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Le sermon sur la montagne II - Soultz 7 juin 2025

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    Paroisse Protestante
  • il y a 6 jours
  • 9 min de lecture
James Tissot - Le sermon sur la montagne
James Tissot - Le sermon sur la montagne

La foi et la liberté dans l'obéissance à Jésus plutôt qu'aux maîtres de l'époque, voilà comment on pourrait résumer l'intention de Dietrich Bonhoeffer dans sa méditation à propos du sermon sur la montagne.


Il faut toujours rappeler que son ouvrage, Nachfolge, littéralement « suivance », est publié dans l'Allemagne nazie en 1937 et qu'il veut en faire un outil de résistance spirituelle face à un pouvoir oppresseur, réprimant toutes les libertés individuelles et collectives, qu'il s'agisse de la liberté de la presse, évidemment aux ordres du pouvoir, de la liberté des juges, obligés de condamner selon les instructions du parti, de la liberté des citoyens mobilisés pour le Reich millénaire.


Il faut toujours s'en souvenir, particulièrement aujourd'hui que ceux que l'on peut appeler les « chrétiens-nationalistes », aussi absurde qu'une telle dénomination puisse paraître, cherchent à récupérer Dietrich Bonhoeffer. Ils le présentent comme un critique de la société bourgeoise et libérale, un défenseur de la foi face au relativisme théologique, un défenseur de l'identité chrétienne de l'Europe et un adepte d'une lecture littérale de la Bible.


Notamment parce que Bonhoeffer utilise des catégories que la théologie médiévale utilisait déjà en son temps. Il parle de diable, du diable, d'anges, de jugement divin, de fin des temps, de démons, d'une lutte cosmique et d'une victoire finale du royaume de Dieu. Ce sont des catégories qui plaisent à ceux qui lisent la Bible comme étant l'annonce d'une destruction du monde tel qu'il est pour l'instauration d'un monde tel qu'ils le souhaitent.


Bonhoeffer, et nous le disions la fois dernière, sait qu'il doit agir et s'exprimer avec une extrême prudence : quand il parle du Diable, il pense au Führer, quand il parle de démons, il pense à ses affidés qui répandent la violence et la haine, quand il parle d'anges, il pense aux envoyés du Seigneur pour annoncer la vérité, c'est-à-dire aux disciples du Christ qui sont ses lecteurs et nous aujourd'hui. Son langage est codé de manière à ce que ses adversaires ne puissent s'appuyer sur ses écrits alors que les chrétiens confessants comprennent immédiatement de quoi il est question.


Ainsi quand Dietrich Bonhoeffer déclare « Il y a un seul jugement, une seule loi, une seule grâce », c'est une allusion évidente au slogan « Ein Reich, ein Volk, ein Führer » 1. Un manuel de résistance en milieu hostile, voilà ce qu'est le sermon sur la montagne aux yeux de Bonhoeffer, et c'est en cela qu'il rejoint véritablement l'intention de l'évangéliste Matthieu.


Souvenez-vous. Dans l'évangile de Matthieu, nous sommes au début du ministère de Jésus qui vient de réunir ses premiers disciples, il fait des miracles et voyant la foule il commence à l'enseigner, à lui apprendre l'essentiel de son message et cela commence par « Heureux… », heureux serez-vous, vous qui m'écoutez et mettez en pratique mon enseignement. C'est la formule habituelle de tous les enseignants. C'est en général le contrat tacite entre celui qui enseigne et ceux qui apprennent. Ces derniers sont censés faire leur profit de ce qui est enseigné.


Le monde qui passe


Faisons un écart et allons à l'évangile de Marc. Celui-ci est le premier évangile à avoir été écrit, dans l'entourage de l'apôtre Pierre. Et dans ce premier récit de la vie de Jésus, il n'y a pas de sermon sur la montagne, il n'y a pas de grands discours à la foule réunie. Comme Matthieu après lui, Marc raconte bien le choix des quatre disciples, Simon, André, Jacques et Jean, pêcheurs sur le lac. Ils vont par les chemins, guérissent ceux qui sont possédés par des esprits impurs, des aveugles, des lépreux, et même un paralytique. Vous connaissez l'histoire de ce paralytique que ses amis ont fait descendre par le toit. Et c'est à cette occasion que Marc nous raconte qu'il y avait une grande foule et qu'il « leur annonçait la parole » (Mc 2, 2) sans nous dire en quoi consiste cette parole.


Marc dit bien qu'à un moment Jésus est monté sur une montagne (Mc 3, 13) mais c'est, au contraire de Matthieu, pour s'éloigner de la foule qui le presse et choisir ses douze disciples. Plus étonnant encore, Jésus et ses disciples font des choses interdites par la loi, notamment ils se permettent de glaner dans les champs de blé tout simplement parce qu'ils ont faim. (Mc 2, 23-27). Glaner dans des champs est autorisé par la loi quand on a faim (Dt 23, 26) mais pas durant le sabbat comme ils se le permettent.


À ceux qui lui en font le reproche, Jésus répond que le « Fils de l'homme est maître du sabbat ». En se présentant comme le « Fils de l'homme », Jésus fait une référence directe aux apocalypses des prophètes et notamment de Daniel. Ceux qui l'écoutent entendent bien que si le Fils de l'homme est venu, c'est que le temps de la fin est proche. À quoi bon continuer à respecter les règles qui permettent à la société de tenir, de se perpétuer et de se reproduire puisque cette société est vouée à disparaître. La loi devient secondaire puisque le royaume est là.


Marc écrit son récit à des chrétiens qui sont persuadés que le monde est fini, le Christ va revenir et si ce n'est pas demain matin, ce sera l'an prochain, en tout cas avant peu de temps. C'est la foi des Églises de la première génération, celle qui a suivi les apôtres Pierre et Paul, d'accord l'un avec l'autre sur ce point.


Une communauté qui doit durer dans un milieu hostile


Ce n'est plus du tout le cas pour Matthieu, qui, lui, bien au contraire, a compris qu'il faudra attendre et qu'il faut parvenir à durer en tant que communauté de disciples, de fidèles à Jésus, dans une société impériale qui, elle, a toutes les apparences de devoir durer encore des siècles et des siècles. Rome a déjà six siècles d'existence et n'est même pas encore à l'apogée de sa puissance et de sa gloire. Son effondrement viendra mais nul ne sait quand.


En attendant, les Églises doivent apprendre à vivre dans cette société qui leur est étrangère et qui plus est hostile à partir du règne de Néron et de l'incendie de Rome qu'il attribue évidemment aux chrétiens. Matthieu va vouloir raconter la vie de Jésus en l'enracinant dans la tradition de l'ancien Israël, en l'inscrivant pleinement dans la loi et les prophètes. La communauté nouvelle doit se donner des règles qui soient conformes à l'esprit de la loi et des prophètes tout en permettant de continuer à vivre dans un monde où règne l'esprit de violence et de domination, dans un monde d'oppression et de prédation, le monde de Rome, super-puissance du temps.


Au cœur du sermon : la loi


Et c'est pourquoi les allusions à la loi sont particulièrement nombreuses dans le sermon sur la montagne chez Matthieu. Elles en forment la trame parce qu'il s'agit de la traduire dans la réalité nouvelle qui n'est plus celle du temple de Jérusalem où tout le monde sait ce qui est permis ou interdit mais au contraire à Rome où chacun fait ce qui lui plaît du moment qu'il en a les moyens et la force. Sachant que les moyens et la force s'entretiennent l'un l'autre. Il faut donc s'adapter et le sermon sur la montagne va servir à cette adaptation.


Adaptation ne veut surtout pas dire trahison. Au contraire ! La question qui est celle de Matthieu, celle de Bonhoeffer comme elle doit l'être pour nous aujourd'hui comme pour tous les chrétiens en tous lieux et en toutes les époques est toujours la même : « Comment pouvons-nous vivre, à notre époque en tant que chrétiens ? » 2. L'accent ici n'est pas sur « vivre » mais sur « en tant que chrétiens », c'est-à-dire dans la fidélité à l'Évangile de Jésus-Christ dans un monde où la Parole de Dieu est dénigrée, tordue, moquée raillée, détournée au profit des idéologies de destruction et de mort. Voilà quelle est la situation de Matthieu et de Bonhoeffer.


« Vous avez entendu qu'il a été dit mais moi je vous dis ». Tout de suite après les Béatitudes, Jésus le dit tout de suite « ne pensez pas que je sois venu abolir la loi, je suis venu l'accomplir » et c'est une loi intransigeante, radicale, sans arrangements parce que ce qui est en jeu dépasse les intérêts de chacun. Il s'agit de rien de moins que de garder, non pas la foi, non pas la vie, mais la Parole. Une Parole qui est faible, plus faible que la force du monde 3 et justement parce qu'elle est faible, qu'elle s'exprime dans la miséricorde, c'est justement pour cela qu'il faut y veiller comme sur un trésor et se donner des règles de vie qui en gardent la flamme, quoi qu'il arrive.


Vivre en pleine lumière


Le premier chapitre du sermon, le 5, est consacré à la manière de vivre au sein de l'espace public. Comment nous devons nous comporter à la fois de manière collective et de manière individuelle, de façon à ne pas se cacher. Au contraire, « On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau. Vous êtes la lumière du monde ». Tout ce chapitre est consacrée à la vie publique de la communauté et de chaque chrétien qui par son comportement, par la dignité de sa vie et par la sobriété, je dirais même l'élégance de son attitude montre clairement sa rupture avec l'ordre établi et son refus de ce qui paraît normal au monde. Quand il devient normal de prendre ce qui ne nous appartient pas, quand il devient normal d'établir des discriminations sociales fondées sur l'illusion de la race, les chrétiens ont à sortir de l'ordinaire pour adopter une attitude extraordinaire. Ce qui s'écarte résolument du commun, du naturel.


Chez Marc, les chrétiens n'avaient plus besoin de se soucier de la société des hommes, elle allait passer. Chez Matthieu comme chez Paul, il ne faut pas se conformer au monde et au contraire les chrétiens doivent se distinguer des autres par un amour de la liberté, de la vérité et de la justice qui les rend extraordinaires.


Voilà bien à quoi nous sommes appelés aujourd'hui à la lecture du sermon dans sa globalité : à être extraordinaires, c'est-à-dire à refuser ce qui paraît aller de soi, être évident à tous, être normal. N'est-il pas normal d'aimer ses amis et de haïr ses ennemis ? N'est-il pas normal de profiter de ses situations de force pour exploiter les plus faibles ? N'est-il pas normal de chercher à plaire à ceux qui peuvent nous apporter des biens matériels ? N'est-ce pas profondément humain, Menschlich, que de répondre par la violence à la violence ?


Tout l'extraordinaire du message de Jésus est là, dans cette question à la fin du chapitre au verset 47 « que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens aussi n'en font-ils pas autant ? ». C'est à cela qu'appelle Dietrich Bonhoeffer. Pour lui le mot « extraordinaire » est « celui auquel tend tout le chapitre 5, le mot qui résume tout ce qui précède : ce qui est « chrétien », c'est le « particulier » le perisson 4, l'extraordinaire, ce qui n'est pas régulier, ce qui ne va pas de soi. C'est ce qui, sur le plan de la « justice meilleure », « surpasse » les pharisiens, les dépasse, ce qui est en excès 5» 6


Voilà ce qu'est l'accomplissement dont parlait Jésus. Toute chose est accomplie quand nous avons eu un surplus de générosité, de solidarité, d'attention à l'autre. Nous sommes parfaits comme notre Père céleste est parfait lorsque le plus petit, le plus faible, le méprisé, l'oublié, l'écrasé est relevé, consolé, fortifié, redressé, encouragé. C'est à cet extraordinaire que nous sommes appelés aujourd'hui comme l'étaient les disciples sur la montagne.


Si cette première partie du sermon insiste sur la lumière dans laquelle nous devons vivre en public, le second, le chapitre 6, reviendra sur ce qui, à l'inverse doit être caché, ce qui est de l'ordre de l'intime, du « particulier » non plus au sens d'extraordinaire mais au sens de personnel, de privé, de ce qui nous appartient en propre. Nous en parlerons lors du prochain culte ici à Soultz le 5 juillet prochain.


1 Dietrich Bonhoeffer, Vivre en disciple. Le Prix de la Grâce, nouvelle édition traduite de l'allemand par Bernard Lauret avec la collaboration de Henry Mottu, Labor et Fides, 2009 [Nachfolge, 1937], p. 156 et la note 17.


2 Vivre en disciple. Le Prix de la Grâce, p. 35.


3 « L'idée exige des fanatiques ne connaissant et ne respectant aucune opposition. L'idée est forte. Mais la Parole de Dieu est si faible qu'elle se laisse mépriser et rejeter par les hommes. (…) La Parole est plus faible que l'idée. (…) Cette Parole faible, qui subit l'opposition des pécheurs, est à vrai dire la seule Parole forte et miséricordieuse, celle qui convertit les pécheurs au fond de leur cœur. » Vivre en disciple. Le Prix de la Grâce, p. 154-155. Ce que Dietrich Bonhoeffer appelle ici « l'idée », c'est évidemment l'idéologie dominante.


4 Περισσόν, perisson, adj. Du verbe perisseuo, abonder, abondance, surpasser, qui reste, superflu, augmenter, davantage, abondamment, supérieur, exceller, de plus en plus, marcher (de progrès en progrès) ce qui dépasse, excède un nombre ou une mesure ou un rang ou un besoin. Aussi abondance, surplus, excédent. Cf « Si votre justice n'est pas supérieure (perisseuo) à celle des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Mt 5, 20). La notion d'extraordinaire est ainsi le fil rouge du chapitre 5.


5 Cf. le concept japonais de « ce qui dépasse »


6 Vivre en disciple. Le Prix de la Grâce, p. 124.

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