La décision d'un changement de vie radical
- Roland Kauffmann
- il y a 19 heures
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Guebwiller le 14 décembre 2025, 3e dimanche de l'Avent, culte musical

Jean, fils de Zacharie, était dans le désert lorsqu'il fut appelé à prêcher la repentance au peuple d'Israël. Ce n'est évidemment pas n'importe qui pour Luc, l'évangéliste. C'est d'ailleurs par l'annonce de la naissance de Jean que Luc commence son récit de la vie de Jésus. Car les circonstances de la naissance de celui que l'on allait ensuite appeler le Baptiste pour le distinguer de l'évangéliste avait lui aussi été l'objet d'une annonciation.
Avant de venir annoncer à Marie qu'elle serait enceinte, Gabriel, l'ange messager de Dieu s'était d'abord manifester au prêtre Zacharie pendant que celui-ci officiait dans le lieu le plus sacré du temple de Jérusalem. L'annonce d'une naissance miraculeuse, promise à un couple âgé et stérile n'est pas si extraordinaire que cela. Ou plutôt si justement, c'est très extraordinaire puisque cela signifie précisément que l'enfant à naître connaîtra un destin hors norme.
Parmi ces couples qui sont à la fois âgé et stérile, le premier d'entre eux, c'est bien évidemment Abraham et Sara. Ils sont tellement vieux que lorsque les anges, ils sont trois dans l'histoire d'Abraham, viennent leur annoncer la naissance de leur enfant, Sara rit de bon cœur. Les anges en sont même vexés « je n'ai pas ri » dit Sara, si tu as ri, répondit l'ange (Genèse 18, 15). De cette première annonce d'une naissance miraculeuse naîtra Isaac, le fils de la promesse.
Un autre couple dont la femme était stérile, c'est celui formé par un certain Elqana et son épouse Anne. Elqana avait deux femmes comme de coutume à l'époque et la première, Peninna, avait beaucoup d'enfants quand Anne que pourtant Elqana préférait n'en avait pas. Dans l'histoire de Elqana et Anne, c'est le prophète Éli qui se charge de l'annonce et l'enfant à naître sera Samuel, le prophète qui prendra la succession de Éli et sera chargé de choisir le premier roi d'Israël (1 Samuel 1 et 2).
Nul doute qu'au moment de raconter l'annonce de la naissance de Jean, Luc connaît parfaitement cette histoire. À telle enseigne qu'il met dans la bouche de Marie, venue visiter sa parente Élisabeth, quasiment le même cantique de louange que celui prononcé par Anne, la mère de Samuel, c'est le magnificat. L'intention de Luc est justement d'inscrire l'enfant à naître dans cette lignée des prophètes. Jean ne sera pas seulement baptiste, il sera avant tout consacré à Dieu, prophète de Dieu, c'est-à-dire « porte-parole » de Dieu devant son peuple.
Comme Isaac, comme Samuel et comme Jésus après lui, Jean est voué à un destin particulier, hors normes. Luc veut, lui qui est de culture grecque veut montrer à ses lecteurs qu'il connaît l'histoire d'Israël en remontant aux sources de l'histoire du peuple élu. Il vaut faire prendre conscience à ses lecteurs que le temps des prophètes est revenu. Le temps où Dieu s'adresse directement à son peuple plutôt que par l'entremise des prêtres du temple. Ce peuple si organisé, dont le clergé était si puissant qu'il en remontrait aux Romains, s'était pourtant éloigné de Dieu.
Un peuple descendant d'Abraham
Il faut avoir ce contexte à l'esprit lorsque l'on veut essayer de comprendre quelque chose au destin de Jean-Baptiste et par là de Jésus. Le peuple d'Israël, en ce temps-là n'est pas un peuple ignorant et barbare. Certes son roi, Hérode, a fait une alliance contre-nature avec Rome. Mais il en a tiré une position favorable et a garanti une forme d'autonomie de son royaume avec toute la prospérité qui va avec l'allégeance à Rome. Il vient de reconstruire le temple qui est plus grand, plus beau et plus fastueux que celui de Salomon. Les choses sont bien réglées en réalité et on se croirait revenu au temps anciens. Au temps d'avant l'exil à Babylone, où les rois de Jérusalem faisaient alliance avec les souverains d'Égypte, d'Assyrie ou de Babylone. Voire même à ce temps glorieux où à Jérusalem, les Hébreux vivaient en paix, soumis à l'autorité lointaine mais bienveillante de Cyrus, le roi de Perse qui les avait délivré. En ce temps-là, Rome était comme l'empire Perse, une autorité tutélaire dont on peut s'arranger tant qu'elle n'intervient pas dans les affaires religieuses.
Au temps des rois d'Israël et de Juda, les prophètes avaient tonné contre leurs infidélités. Un prophète n'annonce pas l'avenir. Il ne parle pas de ce qui va arriver, il prononce le jugement de Dieu sur les choses présentes et les conséquences inévitables de la désobéissance à la loi de Dieu. En ce temps-là, au temps de Jean-Baptiste et de Jésus, c'est un nouveau prophète qui se lève et qui va d'ailleurs reprendre les mots des anciens. Né comme Samuel, et donc considéré prophète comme lui, il répète les mots d'un autre prophète, ceux d'Ésaïe : « préparez le chemin du Seigneur » (Ésaïe 40, 3-5) comme le fera d'ailleurs aussi son proche parent Jésus qui commencera son ministère, selon Luc, en reprenant lui aussi les mots d'Ésaïe « L'Esprit du Seigneur est sur moi pour proclamer aux captifs la délivrance » (És. 61, 1-2).
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les prophètes n'hésitent pas à dire ce qui doit l'être. Imaginez aujourd'hui un homme qui s'adressant aux autorités civiles, militaires ou religieuse de l'Israël contemporain et les traiteraient de « race de vipères » ; qui les condamneraient pour leurs actes de violence et de haine ; qui mettrait en doute la fidélité des juifs d'aujourd'hui à leur propre message. Vous imaginez le jugement qui s'abattrait sur notre pauvre Jean-Baptiste ? On lui ferais un procès pour moins que ça. Il est vrai qu'il est bien impertinent, ce Jean-Baptiste. Le voilà surgissant de son désert alors que personne ne lui a rien demandé et qui vient remettre en cause les fondements de la foi et de l'ordre religieux.
Car le peuple pensait être le peuple élu, tout simplement parce qu'ils étaient les descendants biologiques, spirituels et culturels d'Abraham. Parce qu'ils sont les enfants d'Abraham et que Dieu a promis fidélité éternelle à la descendance de celui-ci et, qu'en plus Dieu ne peut se dédire de sa promesse, ne sont-ils donc pas à l'abri de la colère de Dieu ?
Bien sûr que c'est ce que pensaient les chefs du peuples. Ces élites politiques et religieuses qui ordonnaient la vie et la foi du commun des mortels. Qui, au nom de Dieu, accaparaient terres et villages, oliviers et vignes et ne produisaient pas de fruits dignes d'une vie de foi à l'ombre de la Loi, inspirée par la Loi. À ceux-là qui croient qu'il suffit de se réclamer de l'héritage d'Abraham pour s'affranchir de la Justice et du Droit et prétendre avoir tous les droits parce qu'ils ont « Abraham pour père » Jean oppose un jugement radical : « tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu ». Il n'y va certainement pas de main-morte et si Jean-Baptiste disait cela aujourd’hui, nul doute qu'on l'accuserait d'antisémitisme et qu'il serait jeté en prison.
Que faire ?
C'est d'ailleurs ce qui va lui arriver mais curieusement ce ne sera pas en raison de sa condamnation des mœurs religieuses et politiques mais parce qu'il dénonce la corruption du pouvoir d'Hérode. Jean condamnait le peuple qui se laissait aller à l'injustice et produisait des fruits de haine, indignes du peuple de Dieu et condamnait aussi le chef du gouvernement à Jérusalem dont les agissements étaient contraires à la morale la plus élémentaire. Toute ressemblance avec notre époque serait évidemment fortuite. Je ne voudrais pas connaître le destin de Jean-Baptiste.
Que faire alors ? C'est l'éternelle question que se posent ceux qui cherchent la justice et la vérité, que faut-il faire aujourd'hui dans les situations d'aliénations et d'oppression ? « Que ferons-nous donc ? » voilà ce que demandent les gens, les simples, ceux qui ont conscience du mal qui se répand à travers eux. Voilà ce que demandent les péagers, ceux qui sont les exécutants du pouvoir, on dirait aujourd'hui les serviteurs du système. Voilà ce que demandent même les soldats, c'est-à-dire ceux qui supportent ce pouvoir, font ses guerres et commentent en son nom les atrocités que nous connaissons. Tous, simples citoyens, fonctionnaires et soldats demandent à Jean-Baptiste « que faire ? » Oui ! Que devons-nous faire ?
Il ne s'agit pas seulement d'être baptisé, voilà qui ne suffit pas pour Jean. C'est à une véritable conversion qu'il en appelle, c'est le sens du mot que l'on traduit ici par « repentance ». Le baptême tel que Jean le comprend et après lui, tel que Jésus le comprendra, n'est rien d'autre, ne devrait être rien d'autre que la décision d'un changement de vie radical, d'une conversion sans remords ni regrets pour renoncer une fois pour toute à l'accumulation, à l'exploitation et à l'oppression.
Ce que Jean demande aux simples gens, c'est de partager ; ce qu'il demande aux fonctionnaires c'est de cesser d'exploiter en exigeant plus que ce qu'ils doivent ; ce qu'il demande aux soldats c'est de cesser de déposséder les gens de leur terre et de martyriser des innocents en les laissant sous la coupe de leurs bourreaux. Encore une fois, toute ressemblance avec l'actualité n'est absolument pas fortuite...
Les préoccupations de Jean sont des sujets à la fois religieux et politiques au sens de l'époque. Il paiera de sa vie son impertinence et sa condamnation des pouvoirs religieux et politiques. Les foules le suivaient dans sa révolte, les pouvoirs ne pouvaient le supporter. Ils n'imaginaient pourtant pas que Jean n'était que le précurseur, celui qui préparait le chemin pour un autre, pour un plus grand que lui-même. Pour celui qui allait enclencher une conversion encore bien plus radicale et nouvelle, au point que nous en vivons encore aujourd'hui. Mais c'est encore une autre histoire qui ne fait que commencer avec Jean dit le Baptiste.
Roland Kauffmann







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