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Le « Oui » de Dieu en Jésus-Christ

  • Roland Kauffmann
  • il y a 3 jours
  • 8 min de lecture

Guebwiller le dimanche 21 décembre 2025, quatrième Avent.



L'Apôtre Paul écrivant ses épitres, Valentin de Boulogne, XVIème siècle, musée des beaux arts de Houston, Texas
L'Apôtre Paul écrivant ses épitres, Valentin de Boulogne, XVIème siècle, musée des beaux arts de Houston, Texas


« p'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non », que les Normands qui seraient parmi nous ce matin veuillent bien me pardonner si je vous fais aujourd'hui une réponse de Normand ou plus exactement une prédication de Normand. Qu'est-ce que cela pourrait bien être qu'une telle prédication ? Ce serait une prédication qui ne voudrait pas trancher, qui ne voudrait pas dire, ne voudrait pas prendre de risque.

 

C'est ce que fait le Normand quand il répond à un inconnu. Il attend en fait que celui qui l'interroge aille un peu plus loin dans sa question et ce faisant révèle ce qu'il pense lui-même. Ce qui permet au Normand d'aller dans le même sens et de dire la même chose que ce que pense son interlocuteur de manière à ne pas le froisser, le déranger. C'est aussi une manière pour le Normand de préserver sa tranquillité et d'éviter les conflits qui seraient pour lui une perte de temps, particulièrement au moment où il doit faire la récolte de ses pommes ou de ses poires.

 

Si je me permets aujourd'hui d'évoquer de manière amicale les Normands, c'est en réalité pour brosser le tableau de la situation que rencontre Paul dans l'Église de Corinthe. Une Église qu'il a fondée, organisée avant de poursuivre sa route pour fonder et construire une nouvelle Église, dans une autre ville. Et c'est à Éphèse où il est confronté à de situations conflictuelles, notamment avec les commerçants du temple de Diane, qu'il apprend qu'il y a bien des désordres dans l'Église de Corinthe. Il écrit une première lettre très circonstanciée, où il répond aux diverses situations que rencontrent les Corinthiens. Mais les Corinthiens, bien qu'ayant été convertis par Paul, ne tiennent aucun compte ou presque de ses consignes et continuent comme si de rien n'était. Nous avons là un signe de l'autorité que pouvait avoir Paul, c'est-à-dire presque rien. Sa lettre n'aura quasiment servi à rien.

 

D'autant plus que d'autres apôtres, venus de Jérusalem, sont venus à Corinthe et ont tenu aux chrétiens de cette ville un tout autre discours que celui de Paul. Quand Paul voulait les corriger ou les encourager dans ce qu'il pensait être la vérité de l'Évangile, les autres disaient l'inverse de Paul, le décrédibilisaient, lui et ceux qui lui restaient fidèles. Le cas de Corinthe est caractéristique des luttes théologiques qui parcourent l'Église dans les premières décennies entre la mort et la résurrection de Jésus et la destruction de Jérusalem en 70 de notre ère.

 

Paul a voulu convaincre les juifs de la messianité de Jésus, qu'il était le Messie attendu depuis le temps des prophètes. Les juifs ne l'écoutant pas, il est allé vers les « Grecs », ceux qui sont de culture hellénistique. Paul considère que le salut de Dieu n'est pas réservé aux juifs mais à tout homme qui croit en Jésus-Christ, quelles que soient son origine et ses conditions sociales. Paul est universaliste alors que les apôtres de Jérusalem considèrent que seuls les juifs sont au bénéfice du salut de Dieu.

 

Et puisque Paul a converti des païens, soit ! Mais il faut alors que ces chrétiens soient aussi juifs. Qu'ils soient circoncis, s'abstiennent de manger des animaux impurs et se placent à nouveau sous la Loi de Moïse. En d'autres termes, que ces chrétiens d'origine non-juive deviennent juifs et alors seulement ce seront de vrais chrétiens.

 

Le danger que dénonçait Paul dans sa première lettre, c'est la confusion entre l'Église et le monde païen. À force de vivre comme les autres habitants et en participant aux fêtes païennes, les chrétiens de Corinthe courraient le risque de la dissolution dans la société de leur époque. C'est  pourquoi Paul les met en garde : ils doivent cultiver, inventer, une autre manière de vivre dans le monde comme s'ils n'en étaient pas. Tout simplement parce qu'ils appartiennent, non plus au monde qui passe mais à cet autre monde, le Royaume de Dieu.

 

L'autre danger qui les menace, c'est à l'exact inverse, une séparation totale et complète d'avec la société dont ils sont pourtant issus, en adoptant de manière radicale les coutumes et les lois juives. Entre la dissolution dans le monde et la clôture à l’écart du monde, le danger est le même. Dans les deux cas, c'est la parole de Dieu qui disparaît, soit involontairement en devenant simple reproduction des discours et des modes du temps, soit volontairement en cultivant une étrangeté au monde et à ses problèmes. Dans les deux cas, la Bonne nouvelle s'éteint et ne peut plus se répandre dans le monde.

 

Cette contradiction, ce double danger, ne menace pas que Corinthe. On retrouve cette trame conflictuelle dans les autres lettres de Paul, que ce soit aux Romains ou aux Galates auxquels il répondra de manière encore plus radicale, « se faire circoncire, c'est se remettre sous la Loi de Moïse, c'est renoncer à la grâce de Dieu en Jésus-Christ ». La voie est étroite entre les deux dangers mais c'est tout l'enjeu de la prédication de Paul que de préserver l'universalité de l'Évangile et en même la spécificité de ce même Évangile parmi tous les autres discours de l'époque.

 

Il faut reconnaître que les Corinthiens ne savaient pas forcément à qui se vouer. Entre Paul qui veut les corriger et les amener à changer leurs manières de vivre tout en continuant à avoir des relations habituelles et normales avec leurs voisins, en continuant à vivre comme tout le monde mais avec une espérance nouvelle et différente d'un côté. Et de l'autre côté, ces apôtres venus de Jérusalem qui prêchent une séparation beaucoup plus simple à vivre, parce qu'elle se manifeste par des coutumes, des vêtements, des rites différents et qu'elle produit de nouvelles solidarités, leur cœur balance et ils hésitent, ne savent plus qui a raison entre les deux. C'est beaucoup plus difficile de vivre comme tout le monde en n'étant pas comme tout le monde, parce qu'il faut faire preuve d'imagination, trouver des compromis, des tolérances, inventer de nouvelles fidélités. Alors que se retrancher dans une vie sectaire au sein d'une communauté où tout le monde adopte les mêmes règles, les mêmes comportements et le même discours, c'est peut-être plus difficile mais ensuite c'est bien plus confortable.

 

Dans ces hésitations, alors que les autres apôtres manœuvrent en coulisse pour emporter la décision, certainement en approchant les personnes les plus influentes de la communauté pour emporter la décision, Paul n'est pas là et il ne vient pas en personne. Il envoie ces collaborateurs, un certain Silvain, Timothée ou encore Tite, et avant de venir lui-même il cherche encore à les convaincre de rester fermes dans la foi, dans la voix qu'il leur a montré. Il craint de venir parce qu'il craint de venir pour rien, d'être humilié dit-il même parce que les chrétiens de Corinthe auront décidé de suivre les autres (2 Cor. 12, 19-21) et voilà pourquoi il leur écrit cette deuxième lettre, pour les convaincre avant sa venue.

 

Et ce qu'il leur dit en substance, c'est que si les discours des hommes peuvent varier, au point que l'on ne sait plus s'il faut aller vers une plus grande intégration sociale quitte à risquer la dissolution ou, au contraire, s'il faut être prudent en se séparant du monde, quitte à risquer la disparition sociale pure et simple, Paul répond que le discours de Dieu lui ne change pas. Que sa promesse de salut a été faite une fois pour toute en Jésus-Christ et que rien ne peut changer cet état de fait parce que la décision de Dieu ne dépend en aucune manière de ce qu'en pensent les hommes.

 

Dans l'alternative qu'ont les Corinthiens, ce qui compte ce n'est ni de plaire à Paul ni de plaire aux envoyés de Jérusalem mais d'être à l'écoute de la Parole de Dieu ou plus exactement de ce qu'il appelle dans une formule extraordinaire : « les arrhes de l'Esprit que Dieu a mis dans nos cœurs ».

 

Les arrhes aujourd'hui, comme à l'époque ne sont pas un acompte. Un acompte, c'est un engagement réciproque entre le vendeur et l'acheteur. Quand on verse un acompte, l'un et l'autre, vendeur et acheteur, doivent effectuer la vente convenue au prix convenu, sauf s'il y a une clause de rétractation. Quand on verse des arrhes, à l'inverse, nul n'est tenu à la conclusion de la vente ou de l'achat. Si l'acheteur renonce à l'achat, les arrhes sont perdues, si c'est le vendeur, il doit le double des arrhes reçues.

 

La grâce de Dieu, l'Esprit de Dieu, n'est pas un acompte par lequel Dieu nous aurait acquis de toute éternité, sans que nous ne puissions renoncer. C'est lui qui verse en nos cœurs, non pas un acompte qui nous obligerait alors même que nous n'aurions rien voulu mais bel et bien des arrhes, c'est-à-dire un signe de sa volonté mais un signe auquel nous pouvons renoncer, que nous pouvons perdre.

 

C'est cela que dit Paul : il avertit les chrétiens de Corinthe qu'ils peuvent tout perdre en allant d'un côté ou de l'autre, du côté de la dissolution ou de la séparation, du côté de l'affadissement ou du côté de la clôture. Il les avertit aussi que lui ne variera pas dans son discours, il ne cherchera pas à les convaincre pour leur plaire, les séduire ou les garder dans son camp.

 

En même temps qu'il les avertit, il leur dit également qu'ils ont le pouvoir de choisir sur la base de ce qu'ils ont déjà reçu : cet Esprit de Dieu, certes pas encore complètement, ce ne sont que des arrhes, nous restons d'une certaine manière englués dans nos contradictions, dans nos hésitations et dans nos contradictions mais nous avons déjà et c'est la grande force de la pensée de Paul, nous avons déjà l'Esprit qui nous permet de discerner ce qui est bon et ce que nous devons faire. Plutôt que de marchander des influences ou de manier la contrainte voire la menace, Paul fait appel à l’expérience des chrétiens de Corinthe : « l'Esprit est là, il est déjà là dans votre cœur, dans nos cœurs, écoutez-le, écoutons-le ».

 

La balle est entièrement dans notre camp, dit Paul. Parce que Dieu, lui, a déjà versé le prix intégral. Toutes les promesses de Dieu sont réalisées en Jésus-Christ, sans qu'il ne soit plus nécessaire ni de se retrancher dans un mode de vie sectaire et séparé du monde, sans qu'il ne soit plus possible de se diluer dans l'air du temps et les convenances de notre époque.

 

Le Oui prononcé par Dieu n'est pas un « oui «  de Normand. Ce n'est pas un oui qui voudrait en fait dire non ni un non de pacotille qui voudrait en réalité consentir au monde et à son cours. C'est un Oui ferme et définitif, un Oui à la vie, au bien, à l'amour et au bonheur mais un Non, tout aussi ferme et définitif à ce qui dégrade, avilit, humilie et détruit. Paul refuse la négation du monde que prèchent ses adversaires, il refuse tout autant la conformation au monde que voudraient les chrétiens de Corinthe. Il ne dit pas oui à l'un des dangers pour éviter l'autre.

 

Il nous dit simplement que c'est à nous, aujourd'hui, ici et maintenant, comme les chrétiens de Corinthe en leur temps, de laisser agir l'Esprit que nous avons reçu, de nous y tenir et de discerner en lui les prémices, les arrhes, du Royaume de Dieu. En versant dans nos cœurs, à nous aujourd'hui comme aux chrétiens de tous les temps et de tous les lieux, les arrhes de son Esprit, l'Éternel Dieu de justice, de bonté et de compassion pour tout ce qui vit, nous engage à vivre à son image et à sa ressemblance.

 

À nous de manifester ici et maintenant cette conviction qui nous porte et nous anime.



Roland Kauffmann

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