Célébration œcuménique – Notre Dame, Guebwiller, 26 janvier 2025

Jan Vermeer, Le Christ dans la maison de Marie et Marthe, vers 1654-1655. National Gallery of Scotland, Edinburgh, UK
N'est-ce pas extraordinaire ? Oui, n'est-ce pas extraordinaire ce qui se passe en ce lieu ce matin, en cette église Notre-Dame de Guebwiller où nous sommes réunis, une fois encore, pour célébrer notre foi commune ? Nous tous qui sommes ici assemblés sommes heureux de nous retrouver années après années dans cette forme d'alternance, marquée encore par la proximité de nos lieux de cultes, le temple à l'ombre – ou à l'abri ? De Notre-Dame.
Mais nous ne devons pas nous habituer à cette richesse, à cette grâce qui nous est faite de pouvoir nous réunir pour prier, non pour que l'unité advienne entre nos communautés mais pour remercier notre Seigneur de cette unité déjà réalisée en lui et manifestée par notre diversité précisément. L'histoire et la théologie, deux choses qu'il ne faut jamais oublier, nous ont dans un premier temps éloignés les uns des autres, catholiques et protestants se sont déchirés et ces mêmes choses qui nous avaient séparés, l'histoire et la théologie, nous rapprochent aujourd'hui.
Parce que nous avons les uns et les autres approfondi notre foi, nous avons découvert ce qui nous unit plutôt que ce qui nous distingue et surtout, nous avons appris à considérer nos différences comme une richesse et une possibilité de nous instruire réciproquement. Or, cette diversité est peut-être aujourd'hui l'une des choses qu'il va nous falloir défendre le plus ardemment dans les années qui viennent. Alors que tout se conjugue pour unir les forces de manipulation de masse, que les courants politiques et idéologiques les plus réactionnaires ont plus de pouvoir que jamais, que les théologies les plus excluantes se développent, nous devons rendre grâce pour la possibilité que nous avons encore, ici à Guebwiller ou à Soultz, de pouvoir prier ensemble pour le monde et nous soutenir les uns les autres dans cette unité fraternelle qui reconnaît et accepte l'autre dans toute sa différence, sans rien vouloir abolir de ce qui nous rend particuliers. Merci à vous tous, frères et sœurs catholiques de Guebwiller que de nous accueillir dans cette église où il n'y a plus en cette heure, ni protestants ni catholiques, ni hommes ni femmes mais des frères et des sœurs en Christ, attentifs à sa parole et soucieux d’œuvrer pour le royaume de Dieu là où nous sommes, à notre porte, dans notre ville et dans notre vie quotidienne.
Cette volonté partagée d'incarner le message de l'Évangile et de nous laisser transformer par lui nous est, en effet, commune. Et les équipes de préparation de cette journée ont travaillé à partir de ce texte magnifique de l'évangile de Jean où Jésus rencontre successivement Marthe puis Marie au moment terrible de la mort de leur frère Lazare.
C'est un évangile qui est régulièrement utilisé lors des obsèques pour célébrer l'annonce de la résurrection et les prédicateurs, Norbert ou moi-même, nous mettons bien sûr l'accent sur la parole du Christ « moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ». Mais ce n'est pas sur cette affirmation que notre attention est appelée aujourd'hui.
Votre Pape, François, a décrété cette année 2025 comme étant une année jubilaire, le « jubilé de l'espérance » et dans l'Église catholique, vous vivrez une série d’événements marquants à ce sujet. Ce jubilé a aussi pour but de marquer l'anniversaire de la confession de foi de Nicée-Constantinople, qui a scellé l'unité de l'Église en 325 après Jésus-Christ. Et bien des points affirmés au IVe siècle de notre ère nous sont encore communs aujourd'hui tout en restant ouverts au débat. C'est donc la question de la foi que nous devons nous poser.
L'ancien mot pour désigner une confession de foi, c'était le mot « symbole ». Ainsi le « symbole de Nicée-Constantinople » ou le « symbole des apôtres » désigne ce que l'on appelle aujourd'hui le Credo ou la confession de foi : « je crois en Dieu / nous croyons en Dieu ». Le symbole des apôtres commence par « je crois en Dieu le Père » quand le symbole de Nicée commence par « nous croyons en Dieu ». Cet équilibre entre « je » et « nous » est au cœur de la question de la foi.
C'est toujours « moi » qui croit mais au sein d'une communauté, avec une communauté de foi. Ces deux choses doivent aller ensemble. On ne peut croire tout seul dans son coin, sauf à tourner en rond ; on ne peut croire par procuration, sauf à faire semblant de croire. Et le mot « symbole » dit précisément cela. Le « sum » signifie « ensemble », « réunis », non pas confondus mais « alliés ». Le « symbole » c'est ce qui rassemble, qui va dans une même direction tandis que le « diabole » disperse, fragmente, oppose. Dans ce mot de « diabole » par opposition à « symbole » vous aurez entendu le « diabolos », le diable, celui qui divise, celui qui depuis le fond des âges instille le doute, la méfiance, la médisance, qui nous enferme derrières nos murs et nos portes closes.
Des portes closes, des murs de certitudes érigés en barricades, les unes contre les autres avec des vérités qui s'opposent avec d'autant plus de forces qu'elles ne sont fondées que sur des illusions ou sur des rapports de force ou de terreur. Et pire encore des vérités qui ne sont plus elles-mêmes que des ombres, voilà ce qui arrive quand le diable appelle « mal » ce qui est « bon » et « bon ce qui est mal ». Rien ne pourra empêcher le diabolos de décider que 2 & 2 font 5 si ça l'arrange.
Et c'est à cet endroit précis que le Christ nous rejoint dans ce dialogue avec Marthe avec ce moment extraordinaire où il lui demande « Crois-tu cela ? ». Tout l'esprit de Jésus est là, dans cette simple question, avec toute sa force et son naturel, dans la question bien plus que dans l'affirmation. Regardons plus attentivement ce qui se passe dans le texte.
Une foi ancienne à relire
Lazare est mort ! Et Jésus, prévenu, arrive alors que son ami est déjà enterré depuis quatre jours et Marthe vient à sa rencontre, tandis que Marie, fidèle à son habitude d'être dans la contemplation l'attend à la maison. Marthe ne peut pas s’empêcher de bouger, de s'agiter, vous la connaissez, elle est comme ça et évidemment, elle est comme nous, la tristesse se transforme en reproche : « si tu avais été là, tu aurais su le guérir ». Jésus ne s'excuse pas mais il la rassure en lui disant « ton frère ressuscitera » et elle de répondre quelque chose comme « oui, oui, je le sais bien, au dernier jour ! » Sous-entendu, « ça me fait une belle jambe, c'est aujourd'hui qu'il me manque », exactement ce que nous ressentons tous dans une telle circonstance.
La résurrection « au dernier jour » dont elle parle, c'est le contenu de la foi des juifs de son époque. Le dernier jour, c'est le jour avant la venue du Messie, tous les morts de tous les temps doivent se relever pour le jugement qui va être exercé par l'envoyé de Dieu, voilà ce que croit Marthe. Et ce que lui dit Jésus est une révolution : en substance, il lui dit, « je le suis moi qui te parle, je suis celui que tu attends ». « Crois-tu cela ? ». Et Marthe de répondre « Oui, je crois maintenant que tu es bien celui que nous attendions et que le jour est arrivé ».
Marthe a changé, elle a compris que le temps n'est plus à l'attente mais à la réalisation, à l'accomplissement de la promesse, le royaume attendu est arrivé, il commence là devant le tombeau de Lazare. Et Jésus se révèle à cet endroit de l'évangile de Jean, avant même d'aller à Jérusalem pour sa passion, comme étant le Messie, le Christ, attendu de toute éternité.
« Crois-tu cela ? »
En posant cette simple question à Marthe, le Christ nous la pose aussi à nous aujourd'hui rassemblés dans cette église. Il lui demande, comme à nous, de relire sa foi, de l'interroger, de la questionner à la lumière nouvelle du message de Jésus. « Voilà ce que tu as appris et que tu répètes sans y penser mais voilà ce que je te dis moi, crois-tu ce que je te dis ? » Et vous aurez remarqué que la seconde parole de foi de Marthe est enracinée dans la première. Elle ne change pas de foi, elle en comprend enfin la signification, simplement que le temps est arrivé et voilà qui change tout.
Relire aujourd'hui notre foi
Voilà ce qu'est notre foi commune, c'est en même temps faire communauté, nous relier les uns aux autres mais c'est aussi toujours à nouveau relire nos textes, les approfondir pour les comprendre dans nos situations, avec les mots et les termes d'aujourd'hui pour répondre aux questions du monde d'aujourd'hui. C'est ce qu'ont fait les théologiens du IVe siècle qui ont adopté le Symbole de Nicée en 325, il y a 1700 ans. À nous aujourd'hui, comme Marthe et comme les auteurs du Symbole, de dire notre foi pour aujourd'hui. Et pour y parvenir la pensée d'Albert Schweitzer, le théologien du Royaume de Dieu, dont nous célébrons cette année le 150e anniversaire de la naissance, peut nous aider.
Vous connaissez son grand principe : le « Respect de la vie » ou plus exactement « Respect pour la vie » ou « devant la vie ». Or qu'est-ce que le respect ? Nous le savons ! Nous nous respectons les uns les autres. Ça n'a rien à voir avec la peur, avec la soumission ou la crainte mais le respect, c'est simplement le contraire de la négligence, de l'indifférence ou de la distraction ; c'est le contraire de « faire comme si de rien n'était » et de « passer à autre chose », c'est faire attention, prêter attention, veiller sur les êtres et les choses avec le plus grand soin, le plus grand souci, le plus grand respect et c'est bien de cela que nous avons le plus grand besoin aujourd'hui.
« Crois-tu cela ? » « Crois-tu que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde ? ». Respecter la vie, la défendre, l'aimer, veiller sur elle, aider à sa restauration là où elle est blessée, préserver sa richesse et sa capacité à être, le soin attentif et respectueux des êtres et des choses. Non pas de la nature mais de tout ce qui vit et en premier lieu de notre prochain, nos frères et nos sœurs, au près ou au loin qu'il nous faut respecter comme nous-même, c'est à dire aimer comme nous- même. C'est ainsi que nous relirons ce commandement de la loi, voilà comment aimer Dieu de tout son cœur, de toute sa force et de toute sa pensée : en respectant la vie qu'il nous a donnée.
Voilà sans doute l'une des plus belles réponses qui puisse être à la question de Jésus : « Crois-tu cela ? ».
Roland Kauffmann
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