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Roland Kauffmann

Le plus grand parmi vous, Mt 23, 10

Dernière mise à jour : 6 juin 2023

Guebwiller, 4 juin 2023

Souvenir de Jean-Paul Studer à l'occasion du 10e anniversaire de son décès.

Roland Kauffmann

Il est de tradition, c'est-à-dire d'habitude, dans nos Églises de la Réforme que d'offrir une Bible aux conjoints lors de la bénédiction de leur mariage et le pasteur Gschaedler n'a pas failli à la règle ce jour du 31 décembre 1955 où votre mariage fut célébré en ce même temple de Guebwiller.

En général, les pasteurs notent dans la Bible le texte ou le verset sur lequel ils ont prêché et ces prédications de mariage sont souvent programmatiques. Elles donnent une orientation pour la vie du couple, sont parfois un catalogue de ce qu'il faut faire ou ne pas faire dans la vie de famille et elles sont en tout cas l'expression d'une espérance, d'une promesse.

Et au moment où nous nous sommes rencontrés pour préparer ce temps de culte en souvenir de Jean-Paul Studer, votre époux, votre père et votre grand-père, je m’apprêtais à réfléchir avec vous et la communauté rassemblée sur votre texte de bénédiction. Et à voir avec vous comment Jean-Paul avait vécu suivant ces préceptes. Il est en effet assez rare de pouvoir commenter avec les enfants les textes de mariage.

Il s'agit donc de ce verset de l'épître de Jean au chapitre 2, verset 17 « Le monde passe, et sa convoitise aussi ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » et vous l'avez entendu dans son contexte où Jean oppose l'amour du monde et des choses qui sont dans le monde d'une part et l'amour pour le Père éternel d'autre part. Et en creusant un peu le texte, car vous savez que l'interprétation d'un texte biblique se fait toujours par les références croisées qui existent entre les textes eux-mêmes – on ne doit jamais se contenter d'un texte seul mais il faut toujours relier avec d'autres textes qui le fondent, l'expliquent ou le corrigent – j'en suis arrivé tout naturellement à ce texte de l'évangile de Matthieu au chapitre 23.

En effet, la lettre de Jean dans son ensemble a une intention. Elle répond à un problème qui a surgi dans les Églises des premières années et particulièrement dans celles qui se revendiquaient de l'héritage de Jean. C'est-à-dire une tendance plus spiritualiste que celles qui avaient été fondées par Paul. Et dans ces communautés où l'on priait beaucoup, où l'on exaltait le Seigneur avec enthousiasme parce qu'on avait la conviction d'avoir vu la lumière alors que le monde était encore dans les ténèbres que Jean voit poindre une contradiction.


Aimer Dieu et le monde comme il l'a aimé

Une contradiction entre le fait que certains se réclament de l'amour de Dieu, se réjouissent d'être aimés de Dieu au point d'être sauvés du mal, du péché, de la mort, sauvés du monde et proclament leur amour de Dieu d'un côté, tout en haïssant le reste du monde. C'est une réalité que l'on retrouve malheureusement souvent dans les communautés religieuses et l'actualité des religions ne cesse ainsi de nous montrer des croyants de diverses religions, y compris parfois de la notre, qui clament leur amour pour Dieu d'un côté et braillent leur détestation de tel ou tel de l'autre côté.

Le péché dans l'Église ou dans toute religion, c'est toujours de légitimer la haine d'un autre au nom de sa foi. Tuer, mépriser, condamner, rejeter, opprimer un autre au nom de l'amour de Dieu, quelque soit le nom de ce Dieu est toujours un scandale.

C'est le scandale, la contradiction profonde que Jean veut dénoncer. Il dira un peu plus loin « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » (1 Jean 4, 20). On ne peut prétendre aimer Dieu qu'on ne voit pas si on n'aime pas son frère qu'on voit. C'est une évidence pour nous aujourd'hui mais ce n'était pas le cas à l'époque de Jean et malheureusement ce n'est pas forcément non plus une évidence pour tous ceux qui aujourd'hui se prétendent croyants. On ne peut aujourd'hui avoir de mots assez durs pour condamner ceux qui au nom de leur prétendu amour de Dieu vomissent leur haine de l'autre : de la femme, de l'homo, du juif, de l'arabe, du noir, du jaune ou de l'étranger, peu importe. On ne peut prétendre aimer Dieu qu'on ne voit pas si on n'aime pas l'homme qu'on voit. C'est la règle d'or.

C'est cette forme d'hypocrisie, car il faut bien appeler les choses par leur nom, que Jean condamne dans sa lettre et c'est cette même hypocrisie que dénonce Jésus chez Matthieu et c'est ainsi qu'on arrive du texte de Jean à celui de Matthieu. Attention, il ne faut pas céder à la facilité et croire que Jésus dénoncerait l'hypocrisie des Juifs. Il faut reconnaître que dans l'histoire, l'antisémitisme chrétien, une autre contradiction dans les termes, a plutôt exprimé justement la haine de l'autre que l'amour de Dieu. Non, Jésus récuse la légitimité des puissants, des dignitaires, des riches et des notables. De tout ceux que l'ordre social a placé à la tête du peuple et qui au lieu de veiller sur celui-ci, de rechercher le bien commun l'exploitent, l'oppriment et l'utilisent à leur profit.


De même que Jean dénoncera l'hypocrisie de ceux qui haïssent leur frère au nom de l'amour de Dieu, Jésus dénonce celle de ceux qui « font toutes leurs actions pour être vus des hommes, aiment la première place dans les repas, et les salutations sur les places publiques » (Mt 23, 5-6). Autrement dit ceux qui préfèrent l'amour du monde plutôt que l'amour de Dieu, préfèrent l'apparence du bien et de la justice plutôt que la réalité de la bonté et de l'amour. Et vous comprenez maintenant le lien entre votre verset de mariage et le texte de Matthieu.

Le service de l'autre est ce qui dure

Le pasteur Gschaedler vous recommandait, à vous Rolande et Jean-Paul de ne pas vous préoccuper des apparences, de tout ce qui s'évanouit aussi vite que des ombres, de ne pas vous attacher aux fantômes du « qu'en dira-t-on ? » mais de privilégier les choses importantes, celles qui comptent vraiment et qui durent au-delà d'une saison, d'une époque et même au-delà d'une vie. Et ce sont ces valeurs que vous avez voulu transmettre à vos enfants et partager avec tous ceux qui ont côtoyé votre famille. Aux apparences du bien et de la foi, préférer l'exercice de la solidarité et de la fraternité, aux manifestations de piété, préférer la disponibilité et l'engagement au service des autres. Un engagement pour le bien commun qui s'est particulièrement manifesté dans la vie associative, syndicale et politique en ce qui concerne Jean-Paul.

N'oublions pas cependant que si Jean-Paul a ainsi été président du club de football de Guebwiller, représentant syndical chez Schlumberger et conseiller municipal ou adjoint au maire durant 36 ans, c'est bien parce que vous, Rolande, assumiez l'hospitalité pour les amis et les proches, l'intendance pour toute la famille et pansiez les plaies qui ne se voyaient pas forcément. Il faut toujours se souvenir que derrière chaque homme public ou chaque femme, il y a très souvent une épouse ou un époux et on ne dira jamais assez combien « ceux que l'on ne voit pas » sont importants pour « ceux que l'on voit ».

Jean-Paul et vous Rolande, avez voulu servir justement parce que vous saviez que le service, c'est ce qui reste. C'est d'avoir été utile au bien commun, que ce soit par la commission des affaires sociales, au club ou ici dans la paroisse que le souvenir perdure. On oublie toujours ceux qui accaparent, ne se préoccupent que d'eux-mêmes, convoitent les choses de ce monde et on ne se souvient que de celles et ceux qui, par leur talent, leur courage, leur énergie ou leur volonté ont contribué à l'amélioration du monde et de la vie de leurs prochains.


« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur », quand Jésus dit cela, il ne veut pas parler d'un renversement révolutionnaire où ceux qui sont en haut seraient ravalés jusqu'à la condition d'esclave. Il nous dit simplement, à nous qui voulons être grand et réussir dans notre vie que cela passe par le service des autres. L'action, qu'elle soit associative, syndicale, politique ou paroissiale doit toujours être orientée vers le bien commun : il s'agit toujours de chercher à servir plutôt que de se servir.


C'est une leçon de vie que vous donnait là le pasteur Gschaedler, une leçon dont doivent se souvenir tous ceux qui ont des responsabilités, autrement dit nous tous. Car nous avons tous des responsabilités, individuelles ou collectives. Individuelles envers nous-mêmes et envers nos proches, collectives envers les diverses sociétés dont nous faisons partie. Une responsabilité dans la recherche du bonheur commun ou dans la commune recherche du bonheur, du bien, de ce qui est juste, de ce qui est beau et de ce qui est vrai, autrement dit de ce qui dure bien au-delà des convoitises du monde tel qu'il brille dans sa vanité.

Car le monde dont il est question dans la lettre de Jean, ce monde qu'il ne faut pas aimer, c'est le monde de l’égoïsme, de l’accaparement des ressources, le monde de la triple convoitise, celle de la chair, celle des yeux et celle de la vie, autrement dit la triple prétention à tout posséder, à tout consommer et enfin à tout exploiter. Ce monde-là, qui est le monde dans lequel nous vivons, n'a aucune réalité face au monde dont nous parlent les prophètes de l'ancien Israël, face au Royaume de Dieu dont nous parlent Jésus et Jean, face au monde que nous aimons parce qu'il est celui qui répond à « la volonté de Dieu et demeure éternellement » pour reprendre la formulation de votre verset de mariage.


Ce monde aimé de Dieu qu'il nous faut rechercher, défendre et construire pour nous-mêmes, nos enfants et nos contemporains c'est l'utopie biblique que décrit le prophète Michée que nous avons entendu tout à l'heure : « De leurs épées, il forgeront des socs Et de leurs lances des serpes (…) tandis que tous les peuples marchent chacun au nom de son dieu, Nous marchons, nous, Au nom de l'Éternel, notre Dieu, À toujours et à perpétuité » (Michée 4, 3-5). C'est cela le monde qui dure, c'est cela qui est éternel, c'est lorsque ce qui sert à la destruction est transformé en ce qui sert à la subsistance de tous, quand ce qui sert à la prédation est transformé en ce qui sert à la répartition, quand ce qui sert à l'exploitation devient un outil d'émancipation et de libération.

Alors aujourd'hui, Philippe, Christian, Claudine et Yves ses enfants et vous Marie-Céline, Marjorie, Aurélie, Capucine, Adeline, Eliott, Benjamin, ses petits-enfants et sans oublier la toute petite Roxanne son arrière-petite fille et nous tous qui sommes ici rassemblés, nous voulons nous souvenir de Jean-Paul et au-delà de lui de tous ceux qui nous ont précédés dans la foi et dans la vie chrétienne, c'est bien cette utopie du Royaume, l'utopie biblique, celle de Michée, de Jean et de Jésus qu'il nous faut rechercher, aujourd'hui, demain, éternellement.

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