top of page
Roland Kauffmann

L'arbre de vie et de la connaissance

Dernière mise à jour : 15 mars 2023

Présentation de Capucine Jaouen – Guebwiller 25 septembre 2022

Roland Kauffmann


Le récit de la création du monde que nous venons d'entendre est certainement l'un des textes bibliques les plus profondément ancrés dans notre culture occidentale. En effet, nul besoin d'avoir une culture biblique pour avoir entendu parler de ce jardin d’Éden, de ce paradis où le premier homme, ou plus exactement le premier couple, a été placé par l'Éternel Dieu. Remarquons qu'à proprement parler il ne faut pas confondre Éden et le jardin, le jardin est en Éden comme Guebwiller est en Alsace.

Et le texte de nous donner quelques détails sur la géographie de l'Éden en nous décrivant le fleuve primordial, sortant de la montagne et irriguant le jardin avant de se diviser en quatre bras énormes qui entourent tout le monde connu. Parmi ces fleuves, il en est un qui nous est encore connu aujourd'hui, c'est l'Euphrate. Est-ce à dire que les autres auraient disparu ? Où sont passés le Pichôn, le Guihôn et le Hiddéquel ? Sans doute que le compilateur du mythe du jardin d'Éden devait vivre au bord de l'Euphrate et avait entendu dire qu'il y avait une vaste étendue d'eau au Nord, une autre au Sud et enfin une dernière à l'Ouest. La Mer Noire au Nord, le Golfe persique au Sud et la Méditerranée à l'Ouest, voilà l'horizon de notre mythe du Jardin d'Éden.

Car oui, cette histoire du premier homme, seul dans un jardin merveilleux est un mythe. N'en déplaise aux fondamentalistes de toutes sortes, la Bible ne nous raconte pas la réalité de l'apparition de l'humanité sur la terre. J'en veux pour preuve, s'il en fallait, le simple fait que la Genèse nous donne elle-même deux versions différentes de la création du monde et de l'humanité. La première dure sept jours et l'homme et la fin y sont crées à partir de rien ou plutôt à partir de l'image de Dieu. La seconde création ou plutôt le second récit parce qu'il n'y a pas deux créations successives, nous raconte que la terre était vide jusqu'au moment où une vapeur s'éleva de la terre et que l'homme fut pris de la poussière, plus exactement de la boue, de la glaise, rendue souple par l'apport de l'eau.

D'abord, rien, le vide, puis de l'eau ; de la boue qui reçoit une forme humaine, un jardin planté « du côté de l'orient », toutes sortes d'arbres et surtout les deux arbres fameux que sont l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Et pour finir, le premier commandement donné par l'Éternel Dieu à l'homme qui est de ne surtout pas manger de ce dernier arbre « le jour où tu en mangeras, tu mourras ». La suite, vous la connaissez, l'homme ne va pas rester seul bien longtemps car il lui manque la meilleure partie de lui-même. Un homme n'est jamais grand chose sans sa femme, ce n'est pas moi qui le dit mais la Genèse... mais c'est une autre histoire.


Devenir une vie vivante

Ce qui m'intéresse aujourd'hui dans ce mythe du jardin d'Éden, c'est de comprendre ce qu'il nous dit de l'humain, dans sa vérité. Car nous avons fait tout à l'heure quelque chose d'essentiel. Nous avons béni Capucine, et je dis nous car je ne suis jamais que le représentant de la communauté, et à travers moi, c'est la communauté qui a bénit Capucine, cette enfant que vous nous avez présentée. À travers ces gestes et ces quelques paroles, qui pourraient paraître bien anodines, nous avons cependant reproduit ce geste primordial de la création du monde.

Je m'explique. L'Éternel Dieu prit de la poussière, lui donna une forme et insuffla sans ses narines un « souffle vital » et il devint un « être vivant ». En Hébreu, le mot « souffle » se dit « neshamah » et le mot « être » se dit « nephesh », neshamah-nephesh ou la vie vivante. D'un côté ce qui est, de l'autre ce qui devient. Adam, l'homme, est poussière morte et le souffle le rend vivant. Autrement dit, la chair devient une «âme », autre signification du mot « nephesh ». En hébreu, l'âme et l'être, c'est la même chose, il ne peut y avoir d'être véritable sans âme. L'un et l'autre, l'être et l'âme sont indissolublement liés, il faut du souffle pour que la forme humaine, la chair, la réalité que constitue notre corps, devienne un être, devienne véritablement vivant.

Or nous savons que l'Éternel Dieu est un Dieu qui parle et même qu'il est avant tout une parole. C'est l'évangile qui nous le dit, « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » (Jean 1,1). Si Dieu est Parole, qu'est-ce que cela signifie sinon que le souffle qu'il a donné à l'homme est aussi une parole ? Car le souffle qui a rendu l'homme vivant ne peut être du vent, ne peut être quelque chose d'inconsistant et de futile. Le souffle primordial qui a rendu l'homme vivant est évidemment une parole, une promesse, une déclaration d'amour.

Ce que nous dit le récit du Jardin d'Éden, c'est que l'humain est avant tout un être de parole, une forme qui se constitue à partir de ce que l'on en dit. Notre identité, ce que nous sommes, ne vient pas de la forme que nous avons mais de ce que nous disons de nous-mêmes, c'est-à-dire de l'intention que nous avons. Ce qui compte c'est la personne morale que nous sommes. Et ce que nous avons fait symboliquement avec Capucine, c'est cela, nous avons prononcé une parole qui a pour intention de lui donner un souffle de vie.


Bien évidemment, c'est symbolique car la première parole qui a donné vie à Capucine, c'est celle par laquelle vous l'avez accueillie au sein de votre famille, les mots de tendresses et d'espérance, de promesse et d'engagement avec lesquels vous lui avez donné du souffle. C'est là une des grandes vérités de notre mythe du jardin d'Éden. Chaque être humain revit dans sa chair cette création primordiale par les mots qui sont dit sur lui, par le souffle qui lui est donné, au premier chef par ses parents.

Mais vous avez voulu aller au-delà de vous-mêmes et nous la présenter pour qu'à notre tour nous lui donnions vie en prononçant une parole d'accueil et de bénédiction et que cette parole soit un souffle qui fasse partie de son existence. Vous avez par là souhaiter l'enraciner dans une réalité qui vous dépasse, dont vous faites partie mais qui est bien plus vaste que votre famille et votre cercle d'amis. En nous présentant Capucine, vous avez d'abord dit l'importance de l'Église pour vous, bien au-delà de notre communauté et de l'Église en tant qu'institution humaine bien imparfaite, vous avez dit en nous présentant Capucine que la représentation du monde et du rapport entre les hommes que l'on trouve dans l'Évangile vous nourrit et vous inspire. Vous avez dit à Capucine « voilà le souffle que nous voulons te donner, c'est celui que l'on trouve dans les paroles du Christ ».

Vous n'avez pas souhaité qu'elle soit baptisée parce que vous souhaitez qu'elle puisse vivre cet événement du baptême en pleine conscience et dans sa parfaite décision quand elle le pourra mais votre intention est là. Car en nous la présentant, vous n'avez pas seulement dit que l'Église compte pour vous mais vous lui avez donné une communauté, c'est-à-dire une appartenance. Et je pense sincèrement qu'il n'y a rien de plus nécessaire dans le monde d'aujourd'hui que d'avoir une appartenance, d'être enraciné dans une histoire qui nous porte, nous inspire et nous oblige.

Lors de notre rencontre pour préparer cette présentation de Capucine, nous avons évoqué quelques philosophes qui peuvent inspirer votre recherche de Dieu et entre Vladimir Jankélévich, Marcel Conche ou encore Spinoza, je vous invitais à lire Simone Weil. Dans la liste de ce qu'elle appelle « les besoins de l'âme », elle termine en disant que « parmi tous les besoins, il n'en est pas de plus important que d'avoir un passé ». Elle veut dire par-là pouvoir s'inscrire dans une tradition, dans une histoire avec des valeurs qui nous permettent de ne pas être ballottés au gré des vents des modes et des idées. Être enraciné ne veut pas dire être immobile et figé, c'est ne pas se laisser emporté par tous les vents de doctrine. Et il n'y a rien de plus important aujourd'hui que de donner une identité à nos enfants comme vous le faites avec Capucine car si nous ne le faisons pas, ils seront la proie des séducteurs, des marchands, des gourous et des charlatans, de ces lions rugissants dont nous parlait l'apôtre Pierre (1 Pierre 5,8). Ils rodent autour de nos enfants, ceux qui veulent capter leur attention pour en faire des êtres décervelés, sans histoire, sans saveur, sans caractère, sans personnalité, sans avenir finalement.


Et c'est cela que vous refusez ! En nous présentant Capucine, vous l'inscrivez dans une histoire, vous lui donnez un passé dans lequel elle pourra puiser pour décider de son présent et de son avenir. Vous reproduisez l'acte primordial, vous reproduisez l'histoire du jardin d'Éden car vous placez Capucine devant deux arbres, l'arbre de vie et l'arbre de la connaissance du bien du mal.


Là aussi le mythe nous dit la vérité de notre condition humaine car nous sommes toujours confrontés à cette même opposition, la vie d'une part, le bien et le mal d'autre part. Vous dites aujourd'hui à Capucine que comme chacun et chacune d'entre nous, elle sera confrontée à la nécessité de choisir, de donner une forme à son existence, en d'autres termes de donner une intention à ses actes. Voudra-t-elle faire le bien ou fera-t-elle le mal ? Cruel dilemme que nous connaissons tous.


Mais avez-vous remarqué que le récit ne nous donne pas le choix entre le bien et le mal ? Ce n'est pas ça l'alternative mais le choix est entre la « connaissance du bien et du mal » et la vie. Arrêtons-nous un instant sur ce mot de « connaissance ». Certains ont voulu voir dans ce terme, la science, la philosophie, la sagesse. C'est parce qu'il aurait voulu « connaître » que l'homme aurait péché. Le péché originel serait la volonté de savoir, de percer les mystères de la création alors qu'il aurait fallu rester dans l'innocence, comme si l'ignorance aurait pu être dans le dessein de Dieu lorsqu'il crée l'humanité.


La « connaissance » dont il est question ici n'a pourtant rien à voir, ni avec la philosophie ni avec les sciences, qu'elles soient humaines, physiques ou abstraites, ce n'est pas une affaire de « savoirs » mais de « volonté » et de « décision ». Il n'y a pas d'un côté la Vie et de l'autre le Savoir. Ce qui est en jeu dans cet arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est la prétention de l'homme de pouvoir décider de ce qui est bien ou mal comme si le bien ou le mal dépendaient de sa volonté.

i je décide, par exemple, qu'il est bien de faire ceci ou cela, si je suis le critère du bien et du mal, forcément « mon » bien va entrer en contradiction avec le « bien de l'autre ». Or si l'homme est mauvais, s'il est mené par ses passions, ses intérêts, ses égoïsmes, ce qu'il nommera « bien » sera en réalité « mauvais pour les autres » c'est une évidence !


Ce que nous dit le texte de la Genèse, c'est que nous ne pouvons pas être notre propre critère pour dire ce qui est bien et ce qui est mal. Il faut une instance qui nous soit supérieure et qui nous dise ce qui est bien ou mal. C'est le rôle des philosophies morales ou des philosophies politiques, voire des philosophies de la technique : est alors « bien » ce qui est efficace, rentable, utile. Et dans vos domaines d'activités, Claire et Hugo, vous voyez bien comment ces critères peuvent être relatifs et changeants. Que ce qui est « bien » pour les uns ne l'est pas forcément pour les « autres ».


C'est une réalité que le récit du jardin d'Éden décrit à merveille : quand on rentre dans ce jeu du bien et du mal, de la définition de ce qui est bien et de ce qui est mal, c'est la mort qui est au bout. Et on ne parle pas ici de notre mort physique, celle de notre corps mais de la mort de nos âmes qui peuvent mourir d'avoir renoncé à être bonnes.

Le Jardin nous propose un autre critère que celui de notre décision. Il nous donne une instance supérieure, c'est-à-dire qui devrait décider de ce qui est bien ou mal. Il nous donne un critère qui n'est autre que la vie. Dans toutes nos décisions, à quelque niveau que ce soit, il nous faut nous poser la question de la vie que ces décisions engagent. Vous le faites déjà, Claire et Hugo, vos décisions d'aujourd'hui sont orientées sur la vie que pourra avoir Capucine. Tout ce que nous faisons, c'est toujours pour donner un avenir à nos enfants. Mais si dans l'action politique ou dans l'acte de décision morale, nous nous posions la question de la vie des autres, de ce qu'on appelle les générations futures : quelle vie sera-t-elle possible demain en fonction des décisions que nous prenons aujourd'hui ? Une vie bonne, c'est-à-dire dire libre et sobre, digne et heureuse pour toute l'humanité, est-elle possible en fonction des décisions que nous prenons.

Cette alternative entre d'une part, la vie pour tous et l’égoïsme de quelque uns d'autre part, se retrouvera dans la grande exhortation fondamentale de la Loi de Moïse : au peuple qui va entrer dans la terre promise, nouveau jardin d'Éden, Moïse lance « Vois, j'ai placé devant toi la bénédiction et la malédiction, la vie et la mort. Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta descendance, pour aimer l'Éternel ton Dieu, pour obéir à sa voix et pour t'attacher à lui » (Deutéronome 30, 19-20)

En demandant la bénédiction de Capucine, voilà ce que vous avez fait, vous avez choisi la vie. Que Capucine soit portée par ce souffle vital qui fera d'elle un « être vivant ».


Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page