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Le droit à la prière

Photo du rédacteur: Thierry HolweckThierry Holweck

Pourquoi et comment prier ?

Guebwiller 12 janvier 2025 – KT – La prière I





Y-a-t-il aujourd'hui quelque chose de plus ringard que la prière ? La question peut sembler saugrenue quand on la pose devant une assemblée comme la nôtre, justement composée de gens habitués à prier, soit individuellement, chacun chez soi dans sa chambre, soit collectivement lors de nos cultes.


Et pourtant elle est importante cette question. D'abord parce que nous devons toujours nous demander pourquoi nous faisons telle ou telle de chose de manière à ce que nous le fassions en pleine connaissance de cause. Ensuite, avant même de savoir pourquoi nous le faisons, il est important d'en connaître les conditions. Et vous le savez sans doute, notre Conseil a entamé une réflexion sur notre pratique du Notre Père afin de déterminer si notre paroisse devait (enfin diraient certains) adopter la nouvelle formule du Notre Père qui fait l'objet d'un consensus oecuménique depuis 2010.


Or ce qui a été passionnant dans la discussion du Conseil, c'est que nous ne nous sommes pas arrêtés à la question de nos préférences individuelles, ni à des raisons opportunistes qui seraient par exemple, la nécessité de faire comme toutes les autres paroisses de notre Église ou encore de s'aligner avec les Églises sœurs, ici à Guebwiller et ailleurs dans le monde. Il nous a paru bien plus intéressant de nous interroger d'une manière plus globale sur le sens de la prière, en quoi elle est importante pour nous.


J'avais préparé un questionnaire à vous soumettre, une consultation pour recueillir vos avis, et je pensais que nous allions vous le proposer dès aujourd'hui mais le Conseil a souhaité que la question soit évoquée lors des sermons et d'autres rencontres paroissiales et je m'exécute donc avec grand plaisir.


D'autant plus qu'il me semble que le sujet de la prière concerne particulièrement nos jeunes catéchumènes qui sont présents aujourd'hui. Les anciens parmi nous ont appris à prier dans le cadre de leur vie quotidienne et nous savons tous que ce sont justement les habitudes prises dans la jeunesse qui forment le cadre de la vie d'adulte. On ne découvre pas la prière quand on est vieux ou alors c'est trop tard. On peut aussi commencer à prier lorsqu'on est confronté à un danger, quand la peur survient et une tendance naturelle nous conduit alors à « faire nos prières » comme nos dernières volontés. C'est aussi s'attendre à une intervention miraculeuse, parfois un peu magique, et il arrive effectivement que la prière change les choses. On peut même penser que « la prière sauvera le monde »1.


La prière sauvera le monde


Essayons de voir comment cela peut se produire avec cette histoire racontée par Jésus à ses disciples. De manière assez surprenante, il ne met pas d'un côté un bon et un mauvais. On aurait pu en effet penser qu'il mette d'un côté un de ses adversaires et de l'autre côté, il dise « voilà comment nous devons faire » – c'est d'autant plus plausible que c'est exactement ce qu'il fait dans l'évangile de Matthieu où il explique, « voilà ce que font les autres et voilà comment nous devons faire » (Matthieu 6, 5-8), il n'utilise pas non plus une forme de prière comme un moyen de se différencier des autres groupes comme au moment où ses disciples lui demandent justement une prière spécifique pour se distinguer des disciples de Jean-Baptiste (Luc 11, 1-4).


Jésus prend deux personnages qui sont également détestés par ses disciples : un pharisien et un péager. Un péager c'est l'image même du traître, du mauvais, de celui qui est corrompu, à la solde du pouvoir, il collecte les impôts et toutes les taxes et redevances imaginables et déjà à l'époque, personne n'aimait payer des impôts. D'autant plus que les péagers n'hésitaient pas à en rajouter, il fallait prendre sa commission... !


Voilà donc deux personnes méprisables dans l'esprit des disciples et que pourtant Jésus prend en exemple. Le premier, le pharisien, fait exactement ce que les disciples pensent qu'il fera, il prie, non pas de manière hypocrite, il est très sincère dans sa prière, il est sincèrement heureux de lui-même et il rend grâce à Dieu de ce que celui-ci lui a donné d'être quelqu'un d'aussi extraordinaire, d'aussi pieu et fidèle à la volonté de Dieu. Le pharisien se tient devant Dieu comme un homme à la conscience pure, il n'a rien à se reprocher et sa prière est toute entière une louange à Dieu de ne pas être aussi mauvais que les autres, notamment ce péager détesté de tous y compris du pharisien.


On peut se demander d'ailleurs ce que le péager faisait là. Normalement ces gens-là n'ont d'appétit que pour le profit et le pouvoir, plus encore que le pharisien et si on les méprise, ils s'en fichent ils sont si riches et à l'aise que rien ne peut les atteindre. Et pourtant il est là, certes tremblant parce qu'il sait très bien qui il est et ce qu'il fait et sans doute même pourquoi il le fait.


Et avez-vous remarqué que Jésus ne le juge ni ne le condamne ? Alors même qu'on aurait pu s'attendre à ce que le péager regrette et s'engage à changer de vie, fasse des promesses, jurant que plus jamais il ne se laisserait aller à détourner des redevances. Il aurait, autrement dit, pû se comporter exactement comme le pharisien et se dire en lui-même « je te rends grâce que je ne suis pas comme ce pharisien si arrogant et sûr de lui, certes je ne suis pas quelqu'un de bien mais désormais tout va changer ».


Ce n'est pas ce que fait le péager ! Il ne fait qu'une chose, c'est demander pardon, se reconnaître en défaut dans toute sa lucidité, prendre conscience qu'il n'est pas capable par lui-même de changer, de s'engager en aucune manière et qu'il a besoin de Dieu pour que sa vie change.


C'est là toute la différence que pointe Jésus. Toute la prière est dans ces simples mots : « Pardon pour le pècheur que je suis »


Le droit à la prière


Et c'est la chose extraordinaire de ce passage que relevait justement Albert Schweitzer en préchant sur ce texte le 14 août 19041, ce que nous raconte cette parabole c'est que loin d'être une obligation, une contrainte ou une assurance contre les difficultés, la prière est une liberté, c'est un « droit » plus qu'un « devoir ». Même le péager, même s'il le fait en tremblant, même lui a le droit de demander pardon avec la confiance d'être accueilli et entendu. C'est à dire que justement, quelle que soient les ombres de nos vies, les hauts et les bas, quelque soit l'image que l'on peut avoir de soi-même, on peut se trouver nul, trop petit, trop faible, pas assez croyant, pas assez fidèle, pas assez ceci, pas assez cela. On peut être un moins que rien aux yeux de tous les autres, les plus grands, les meilleurs, les plus forts, on peut être méprisé et rejeté, on a toujours le droit de prier parce que lui ne nous rejettera pas plus qu'il n'a rejeté le péager.


Aujourd'hui que vous, jeunes et catéchumènes, êtes confrontés de diverses manières à des injonctions à vous conformer à l'image que le monde attend de vous. Que des influenceurs numériques vous disent à quoi vous devriez ressembler, comme vous devriez vous habiller, comment vous comporter, quoi penser et comment agir de manière conforme à la masse, la prière est un espace de liberté, un droit que nul jamais ne pourra vous enlever.


Aucun d'entre-nous n'est aussi pourri que ne l'était le péager, aussi corrompu et aussi méprisable et pourtant même lui pouvait se présenter devant Dieu. Voilà ce qu'est avant tout la prière. En tout cas telle que Jésus la comprend : ce lieu de vérité envers soi-même où l'on est relevé et accepté, le lieu du pardon et de l'apaisement. Alors ne faisons jamais de la prière le lieu de la routine et de l'hypocrisie, ni le lieu du jugement et de l'exclusion comme le fait le pharisien mais faisons-en le lieu du rendez-vous avec nous-mêmes dans toute l'humilité de notre condition humaine.


Paul va un peu plus loin lorsqu'il parle de ses prières à ses lecteurs de l'Église de Philippes. Si la prière est une liberté et un droit qui ne peut être enlevé c'est bien à lui. Au moment où il leur écrit, il est emprisonné, privé de toutes ses libertés et il sera bientôt exécuté. Sans doute qu'il le sait même s'il essaie de consoler ses lecteurs. Et pourtant, au plus profond de sa détresse, il lui reste la joie de pouvoir prier pour eux et non pas pour sa libération mais pour qu'ils grandissent dans la connaissance et dans une vraie compréhension des choses.


Une liberté qui nous transforme


Car la prière et j'en terminerai par là, si elle est un point de départ, une liberté toujours offerte, est un long chemin de transformation de soi et d'appropriation, de compréhension de ce qu'est Dieu, ce qu'est le Christ et ce que doit être l'idéal de vie pour chacun et chacune d'entre-nous en pleine sincérité. Bien loin de la misère du péager, la joie de Paul ! Mais cette joie a commencé de la même manière que pour le péager, par la reconnaissance par Paul de sa propre misère et sur ce chemin nous avons besoin d'étapes et d'encouragement, de bornes et de rythmes.


C'est la raison pour laquelle il nous faudrait prendre l'habitude de nous donner chaque jour un instant de liberté. Chaque jour, au moins une fois, au lever, au coucher, à midi, peu importe le moment, l'endroit et le lieu. Prendre ces deux ou trois minutes nécessaires pour dire le Notre Père, ou les béatitudes ou un psaume préféré, peu importe en soi, même si on le fait machinalement à la manière d'une récitation enfantine.


Vient toujours un moment si l'on en prend l'habitude où une phrase, un mot, s'illumine et nous aide à vivre, à prendre conscience de la présence de Dieu au plus près de nous. La prière est une force, une liberté que nul ne pourra jamais nous enlever, encore faut-il que nous ayons le courage d'être libres. Ce courage qu'a eu le péager, ayons-le à notre tour.


Roland Kauffmann



(1) Titre de l'ouvrage de Daniel Marguerat, Cabédita, 2016.

(2) Predigten 1898-1948, Richard Brüllmann et Erich Graber, Munich, 2001, p.589, inédit en français, cité par Matthieu Arnold, Prier 15 jours avec Albert Schweitzer, Nouvelle Cité 2012, p. 34-35.


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