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L'amour est inépuisable

  • Roland Kauffmann
  • 8 juil.
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 sept.

 

Guebwiller 6 juillet 2025 – Baptême Jade Buttner


"Le retour du fils prodigue" Rembrandt, 1668, musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg
"Le retour du fils prodigue" Rembrandt, 1668, musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg


Dans cette lettre à son jeune disciple Timothée, Paul nous livre un portrait peu flatteur de lui-même, c'est le moins que l'on puisse dire. Il reconnaît avoir été blasphémateur, persécuteur, colérique incorrigible. De plus, il vient d'avoir des mots extrêmement durs envers ceux qui se sont égarés dans de vains discours.

 

Il ouvre en effet sa lettre à Timothée par une condamnation sans appel envers ceux qui « veulent être docteurs de la loi et ne comprennent ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils affirment » (1,7) et tous ceux qui sont « débauchés, méchants, parjures, sacrilèges et menteurs » et il encourage au contraire le jeune Timothée à leur tenir tête ; à tenir ferme face à tous ceux qui voudraient ramener la toute jeune Église que Paul a fondé à Éphèse dans les doctrines et les pratiques de l'ancienne foi d'Israël.

 

Nous sommes dans ces premières années où tout se décide, tout s'organise. Où les chrétiens ont le choix entre rester une secte juive ou devenir une nouvelle forme de l'alliance de Dieu avec l'humanité, une image du royaume de Dieu qui est à venir ou une actualisation de la pratique juive. L'enjeu est essentiel car il oppose ceux qui croient que la foi est plus importante que la loi, ceux qui croient d'un côté que la foi est la condition du salut et de l'autre ceux qui croient que c'est la loi qui garantit le salut. Autrement dit, entre ceux qui croient au salut par la foi et ceux qui croient au salut par les œuvres de la loi, c'est-à-dire par les sacrifices et les rites, les offrandes et les traditions.

 

C'est dans ce débat essentiel qu'est plongé Paul face à ses contradicteurs, les autres apôtres chrétiens qui soutiennent qu'il ne suffit pas de croire mais qu'il faut encore et toujours respecter la loi. Il est bien seul face à Pierre, à Jacques ou encore à André, les apôtres historiques, ceux qui sont à Jérusalem et ont toute l'autorité. D'abord parce qu'ils dirigent la plus ancienne Église celle de Jérusalem mais aussi et surtout parce qu'eux peuvent se vanter d'avoir connu Jésus, d'avoir été ses compagnons de route, alors que lui, Paul, ne l'a jamais vu autrement que dans une vision.

 

Le désaccord entre Paul et les autres apôtres est profond et va entraîner des querelles incessantes. Il devra tout au long de sa vie défendre ses positions et, fort heureusement, il n'est pas seul. Il peut s'appuyer sur une communauté d'esprit, on dirait aujourd'hui un réseau de collaborateurs qui, dans tous les lieux possibles, essaient de maintenir la ligne de pensée qu'il défendait. Parmi ces adjoints, ces compagnons, il y a beaucoup de femmes de la bonne société d'alors qui accueillent les Églises dans leurs maisons ou même qui prêchent. Et même s'il ne permet pas aux femmes d'enseigner ni de prendre de l'autorité (2,12), c'est-à-dire de ne pas parler avant les hommes, c'est avant tout parce qu'il sait très bien que ses adversaires en tirent prétexte pour les condamner, lui et toutes celles et ceux qui sont en accord avec lui.

 

C'est dans ce contexte qu'il livre ces confidences à son jeune ami. En ne se plaçant plus sur le plan de la doctrine, de la controverse intellectuelle ou théologique mais justement sur le plan de l'intime et du personnel. Il prend alors sa propre histoire comme une parabole, une illustration, de l'œuvre de Dieu dans la foi (1,4). Sa conviction de la miséricorde première de Dieu lui vient de sa propre expérience, chevillée au corps et à l'âme parce qu'il l'a vécu.

 

Il raconte l'extraordinaire inversion des valeurs et des règles qu'il a vécu. Lui qui était juif, hébreu né d'hébreux, adorateur de la loi, scrupuleux dans les moindres détails de l'obéissance à la loi, lui qui était pharisien, c'est-à-dire spécialiste des textes et des commandements, voilà qu'il déclare avoir été en réalité blasphémateur à cette époque, persécuteur de l'Église parce que dans l'ignorance et l'incrédulité. Lui qui connaît la loi de l'intérieur, de la manière la plus profonde et sincère, lui peut en dévoiler le véritable caractère. Si ses détracteurs la connaissaient comme lui, ils sauraient que la loi ne peut garantir le salut. Il faut entendre la violence de Paul : il dit en substance que ses adversaires ne connaissant pas la loi comme lui la connaît ne peuvent pas comprendre la menace qu'elle fait peser sur l'Église. Le risque de se tromper sur la véritable nature du salut.

 

Car Paul ne place le salut ni dans la loi ni même dans la grâce. Pour lui, ce ne sont ni la loi ni la foi qui sauvent mais la croix de Jésus. Voilà l'œuvre de Dieu dans la foi « Le Christ-Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs » et « ce ne sont pas les autres qui sont les pécheurs mais c'est moi, Paul, qui pourtant n'a jamais fait autre chose que respecter la loi. Même quand je tuais des chrétiens, c'était parce que la loi m'y autorisait, m'y incitait, m'y encourageait ».

 

Il faut bien comprendre que Paul, avant sa conversion au christianisme n'est pas un méchant ni un voleur ni un parjure ni un menteur. Il n'a jamais dérogé aux dix commandements. Au contraire, c'était un homme respectable et respecté même dans sa violence envers les hérétiques chrétiens. Ils ne méritaient pas de vivre à cause de leur blasphème contre Dieu en considérant Jésus comme l'envoyé de Dieu, le Christ. Et il nous dit, c'est au moment où je me croyais fidèle à la loi que j'étais en réalité blasphémateur parce que je n'avais rien compris à la loi ni à l'alliance, parce que j'avais fait de la loi un instrument de mort et non pas de vie.

 

C'est une expérience intime, au plus profond de son être, qui l'a fait basculer. Une expérience que Luc, un autre de ses disciples, nous raconte dans le livre des Actes des apôtres (Actes 9) et qu'il raconte lui-même à Timothée en lui disant que ce qui est déterminant, ce n'est ni la loi ni la foi mais la croix et que tout le reste en découle : la grâce, la foi et l'amour qui sont en Jésus, voilà ce qui compte et qui déborde avec surabondance. Paul ne parle pas de notre foi, de notre amour ni de notre grâce, c'est-à-dire du pardon que nous nous accorderions à nous-mêmes. Non il parle de l'amour du Christ, de la foi du Christ et de la grâce qui nous vient du Christ.

 

C'est lui, le Christ-Jésus qui est au cœur de l'histoire, au cœur de notre foi, qui nous donne sa grâce telle qu'elle se manifeste dans le baptême, comme celui que vient de vivre la petite Jade. Le geste que nous venons de faire, les mots que nous venons de prononcer, n'ont de sens et de signification qu'en tant qu'ils disent cette promesse de la grâce qui est en Jésus-Christ. Ils ne sont que des mots et des ombres s'ils ne disent pas notre foi en Jésus et notre gratitude pour l'amour qu'il a pour nous. Les mots et les gestes ont une immense portée sans pour autant être magiques.

 

L'affirmation que Jade, avant même qu'elle en ait conscience, est déjà aimée de Dieu en Jésus-Christ ne pourra jamais lui être enlevée. Rien, ni la mort ni la souffrance, ni les difficultés de la vie et les erreurs de l'existence ne pourra faire que Jésus ne soit pas venu pour elle et pour chacun d'entre nous.

 

Car nous pouvons tous dire « je rends grâce » comme le fait Paul. Il ne parle pas ici que de lui mais de nous. Bien sûr qu'il fait référence à son ministère particulier, à son propre baptême mais nous aussi avons été baptisés, certains comme Jade, enfant sans conscience encore de ce qui se passe, d'autres comme adolescents, d'autres encore comme adultes marquant ainsi leur prise de conscience de cette surabondance de l'amour de Dieu en Jésus-Christ, manifesté par la croix. Mais tous à un moment ou un autre de notre vie avons à nous souvenir de notre baptême, à le faire ressurgir dans notre existence concrète pour qu'il puisse se manifester dans une nouveauté de vie.

 

Le baptême est une ressource qui nous est offerte. Et une ressource, contrairement à la pensée matérialiste, n'est pas un stock toujours disponible aussi longtemps qu'il y en a et en rupture quand il n'y en a plus. Le baptême n'est ainsi pas un gisement dans lequel on pourrait puiser jusqu'à épuisement, ce n'est pas une quantité de grâce ou de pardon qu'on pourrait user jusqu'à la fin.

 

C'est l'histoire de cet homme qui avait deux fils et dont l'amour était inépuisable (Luc 15, 11-32). Alors que le fils cadet, celui qui avait dilapidé tout son héritage pensait que la ressource d'amour de son père était épuisée, qu'il ne pourrait plus en bénéficier, il s'aperçoit à l'inverse de la surabondance de cet amour d'un père qui ne se préoccupe pas de ce qu'a fait ou n'a pas fait son fils qui ne lui demande aucun compte mais se réjouit simplement que son fils qui était mort est revenu à la vie.

 

Jade en étant baptisée vient d'hériter de cet amour immérité, sans conditions ni préalables. Elle en a reçu sa part et cette ressource est, à l'inverse de tout ce qu'offre le monde, une ressource infiniment renouvelable. Le mot même de « ressource » vient du latin resurgere c'est-à-dire « se relever », « se rétablir, se ranimer », « ressusciter ». Le baptême est cette résurgence de la vie dont nous héritons, celle qui nous permet de nous relever à chaque pas, de nous rétablir et de nous ranimer, sachant que le « secours », autre signification du mot « ressource » nous vient de l'Éternel dont le prophète Michée nous disait déjà qu'il « aura encore compassion de nous (et qu'il) jettera au fond de la mer tous (nos) péchés » (Michée 7, 19).

 

« La ressource, c'est ce qui se renouvelle »[1]. La ressource, c'est ce qui nous permet de vivre, c'est-à-dire d'exprimer toutes nos potentialités, tout ce que nous pouvons faire avec cette ressource inépuisable de bienveillance, de compassion et d'amour. L'image du père aimant inconditionnellement, celle que nous raconte l'évangile de Luc, illustre bien cette dimension d'une ressource infiniment renouvelable. Nous qui avons la chance d'être parents, nous savons bien ce que c'est qu'aimer. Nous savons que ce n'est pas une quantité négociable, faite de calcul et d'intérêts. Certains d'entre nous souffrent de la maladie de leur enfant, d'autres souffrent de son absence, de sa disparition ou de son indifférence, d'autres désespèrent de revoir un jour leur enfant mais comme la famille de Cécile Kohler ne cesse de l'expliquer, à chaque fois qu'on lui demande d'où lui vient la force de se mobiliser pour Cécile, elle répond que « l'amour est inépuisable ».

 

Nous qui, comme Paul, sommes pécheurs et comme lui imparfaits, savons pourtant bien ce qu'est l'amour. Combien plus grand est celui dont Dieu nous aime en Christ-Jésus. À Jade et à chacun d'entre nous qui sommes baptisés d'hériter de cet amour et de transformer nos vies en nous relevant de nos fautes et de nos erreurs.

 

 


[1]    Grégory Quenet, professeur d’histoire de l’environnement à l’université de Versailles-Saint-Quentin, France Culture, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-matins-d-ete/les-matins-de-france-culture-emission-du-mardi-01-juillet-2025-3331592, 1/07/2025, 1:38:31 – 1:39:56. auteur de Histoire de la pensée écologique, PUF, 2025

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