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Venez vers les eaux...

  • Roland Kauffmann
  • 1 juil.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 sept.

Venez vers les eaux...

Guebwiller, 2025-06-28, culte du Gartafascht suite à l'Assemblée générale.


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Vous conviendrez que pour un culte du samedi soir, juste avant notre Gartafascht, l'utopie que nous présente le prophète Ésaïe est particulièrement de circonstance. En effet, le repas de notre Gartafascht est comme une répétition de la parole d'Ésaïe « O vous tous qui avez soif, venez vers les eaux, même celui qui n'a pas d'argent. Venez sans argent, sans rien payer ». De même notre repas est entièrement gratuit.

 

Et ce n'est pas une simple facilité de langage. Nous savons bien, vous et moi, qu'il y aura des corbeilles qui circuleront et que les convives veilleront à ce que ces corbeilles soient garnies du mieux possible. Au moins autant que nos assiettes et nos verres. À cet égard, il faut remercier celles et ceux qui depuis toute la semaine ont œuvré pour ce repas, dont certains même sont venus exprès pour peler les pommes de terre tout en sachant ne pouvoir ou ne vouloir rester pour le repas. Que toutes ces petites mains anonymes (dont vous connaissez les noms) soient ici remerciées une fois pour toutes.

 

Ce repas d'été n'est pas seulement une métaphore, une illustration de l'utopie du prophète. Ou plus exactement ce n'est pas seulement ce repas qui actualise l'utopie, c'est l'ensemble de notre paroisse, telle qu'elle est aujourd'hui dans la fidélité à l'enseignement des apôtres et à l'écoute du message du Christ.

 

Car oui, toute notre vie paroissiale est à l'image de cet appel d'Ésaïe : « venez, sans argent, sans rien payer » autrement dit sans conditions préalables. Notre paroisse est un espace de liberté et en même temps de ressourcement. C'est un espace qui se veut hors du temps tout en étant pleinement dans son époque, c'est un temps qui se veut hors du monde tout en étant pleinement en son cœur. De ce paradoxe vient toute la tension créatrice qui est au centre de notre vie communautaire. Notre paroisse est un lieu, un espace, un moment absolument gratuit, où aucun d'entre nous n'a de compte à rendre, il peut aller et venir, rejoindre ou s'en aller sans remords ni jugement, décider de son implication ou se mettre simplement au bénéfice de l'action collective.

 

Car cette liberté, cette utopie prophétique qu'est notre paroisse a évidemment un coût, des contraintes et des obligations. Notre assemblée générale s'en est très largement fait l'écho. Au point même qu'à l'inverse de la parole du prophète, on se demande si ce ne sont pas seulement les donateurs et vous êtes nombreux qui mériteraient de bénéficier des services de notre paroisse. L'utopie de la liberté et de la gratuité n'est en effet possible que par l'engagement et la contribution sincères et désintéressés de nombreux autres.

 

Et au-delà de l'argent, la paroisse est cet espace de liberté parce que vous êtes nombreux à lui offrir de votre temps, de votre énergie, de votre enthousiasme, de votre engagement, de votre soutien. Tout cet invisible, cet immatériel, cet agir qui n'est pas un sacrifice car vous ne faites rien pour recevoir en retour, mais qui est simplement du temps offert à d'autres dans un geste d'un parfait altruisme et d'une parfaite altérité. Conseillers presbytéraux, responsables de groupes, secrétaires, musiciens  ou pâtissiers ou tricoteurs et couturières, vous participez à la vie de notre paroisse qui sans vous perdrait une grand part de sa raison d'être.

 

Mais surtout, rien de ce que vous faites, de ce que nous faisons, et ce repas ne déroge pas à la règle n'a de sens en dehors de la promesse que nous fait le prophète, Ésaïe. Aucun d'entre-nous, et moi pas plus que les autres ne ménageons nos efforts juste pour avoir une paroisse accueillante, bien chauffée et agréable à l’œil ou à l'oreille. Nos concerts, nos activités, nos repas et nos cultes même n'ont de sens que dans la mesure où ils sont des mises en pratique de la promesse, de la vraie promesse que nous fait Ésaïe.

 

Pourquoi pesez-vous ce qui ne pèse rien ?

 

Elle est toute entière dans cette question qu'il pose à ses contemporains et donc qu'il nous pose à nous aujourd'hui : « Pourquoi pesez-vous ce qui ne vaut rien ou peinez-vous pour ce qui ne rassasie pas ? ». Notre paroisse, notre vie communautaire ne vaut que dans la mesure où elle est l'écrin où se déroule ce dialogue mystérieux et profondément intime entre la parole de Dieu et notre conscience. Notre liberté et celle que nous offrons à toutes celles et ceux qui s'en approchent n'a de sens et de valeur que dans la mesure où elle offre les conditions pour cette écoute et cette découverte, au plus secret de notre être de cette « alliance éternelle, de cette bienveillance fidèle de Dieu envers nous ».

 

Tout ce que nous faisons dans notre paroisse n'a d'autre but que de nous mettre, chacun en ce qui le concerne et à la place qui est la sienne, à l'écoute de cette parole de Dieu, de cet Esprit de Dieu qui nous révèle qui nous sommes et comment nous pouvons donner corps à cette alliance, non seulement pour nous mais pour le monde.

 

« Écoutez, et votre âme vivra ». Ce n'est pas d'une âme éternelle voyageuse, uniquement destinée à la souffrance sur la terre en vue d'une félicité éternelle que nous parle Ésaïe. Il nous parle de notre être dans son entier, dans sa globalité et dans la réalité de ses inquiétudes et de ses joies. Ésaïe ne parle de ces eaux, de cette abondance offerte à tous, que pour donner une image de la bienveillance de Dieu à notre égard : cette promesse d'une alliance éternelle, celle que Dieu a scellé avec nous une fois pour toutes par la venue de son fils, Jésus que nous reconnaissons être le Christ, l'envoyé du Père et dont l'Esprit continue de nous animer.

 

Ces eaux, ce pain et ce vin qui nous sont promis en abondance sans conditions, comment ne pas y reconnaître aussi l'image évidente de ce qui joue dans nos consciences et dans notre vie communautaire ? Comment ne pas y voir une annonce à la fois de notre baptême et de nos saintes cènes ? De cela aussi, nous avons débattu dans notre Assemblée générale. Non pas du baptême au premier abord mais de la cène avec cette question, bien plus importante qu'elle n'en a l'air, de la communion à la même coupe.

 

Je ne reviendrai pas sur le sujet. Souvenons-nous simplement que l'eau du baptême signifie cet essentiel pour la vie qui ne dépend pas de nous. L'eau est là et signifie rien de moins que la vie qui nous est donnée en abondance, sans elle aucune vie n'est possible et nous ne pouvons rien faire pour la créer. Même quand nous produisons de l'eau par condensation, nous donnons une forme liquide à de l'eau qui existait déjà sous forme gazeuse. Nous donnons une matérialité à quelque chose qui existe déjà sous un autre état. L'eau du baptême symbolise cette vie toujours déjà là avant nous, cette antériorité de l'amour de Dieu pour nous.

 

Quand au pain et au vin, ils sont à l'inverse entièrement l’œuvre de l'homme. Même s'ils sont faits de produits naturels, ils sont le résultat de l'ingéniosité, de l'artisanat, de l'intelligence de l'homme. Le pain et le vin sont un assemblage de ce qui est déjà là et de ce que nous en faisons. Ils sont toujours le produit de l'homme et il dépend de nous qu'ils soient bons et nourrissants, riches en goût et en saveur, ou fades et sans intérêt.  L'image d'Ésaïe est une préfiguration de l'alliance éternelle qui se manifeste dans nos sacrements du baptême et de la cène.

 

Notre baptême et notre cène sont l'image de ce qui nous est essentiel et nous est donné d'une part, l'eau, et de ce qui nous est essentiel et que nous créons, le pain et le vin. J'inclus le vin dans ce qui est essentiel parce que l'homme ne peut se contenter de subsister. Il n'a pas seulement besoin d'eau et de pain mais il a besoin de ce qui réjouit son cœur, de ce qui donne du goût et de la joie à sa vie, il a besoin de sens et de fête, il a besoin du plaisir et lorsque nous partageons le pain de la cène, nous disons que nous avons le nécessaire et avec le partage du vin nous déclarons que nous en sommes heureux. Et ce qui compte dans cette nourriture spirituelle que nous recevons, c'est bien évidemment dans quelle mesure elle est image de l'alliance de Dieu avec nous.

 

Une condensation de l'alliance éternelle

 

Ésaïe donne une mission à David : « voici, je l'ai établi comme témoin des peuples ». Si le prophète pense bien sûr très concrètement à la lignée royale de David, nous savons aujourd'hui que cette lignée royale s'est réalisée en Jésus, fils de David. Et que nous qui déclarons être chrétiens sommes les descendants spirituels de Jésus, que nous avons été adoptés et qu'à la manière de l'apôtre Paul, nous ne sommes plus des « citoyens de seconde zone » (paroikoi, Éph. 2, 19) mais bel et bien des « concitoyens des saints ».

 

C'est-à-dire que c'est à nous aujourd'hui d'être « témoins des peuples », autrement dit d'être le corps, la représentation matérielle de cette espérance, de cette alliance éternelle que Dieu a voulu instaurer avec l'humanité. Notre responsabilité en tant que paroisse et en tant qu'Église est grande ! Elle dépasse largement nos individualités mais c'est là qu'elle commence. De la manière dont chacun et chacune d'entre-nous mais aussi collectivement donnons forme à cette alliance dépend en partie la compréhension que le monde peut en avoir.

 

En partie seulement parce que le témoignage ne dépend pas que de nous. Il dépend aussi du témoignage du Saint-Esprit, autrement dit de l'action ou plus exactement du dialogue intérieur que chacun et chacune d'entre-nous ainsi que ceux qui nous écoutent organise avec sa conscience, sa raison ou son cœur.

 

Si l'efficacité de notre témoignage ne dépend heureusement pas que de nous mais bien plus de l'action de l'Esprit dans la pensée, dans la vie et dans l'existence de notre prochain, il n'en reste pas moins qu'il nous appartient de condenser cette alliance, de donner une forme matérielle, visible, à ce qui existe bien avant nous sous une autre forme.

 

Comme la condensation de l'eau fait apparaître l'eau qui était déjà là, notre foi et sa mise en pratique font apparaître l'alliance et la promesse qui étaient déjà là.

 

Toutes proportions gardées, notre Gartafascht comme nos saintes cènes sont des matérialisations, des condensations de la vie du Christ en nous et dans notre monde. Soyons en conscients et joyeux.



Roland Kauffmann

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