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Le sermon sur la montagne I - Soultz 10 mai 2025

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    Paroisse Protestante
  • il y a 6 jours
  • 8 min de lecture
Cosimo Rosselli - Le sermon sur la montagne - Chapelle Sixtine
Cosimo Rosselli - Le sermon sur la montagne - Chapelle Sixtine

Nachfolge, c'est le titre que donne Dietrich Bonhoeffer à son ouvrage consacré au Sermon sur la montagne.


Publié en 1937 dans l'Allemagne nazie et grand succès au sein de l'Église confessante, ce livre se présente à la fois comme une réflexion spirituelle sur le texte du Sermon, sur les trois chapitres de l'évangile de Matthieu qui lui sont consacrés, et sur la compréhension que l'on peut avoir de ce qu'est, ou en tout cas, devrait être l'Église dans un monde en crise.


C'est en effet la grande originalité de Bonhoeffer que de s'éloigner de la manière la plus franche possible de toute allusion à l'actualité de son pays. Il ne critique ni ne condamne personne, ni leader, ni système politique, ni autorité religieuse ou sociale. Il se borne d'une certaine manière à poser une question intemporelle, valable pour les chrétiens de tous les temps, de tous les lieux, dans tous les contextes. Bonhoeffer s'affranchit de toute considération d'actualité pour se placer au niveau des fondements, de ce qui nous caractérise, nous qui voulons être disciples du Christ, et du Christ seul. Dietrich Bonhoeffer pose la question fondamentale, celle qui vaut pour son époque, pour l'époque du Christ, pour celle de l'apôtre Paul comme pour la notre aujourd'hui : « Comment pouvons-nous vivre, à notre époque en tant que chrétiens ? » 1


Le sermon sur la montagne est un discours que Jésus adresse à ceux qui veulent le suivre. Ou plus exactement, il s'adresse en réalité à deux types de public et c'est ce que montre Bonhoeffer. Il s'adresse en premier lieu à ceux qu'il a déjà appelés : ces disciples qu'il est allé chercher au bord du lac de Tibériade. À ce moment-là, selon l'évangile de Matthieu, ils ne sont encore que quatre : les deux frères, Simon et André : à ceux-là il a promis « suivez-moi et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes ». Un peu plus loin, une autre paire de frères : Jacques et Jean dont Matthieu nous dit qu'ils sont les fils de Zébédée. Ceux-là ne reçoivent aucune promesse, il sont appelés, ils suivent et c'est tout. Immédiatement, toujours selon l'évangile de Matthieu, le succès est au rendez-vous. Jésus, accompagné de ses quatre disciples, parcourt le pays, guérissant, consolant, encourageant, soulevant l'espoir des foules qui se pressent pour l'écouter. L'écouter oui, mais que dit-il ?


Un résumé de la vie chrétienne


C'est le moment que choisit Matthieu pour compiler une série de propos de Jésus sur ce que doit être la manière de vivre de ceux qui ont décidé de le suivre et aussi, ce à quoi doivent s'engager ceux qui hésitent encore à prendre la décision de le suivre. L'évangile de Matthieu est une série de reconstitutions de discours de Jésus, prononcés à divers moments de sa vie et que Matthieu organise en un ensemble à chaque fois cohérent. Ainsi des grands discours sur la fin des temps à la fin de son évangile réunis dans les chapitres 24 à 25 ; ainsi les paraboles du Royaume qui forment le chapitre 13 ou le discours de l'humilité au chapitre 18 ; sans oublier les dialogues avec de plus moins grands personnages.


En ce temps-là personne n'était à côté de Jésus pour noter ses paroles, ses disciples n'étaient pas une armée de copistes attentifs à enregistrer ses faits et gestes et paroles. D'autant que des pêcheurs comme Simon, André, Jacques et Jean étaient sans doute plus habiles au lancer du filet qu'au maniement du stylet.


Le Sermon n'en forme pas moins un ensemble cohérent que Matthieu place au début de son évangile alors que Jésus vient seulement d'apparaître sur la scène publique. L'heure n'est pas aux grandes annonces de la fin des temps, ni à l'annonce de la mort et de la résurrection. Nous en sommes au commencement, ce sont les premières étapes de la fidélité et de l'obéissance qui sont au programme de ce premier sermon.


Fidélité et obéissance, voilà les conditions sur lesquelles insiste Bonhoeffer. Ces mots ont une résonance toute particulière parce qu'ils constituent une paire souvent galvaudée dans l'Église. Nous associons facilement la fidélité à des traditions et à des doctrines. Je suis le premier à revendiquer une fidélité aux grands principes de la Réforme tels que nos pères nous les ont transmis. Fidélité à une identité helvétique, calviniste, évangélique, mennonite ou charismatique, piétiste, orthodoxe ou libérale, autant de systèmes qui doivent nous aider à penser mais ne doivent en aucun cas borner notre horizon et limiter notre pensée justement. Les traditions que nous avons reçues doivent toujours être réinterrogées pour savoir si elles répondent aux exigences de l'heure.


Il en va de même de la notion d'obéissance que nous ne voulons plus associer à la foi parce que nous préférons largement la notion de liberté. Liberté de faire, liberté de vivre, liberté de penser, liberté d'agir ou de ne pas agir, tout est affaire de choix, de décision et de satisfaction. Et c'est normal. Nous connaissons le prix de l'obéissance et de la servitude. Toute notre histoire protestante en France est une lutte acharnée pour la liberté religieuse. Nous sommes les héritiers de cette lutte pour la liberté.


Obéissance ou liberté ?


Dans la tradition du protestantisme français, cette lutte pour la liberté a connu son sommet avec l'édit de Nantes en 1598 avant de sombrer avec sa révocation en 1685 puis d'être restaurée avec la révolution de 1789 et d'être couronné avec la loi de 1905. Les protestants français sont tellement préoccupés par la liberté que l'idée même d'obéissance leur est étrangère.


Dans la tradition du protestantisme allemand, qui est celle de Bonhoeffer, l'obéissance est au contraire une vertu. C'est la manière dont on parvient à s'affranchir de sa volonté propre pour servir la communauté 2. En obéissant à l'ordre d'un chef qui donne le sens de l'action, les chrétiens allemands trouvent l'expression de leur liberté pour exprimer leur foi.


Voilà pourquoi Bonhoeffer insiste sur cette notion d'obéissance. Il parle à des allemands, en 1937 et si je disais tout à l'heure qu'il s'abstient de faire tout commentaires sur la situation politique, c'est par prudence. Une prudence élémentaire. Au moment de la parution de Nachfolge, en décembre 1937, le séminaire de l'Église confessante vient d'être fermé en septembre et lui-même a été interdit d'enseignement à l'Université de Berlin depuis un an déjà. Il sait le prix à payer pour l'obéissance à Jésus-Christ plutôt qu'au chef du peuple allemand. Il ne sait pas encore à ce moment-là qu'il lui faudra porter sa croix à son tour et aller jusqu'au bout de cette obéissance dont il trouve le manuel dans le sermon sur la montagne.


Le sermon est au début du ministère de Jésus, et Bonhoeffer insiste sur cette place dans l'évangile. Il fait un constat simple : ni les quatre disciples ni la foule à laquelle Jésus s'adresse n'ont encore la foi. Plus exactement, ils ont une croyance. Ils croient sans aucun doute que ce jeune prophète est justement un être mystérieux et capable d'actes de puissance. Ils croient en sa capacité de guérison parce qu'ils l'ont vu à l’œuvre, leur croyance est une croyance de l'ordre du magique, du surnaturel, du superstitieux qui n'a pas grand chose de différent de la croyance païenne aux guérisseurs de toute sortes. Et Bonhoeffer insiste grandement sur ce point : la croyance des disciples et de la foule au pied de la montagne n'a rien à voir avec la foi de ces mêmes disciples après la résurrection.


Bonhoeffer en tire une conclusion paradoxale, toujours dans son contexte protestant et luthérien. Il en tire la conclusion que les premiers disciples n'ont pas obéi parce qu'ils ont cru en Jésus mais ils ont cru parce qu'ils ont obéi à la parole de Jésus. Autrement dit, ce n'est pas la foi qui est première mais l'obéissance, ce n'est pas la foi mais l'action qui compte. Ce n'est pas « j'agis parce que je crois » mais « je crois parce que j’agis ».


Nous retrouvons là une des grandes caractéristiques de la pensée d'Albert Schweitzer. Bonhoeffer ne se réfère pas à Schweitzer, on sait qu'il a lu et connaît sa Kulturphilosophie mais surtout il a eu à l'Université entre 1923 et 1927, les même maîtres en théologie. Entre Albert Schweitzer et Dietrich Bonhoeffer, c'est d'abord une différence de génération, 31 ans les séparent, c'est pourtant le même esprit, celui de l'obéissance à cet ordre que Jésus donne à ses disciples « toi, suis-moi ». Pour l'un comme pour l'autre, il ne peut y avoir qu'une seule réponse : le refus ou l'obéissance. Il y a pour Schweitzer comme pour Bonhoeffer un ordre, une exigence à agir qui ne s'embarrasse pas de question de foi.


Parce que, ni pour Bonhoeffer ni pour Schweitzer, Jésus n'est un magicien doué de pouvoirs extraordinaires, ce n'est pas non plus un maître de sagesse qui nous donnerait des conseils pour bien vivre et réussir dans l'existence, ce n'est ni un gourou ni un idéal moral comme voudraient l'y réduire ceux qui cherchent à vivre dans le confort intellectuel et moral de la bonne conscience. Ce que Bonhoeffer appelle la « grâce à bon marché », celle qui ne nous engage à rien et nous donnerait la garantie d'une bonne fin sans nous n'ayons à endurer les peines et les douleurs du chemin.


La liberté dans l'obéissance


Au contraire, et ce sera toute la clé d'interprétation que Bonhoeffer suivra dans sa lecture du Sermon, la vie chrétienne telle qu'elle se donne à voir dans ces paroles de Jésus est un effort constant, une lutte permanente contre soi-même, contre la pente des facilités et des compromis. Aux complaisances des chrétiens allemands de son époque, qui sont trompés et voient dans la culture populaire et les mythes utilisés par les forces diaboliques l'accomplissement du Royaume de Dieu installant le nouveau peuple élu, la race germanique, au sommet de la hiérarchie des peuples, Bonhoeffer oppose le chemin d'abnégation et de renoncement qui se trouve devant les disciples qui sont prêts à obéir avant même de croire.


Pour Bonhoeffer, comme pour Schweitzer, et en cela ils sont profondément fidèles à Luther, la foi et l'obéissance se construisent réciproquement mais surtout elles ne peuvent exister indépendamment l'une de l'autre. Bonhoeffer va même plus loin que Schweitzer lorsqu'il affirme l'unité entre ces deux notions mais avec une priorité pour l'obéissance. Il déclare ainsi « Il n'y a d'autre chemin vers la foi que celui de l'obéissance à l'appel de Jésus. » 3


Son sujet, ce sont les chrétiens de son époque comme de toutes les époques qui ne le sont que de nom, dont le comportement et les trahisons morales, notamment sur les questions d'antisémitisme et d'allégeance aux chefs des peuples disent assez à quel point ils se trompent. La foi se construit dans l'obéissance. C'est au prix de l'obéissance que se construit, pour Bonhoeffer, la véritable liberté, celle envers toutes les puissances du monde. Une liberté comprise dans l'obéissance à Jésus plutôt qu'à ceux qui l'exigent de nous.


Le chemin de la foi


On peut aussi rétorquer à Bonhoeffer et il accepterait sans aucun doute la critique que l'appel de Jésus est déjà de l'ordre de la foi. Quand Simon, André, Jacques et Jean se lèvent et suivent Jésus sur la seule foi en sa parole, c'est déjà la foi. Dans la perspective réformée qui est la nôtre, la foi est forcément première et elle ne saurait être le résultat de l'obéissance.


Comme pour ces premiers disciples, comme pour Schweitzer et Bonhoeffer, notre foi est le résultat d'une rencontre avec une parole qui nous a bouleversés et renversés. Pour d'autres, cependant la foi se construit petit à petit, au fur et à mesure de sa mise à l'épreuve ou en tendant vers son but. C'est là que Bonhoeffer, et Schweitzer avec lui, car ils sont profondément complémentaires sur ces points, ont raison de toujours nous rappeler que « la foi n'existe que dans l'obéissance, jamais sans elle, que la foi n'est la foi que dans l'obéissance. »


Cette absolue cohérence entre notre foi et notre action se pose pour Bonhoeffer dans les termes de savoir à qui nous voulons obéir et quelle forme doit prendre notre obéissance à notre époque, c'est l'horizon de ces méditations avec vous sur le Sermon par excellence, celui de Jésus sur la montagne de Galilée.


1 Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le Prix de la Grâce, nouvelle édition traduite de l'allemand par Bernard Lauret avec la collaboration de Henry Mottu, Labor et Fides, 2009 [Nachfolge, 1937], p. 35.


2 « Nous gardons notre liberté (…) justement en tâchant de nous libérer de nos volontés propres au service de la communauté. Vocation et liberté sont pour nous deux aspects de la même notion. », Dietrich Bonhoeffer, « Dix ans plus tard » dans Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité, traduction de Lore Jeanneret, Labor et Fides, 1963, pp ; 4-5 ; Labor et Fides, 20242, p.22.


3 Vivre en disciple. p. 38.


4 Vivre en disciple. p. 43.

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