.
Vous avez entendu Paul : « ne devez rien à personne » dit-il aux Romains. Sous-entendu, vous n'avez de comptes à rendre à personne, vous n'êtes obligés à rien de ce que la société vous impose. Bien sûr que dans le contexte de la société romaine antique, il veut insister sur la liberté des chrétiens de ne pas respecter les rites religieux et sociaux de l'époque. Mais il continue « si ce n'est de vous aimer les uns les autres ». sous-entendu, « peu importe la signification que les autres donnent à un événement, ce qui compte c'est que vous lui donniez une signification dans l'amour ».
Peu nous importe pourquoi et comment les autres vivent Noël, ce qu'ils y mettent ou pas, réjouissons-nous néanmoins qu'il reste dans l'air quelque chose de l'esprit chrétien, peut-être un peu vague, avec des odeurs de vin chaud mais une ambiance, une atmosphère de joie et de paix. Quand à nous qui voulons préparer Noël de la meilleure des manières, il est temps de mettre de l'amour dans tout ce que nous faisons.
Imaginer par exemple, un calendrier de l'Avent où au lieu de découvrir un chocolat de bonne ou mauvaise qualité, nous recevions un appel téléphonique d'une personne oubliée ou à l'inverse que nous appelions une personne oubliée de longue date. Pourquoi ne pas prendre le temps chaque jour de manifester une forme d'attention et de soin ? Écrire une carte à celui où celle à qui nous avons oublié de souhaiter l'anniversaire. Inviter tel ou telle personne avec qui nous avons peut-être des comptes à régler à boire un vin chaud, juste pour le plaisir.
Mille et une manières de manifester concrètement l'amour de Dieu pour le monde tel qu'il se manifeste dans l'incarnation de son Fils au plus profond de la nuit. Prendre un instant chaque jour pour se poser simplement la question et se demander, quel cadeau puis-je faire à une personne qui ne s'y attend pas et sera dans la joie ?
« La nuit est avancée, le Jour approche » nous dit Paul, le Jour avec une majuscule. Bien sûr qu'il veut parler du jour ultime, celui où nous verrons revenir le Christ. N'oublions jamais que Paul est persuadé que le monde a une fin qui est proche. Il est dans un temps qui est court, car il pense, il espère même sans doute, que le Christ reviendra de son vivant à lui, Paul. Il voudrait tant voir ce jour de ses yeux. Nous savons qu'il n'en a rien été mais croire que le Jour approche, c'est être persuadé que c'est aujourd'hui que nous devons donner du sens à ce que nous faisons au nom de la foi qui nous anime. Que c'est aujourd'hui, dans cette période de l'Avent, qu'il nous faut nous préparer comme s'il devait effectivement venir ce jour-là.
Que ferions-nous si nous savions avec certitude que le Christ revenait le 25 décembre prochain, de manière aussi certaine que nous savons que les jours vont se rallonger ?
Les chrétiens du temps de Paul vivaient avec cette certitude. Elle signifie que c'est toujours aujourd'hui que nous devons vivre à la hauteur de la foi et de l'éthique de l'amour. Il ne peut y avoir de temps perdu à suivre nos désirs et nos passions mais chaque jour manifester, exprimer notre foi en ayant un geste d'amour. Un geste, une parole, une écoute, un regard qui change le monde autour de nous et le fait être plus dans l'Esprit du Christ, dans l'esprit de Noël.
Si nous avions nous aussi cette certitude des premiers chrétiens comme des Réformateurs, nul doute que nous irions immédiatement nous réconcilier avec nos ennemis, dire à ceux que nous aimons à quel point ils comptent pour nous et dire le vrai à ceux qui l'ignorent. D'autres peut-être se réjouiraient d'être les élus de Dieu, d'autres encore s'abîmeraient dans la repentance et la prière, d'autres peut-être seraient paniqués dans la crainte du jugement. Mais ce que Paul nous dit, c'est que dans le temps d'aujourd'hui, nous qui vivons toujours dans le « temps qui reste », il nous faut accomplir la loi, c'est-à-dire en toutes choses faire grandir l'amour et nous abstenir de tout mal fait au prochain.
C'est sans doute ce qui est le plus extraordinaire dans ce texte. Paul donne une si belle définition de ce qu'est l'amour au sens chrétien du terme : l'accomplissement. Ce mot d'accomplissement est typique de Paul, il est le seul à l'utiliser dans le sens d'abondance, de quelque chose qui est non pas réalisé une fois pour toutes mais qui se réalise au fur et à mesure qu'il se produit. De même que l'amour de Dieu ne peut avoir de fin ni de limite, nos actes et nos paroles d'amour, simples ombres et pâles lumières de cet amour divin s'accomplissent au fur et à mesure et s'enrichissent chaque jour.
C'est ainsi qu'à l'image d'un carême, nous pouvons tout au long de cette période de l'avent nous « dépouiller d'une œuvre de ténèbres et (nous) revêtir des armes de lumières » : vingt-quatre manières de donner du sens à notre fête de Noël.
Roland Kauffmann







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