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Réformation

Dernière mise à jour : 11 févr. 2023

Culte de la Réformation – Guebwiller 30 octobre 2022 Marc 1, 16-20 (17) (je vous ferai pêcheurs d'hommes); Luc 17, 20-21 (le Royaume de Dieu est au milieu de vous); 1 Corinthiens 2, 12-13 (sur la divinité de Jésus)

Roland Kauffmann

Nous sommes en plein paradoxe ! Nous célébrons la Réformation en nous souvenant d'un homme, Albert Schweitzer, dont nombre de nos contemporains ignorent qu'il s'agit d'un protestant, d'un pasteur et d'un théologien. Pour beaucoup Albert Schweitzer est d'abord un inconnu. Il ne brille plus au firmament des célébrités comme ce fut le cas après la guerre. Pour ceux qui le connaissent encore, c'est au mieux un médecin humanitaire qui a construit un hôpital dans la jungle, au pire un colonisateur qui s'est donné bonne conscience en allant soigner des indigènes. Rares sont encore ceux qui, en dehors de nos cercles d'Églises se souviennent qu'il était un organiste extrêmement talentueux, spécialiste de Jean-Sébastien Bach. Hors de l'Alsace, il faut bien reconnaître que Schweitzer est un méconnu dans le monde francophone. Mais le paradoxe de notre journée ne s'arrête pas à cette célébration d'un inconnu. Nous fêtons le 70e anniversaire du Prix Nobel de la Paix décerné par l'Académie royale des sciences de Stockholm à Schweitzer en 1952 mais nous chantons des chants de guerre. « Que Dieu se montre seulement et l'on verra soudainement abandonner la place le camp des ennemis épars » ou encore tout à l'heure « c'est un rempart que notre Dieu » ou encore « la foi gagne des batailles ». Des chants qui ont accompagné la spiritualité protestante et ont été repris à chaque Réformation avec entrain et plaisir. Fêter un Prix Nobel de la Paix avec des chants de guerre, avouons que le paradoxe est manifeste, d'autant plus de nos jours où les religions recommencent à être des marqueur identitaires qui menacent de dresser les uns contre les autres. Mais j'enfonce encore le clou des paradoxes en associant Albert Schweitzer, le théologien fétiche des protestants libéraux, le prédicateur de l'unité du vivant et de la présence de Dieu au sein de la nature avec Ulrich Zwingli, réformateur de Zurich, défenseur infatigable de l'alliance entre la Cité et la foi, promoteur d'une morale chrétienne intransigeante et rigoureuse, et en plus, Ulrich Zwingli, contrairement à l'apôtre de la Paix qu'était Schweitzer, est mort sur le champ de bataille, à Kappel au courant de la guerre qui devait décider de l'identité religieuse de la Confédération. Oui, il y a plus d'un paradoxe à associer Albert Schweitzer et Ulrich Zwingli dans une même commémoration de la Réforme du XVIe siècle et le moindre n'est pas non plus le fait que Schweitzer a toujours été considéré comme un hérétique par les Églises y compris celle-là même qui l'envoie au Gabon en lui interdisant formellement de prêcher, de peur qu'il n'entraîne les fameux indigènes dans de mauvaises voies. Autre paradoxe, Schweitzer est parfois considéré, par ceux qui le connaissent, presque comme un « saint » protestant, lui qui est tout auréolé par l’œuvre de Lambaréné alors que Zwingli, quant à lui est considéré, là aussi par ceux qui ont entendu parler de lui comme un exemple du radicalisme protestant, celui qui a empêché l'unité avec les luthériens. Zwingli a mauvaise presse, synonyme de rigorisme et d'austérité quand Schweitzer lui jouit d'un indéniable « respect ». Ce mot de « respect » n'est d'ailleurs pas anodin tant il revient à la mode aujourd'hui. Le respect, c'est ce qui est revendiqué par tous les groupes minoritaires qu'ils soient religieux ou politiques alors même que l'on oublie la signification du mot « respect » tel que l'entendait Schweitzer. Toute sa philosophie est basée sur ce mot, ou plutôt ce concept qui, en allemand, est beaucoup plus fort que notre respect. En effet «Ehrfurcht» signifie quasiment « vénération », « Ehrfurcht vor dem Leben » n'est rien de moins que l'admiration du monde, de ce qui est dans le monde et de toute forme de vie avec la dimension de « crainte » mais non pas au sens d'en avoir peur mais au sens de craindre de nuire, de briser, de détruire. C'est une autre manière de dire « la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse » au sens où la vénération, l'admiration, autrement dit l'adoration de Dieu est le commencement de l'attention à l'autre, le point de départ de toute forme d'éthique et de toute forme de vie bonne. Car il ne s'agit pas pour Schweitzer de respecter toutes les formes de vie : il y a des formes de vie qui détruisent, qui salissent, qui sont nuisibles. Il fait le simple constat que toutes les formes de vie ont pour principe de chercher leur propre préservation, fut-ce au détriment d'autres formes de vie. Le microbe ou le virus ne doivent pas être préservés quand ils mettent en danger la vie d'un individu. Pour Schweitzer, le bien et le mal existent et nous l'avons entendu tout à l'heure : « le bien consiste à conserver et à favoriser la vie ; le mal consiste à détruire la vie ou à l'entraver. ». C'est là que se rejoignent nos deux personnages : toute la vie de Zwingli est une protestation contre ce qui dégrade l'humanité en l'homme au nom d'un dogme et d'une théologie devenue instrument de puissance, d'enrichissement, en un mot devenue idéologie au détriment des individus et des groupes sociaux. L'un et l'autre, Schweitzer et Zwingli sont les promoteurs du progrès social, du progrès humain. L'un et l'autre sont pétris d'une même conviction : que l'amour de Dieu est premier et qu'il veut le bien de l'homme, son bonheur et une vie harmonieuse, ordonnée et fraternelle. Là aussi nous l'avons entendu tout à l'heure : « En premier lieu, faites attention à ce que l'homme ne périsse pas. Suivez-[Jésus], comme je l'ai suivi, et trouvez-le là où les autres ne le trouvent plus : dans la boue, dans la bestialité, dans le mépris ; allez à lui et venez-lui en aide, jusqu'à ce qu'il redevienne un homme ». « Que l'homme redevienne un homme » et cesse d'être le jouet des fatalités, des puissances et des autorités. Et de même, nous l'avons entendu « l'essentiel n'est pas que tu cherches le meilleur discours que l'on puisse tenir sur [Jésus] ou que tu tentes de t'élever à la hauteur de ce qu'on enseigne au sujet de Jésus ; l'essentiel est sa présence dans ta vie et que tu sois prêt à lui donner toute sa place au moment où il faudra. ». « L'essentiel est sa présence dans ta vie », y-t-il plus belle définition de ce qu'est la foi chrétienne ? C'est exactement, à plusieurs siècles de distance, le mot d'ordre de Zwingli : "Être chrétien, ce n'est pas parler du Christ mais c'est vivre comme lui". Il disait d'ailleurs littéralement « ce n'est pas radoter à propos du Christ mais mener sa vie comme il l'a voulu ». Pour ceux qui parlent le zwyserdytch, il utilisait le terme « zwashta » qui correspond à notre alsacien « ratscha ». C'est une foi conséquente qui prend au sérieux l'intention de l'évangile mais comment peut-on vivre comme le Christ ? Faut-il pour cela tout abandonner, prendre un bâton et aller au désert, ou aller prêcher sur les places, risquer sa vie et rechercher le martyre ? Faut-il prendre des sandales et faire des miracles ? Ressusciter des morts et guérir des malades ? Nous ne vivons pourtant plus au 1er siècle de notre ère ni au XVIe, nous avons nos contraintes, nos obligations, nos responsabilités, tout ce qui nous oblige à mener une vie raisonnable. Zwingli était révolté par la misère et la détresse de la population de Zurich et par l'indifférence de l'Église de son temps. Se fondant sur Matthieu 25, « tout ce que vous avez fait (ou pas fait) aux plus petits d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez (ou pas) fait », il fonde une morale à hauteur d'homme, accessible à chacun et pourtant visant à améliorer le sort de tous. Et là aussi Schweitzer le rejoint dans cette volonté de proposer une éthique de la vie quotidienne. N'y a-t-il pas là un nouveau paradoxe ? Comme prétendre être capable de faire comme Schweitzer ? Lui a suivi Jésus, certes, il est parti sur les rives de l'Ogoué mais ce n'est pas possible pour nous. Son destin est extraordinaire quand le nôtre est celui d'hommes et de femmes ordinaires, englués parfois dans les complications ou les souffrances de l'existence. Schweitzer est un saint et nous ne pouvons l'être. Et pourtant, les trois textes bibliques que j'ai choisis de lire tout à l'heure avaient en commun de battre en brèche cette idée de l'exceptionnalité de Schweitzer. Il s'agit de textes récurrents dans l’œuvre et la pensée de Schweitzer. Toute sa théologie et sa philosophie sont bâties sur l'idée de Royaume de Dieu mais d'un royaume qu'il nous appartient de construire. Lorsqu'il nous engage à suivre le Christ, lorsqu'il présente Jésus d'abord comme celui qui va chercher un homme pour en faire « pêcheur d'hommes » ce n'est pas pour convertir, convaincre ou dominer mais c'est pour restaurer, servir, éduquer, nourrir, soulager, reconstruire. Nous l'entendrons tout à l'heure, au moment de l'envoi, Schweitzer veut nous faire prendre conscience que nous sommes tous des « ouvriers du royaume » et que chacun et chacune d'entre nous, à notre place dans « notre activité quotidienne, si prosaïque et monotone soit-elle, sera une source de joie parce que nous savons, quelle que soit la place que nous occupons, que nous pourrons répandre un peu de l'esprit du Royaume de Dieu et que chacun pourra trouver en dehors de sa profession une « tâche seconde », une occasion de servir ». Des propos qu'il tient lors d'une prédication en 1913, avant de devenir le Schweitzer que nous connaissons. C'est cela vivre comme le Christ, comme l'exigeait Zwingli, c'est nous faire serviteur les uns des autres, c'est nous considérer comme des frères, c'est là encore pour reprendre les mots de Schweitzer « Dieu ne veut pas qu'un homme dise : « Cet homme n'est pas du même peuple que moi, il ne me regarde pas […] », non, Dieu veut qu'un homme dise : « Tous les hommes sont mes frères ». Une foi conséquente, c'est une foi qui se manifeste dans l'action. Lorsqu'il nous dit, comme nous l'avons entendu « Je crois parce que j'agis. L'action est pour moi le fait primordial », il ne veut pas dire que la foi n'a pas d'importance et que seules comptent les actions, les œuvres. Il veut simplement dire que les réalités abstraites, la présence de Dieu, l'amour et la grâce de Dieu, ces choses auxquelles nous croyons sont parfois difficiles à croire mais qu'elles se réalisent lorsque nous agissons pour le bien d'un autre. L'amour de Dieu, la grâce de Dieu, le salut, la rédemption ne sont jamais que des mots sans réalité aussi longtemps que nous ne les mettons en pratique auprès de celles et ceux qui vivent à nos côtés. Dieu lui même n'existe pas si nous ne devenons pas ses mains, ses pieds, sa bouche et son cœur, si nous ne sommes pas son corps, il n'est jamais qu'un symbole sans intérêt pour l'humanité. Et c'est là encore un point commun entre Zwingli et Schweitzer : cette commune préoccupation de l'homme fondée sur la conviction première de l'amour de Dieu pour l'humanité qu'il a créée. Toute leur vie, à l'un et à l'autre, aura été ce cri d'alerte contre des hommes qui détruisent d'autres hommes ou qui détruisent le monde dans lequel nous vivons au nom d'intérêts particuliers ou pour la plus grande gloire de l'Église, oubliant que la gloire de Dieu se manifeste de la manière la plus éclatante lorsque les hommes et les femmes, en chair et en os, bien concrets et bien réels vivent bien, sont heureux, en sécurité, jouissent de leurs droits et de leur dignité, sont libres de choisir leur mode de vie, participent collectivement à la recherche du bien commun et perfectionnent chacun en ce qui le concerne son être propre, son être intérieur. Car Zwingli et Schweitzer ont encore en commun cette préoccupation constante pour la vie intérieure de l'homme : soigner les humains, ce n'est pas seulement soigner leur corps pour Schweitzer mais aussi restaurer leur personnalité et pour Zwingli, comme pour tous les autres réformateurs, l'éducation individuelle et collective était au cœur de son projet de Réforme. Il voulait créer une Académie protestante à Zurich car il était convaincu comme le dira Calvin bien plus tardivement que « là où Dieu est connu, l'humanité est cultivée », cultivée dans tous les sens du terme. Schweitzer et Zwingli sont les défenseurs d'une religion de l'esprit, à mille lieux des religions de l'autorité. Lorsque Schweitzer nous dit « Le Royaume de Dieu consiste en ceci que nous croyons, voulons dans l'Esprit de Jésus et en ce que nous agissons en vue d'accomplir la vocation de l'humanité » il souligne cette dimension à la fois intérieure et spirituelle, l'Esprit c'est ce que nous avons en nous mais un Esprit qui doit prendre forme et corps dans la vie sociale et extérieure. Il ne s'agit pas seulement d'adorer Dieu en esprit, sous entendu dans son for intérieur, il faut l'adorer en esprit et en vérité dans tous les domaines de notre existence, tant privée que publique. C'est cette cohérence entre convictions et réalisations qui est au cœur des théologies zwinglienne, schweitzerienne et de la réforme d'une manière générale : l'Esprit du Royaume de Dieu. Aujourd'hui, fêter la Réformation, ce n'est pas seulement se souvenir de nos grands anciens, de nos pairs dans la foi, c'est renouveler notre désir d'être ouvriers du royaume comme nous avons toujours voulu l'être. Si nous sommes ici, c'est bien évidemment parce que nous avons cette conviction chevillée au corps que Dieu aime l'humanité et qu'il nous faut la servir dans toute la mesure de nos moyens. Mais il peut arriver que nous nous lassions, que nous soyons fatigués de ne pas voir de progrès, inquiets de voir les vagues qui détruisent ce que nous avons laborieusement cherché à bâtir. C'est légitime mais il nous faut chaque jour reprendre courage et si nous pouvons trouver dans les mots de Schweitzer un encouragement à reprendre le flambeau et à remettre le bleu de travail de l'ouvrier du Royaume, nous retrouvons la joie de la foi. Quant aux cantiques de bataille, chantons-les de tout notre cœur, sachant que la première bataille que nous ayons à livrer, c'est celle contre notre découragement, contre nos craintes et nos inquiétudes, contre nous-même et nos facilités, nos renoncements et nos compromissions alors oui, c'est bien contre ces choses que notre Dieu est un rempart. Roland Kauffmann, 30 octobre 2022

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