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La poutre faîtière de la foi

  • Photo du rédacteur: Thierry Holweck
    Thierry Holweck
  • 24 juin
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 juin

Guebwiller 22 juin 2025



Certains m'ont dit, à l'issue du culte de dimanche dernier, qu'il fallait s'accrocher pour suivre la prédication qui était consacrée à la vocation d'Ésaïe (cf. Ésaïe 6, 1-13, dimanche 15 juin 2025) et un hommage au théologien Albert de Pury. Si le texte de la vocation d'Ésaïe était difficile, et je le concède volontiers, que dire de ce texte de l'évangile de Jean où Jésus lui-même nous parle d'une gloire que nous recherchons auprès d'autres que lui, d'Écritures qui parlent de lui et de Moïse accusateur. Il va de nouveau falloir s'accrocher et je m'en excuse par avance.

 

C'est en effet le lot du prédicateur du dimanche que de devoir affronter des textes bibliques que nous n'avons pas forcément l'habitude d'entendre parce qu'ils sont noyés dans la masse des textes. Je dois reconnaître que j'ai eu la tentation de choisir, parmi les quatre textes qui nous sont proposés ce matin celui de la première épître de Jean qui est bien plus connu et plus facile à comprendre.

 

Quand Jean nous dit dans sa lettre que l'amour est une condition sine qua non de la vie chrétienne pour une raison aussi simple et évidente que le fait que « celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne peut aimer Dieu qu'il ne voit pas », on comprend tout de suite de quoi il est question alors que dans l'évangile, c'est beaucoup plus ardu. Il va donc falloir s'accrocher et j'oserais dire « s'accrocher ensemble », vous comme moi, pour comprendre quelque chose à ce texte difficile entre tous.

 

Juste une dernière chose par rapport à « l'accrochage », ce n'est pas seulement une question de difficulté. Si vous regardez au-dessus de vous, vous voyez le plafond de notre temple. C'est un plafond plat avec des poutres transversales qui reposent sur les murs. C'est en tout cas l'impression que nous en avons. Or si les poutres reposaient vraiment sur les murs, ceux-ci ne supporteraient pas le poids et s'écarteraient d'où l'effondrement qui serait inévitable. Si les murs ne s'effondrent pas, c'est parce qu'en réalité, nos poutres sont accrochés à une poutre faîtière elle même accrochée à la charpente du temple. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, nos poutres ne reposent pas mais elles sont suspendues, elles sont accrochées et par le jeu des forces mécaniques l'ensemble ne risque pas l'effondrement aussi longtemps que la charpente est en bon état. Bien sûr il ne faudrait pas que la base des murs cède, l'équilibre serait alors rompu. Il n'empêchent que c'est en s'accrochant et non pas en se reposant que nos murs tiennent droit.

 

Il en va, je crois, de même pour notre intelligence et notre foi. C'est parce que nous nous accrochons à quelque chose qui nous dépasse, qui nous soutient, que nous ne nous reposons pas sur des évidences et des idées toutes faites mais que nous essayons de clarifier nos idées et de chercher ensemble comment les faire tenir dans un monde bouleversé que nous donnons corps et réalité à notre espérance.

 

Sonder les Écritures

 

C'est en sondant les Écritures que nous pouvons comprendre le message qu'elles contiennent et c'est justement de cela dont il est question dans ce texte de l'évangile de Jean.

 

Jésus s'y livre à un exercice de critique textuelle, à un exercice de méthode de lecture assez moderne en réalité et assez similaire à ce que je vous décrivais la semaine dernière avec la méthode d'Albert de Pury.

 

Revenons un peu en arrière : Jésus est à Jérusalem. Vous savez que selon Jean, et contrairement aux autres évangiles, Jésus est allé plusieurs fois à Jérusalem et pas seulement pour y mourir. Nous sommes donc lors de son second séjour dans la ville et il vient de guérir un infirme au bord de la piscine de Béthesda. Rien d'extraordinaire à cela, ce n'est pas la première fois qu'il fait un miracle. Le problème c'est que nous sommes le jour du sabbat et que le miraculé n'a pas le droit de porter son lit. Il est arrêté par les autorités religieuses qui lui demandent pourquoi il fait ce qui est interdit le jour du sabbat. Le miraculé répond « celui qui m'a guéri m'a dit « prends ton lit et marche » (Jean 5, 11) S'ensuit un dialogue ou plutôt un long discours de Jésus contre les Juifs.

 

Il faut ici s'arrêter un instant sur ce que sont ces « Juifs » dont il est question tout au long de l'évangile. Techniquement parlant, confessionnellement parlant, ils sont tous juifs, Jésus et ses disciples comme les autres, mais aussi tout un chacun, habitant de la Judée, ils sont tous soumis à la loi de Moïse. Les « Juifs » dont il est ici question sont les représentants de la loi et de l'ordre du temple. Toute proportions gardées, ces « Juifs » à qui s'oppose Jésus ne sont tous les juifs mais sont l’équivalent des ayatollahs qui oppriment la population iranienne ou des rabbins qui oppriment la population israélienne, des imams qui oppriment les populations musulmanes ou les pasteurs et prêtres qui maintiennent les populations chrétiennes dans l'ignorance.

 

Le discours de Jésus dans ce chapitre 5 est en effet une attaque en règle contre les autorités religieuses qui s'arrogent le droit de maintenir le peuple dans l'ignorance et dans la soumission, non pas à la loi de Moïse mais à leurs propres règles et leurs propres décisions. Encore une fois, Jésus s'inscrit dans cette longue tradition des prophètes. Vous avez entendu les condamnation de Jérémie contre ceux qui « pensent faire oublier mon nom à mon peuple en annonçant la fausseté de leur cœur » (Jérémie 23, 26-27). De même que Jérémie rejetait les faux prophètes qui au lieu d'entendre la parole de l'Éternel disaient au peuple ce qu'il avait envie d'entendre, Jésus condamne les docteurs de la loi qui sondent les Écritures et n'y voient que le reflet de leurs pensées et non pas ce qui le concerne lui, Jésus.

 

Ceux qui prétendent représenter la loi, être disciples de Moïse, ne seront pas accusés par Jésus mais par Moïse lui-même parce qu'ils n'auront pas été fidèles à son message. Il ne leur reproche pas tant de ne pas l'écouter, lui Jésus, que de ne pas savoir lire dans les écrits de Moïse tout ce qui annonce sa venue. C'est de ne pas être fidèles à leur vocation qu'il leur fait le reproche. Ils prétendent diriger le peuple et ne savent pas lire et comprendre. Sans intelligence, il sont comme sourds et aveugles et ne sont à la hauteur de leur mission.

 

Un amour sans « pourquoi » mais « parce que »

 

Il leur reproche de ne pas avoir en eux l'amour de Dieu, un écho justement de ce que dira plus tard, ce même Jean. Ces gens-là prétendent aimer Dieu et n'aiment pas en réalité leurs prochains ; ils prétendent servir Dieu et suivre Moïse mais ne font en réalité que suivre leurs penchants et dominer le peuple. Lui, Jésus, en guérissant les infirmes, même le jour du sabbat, se préoccupe réellement des pauvres, des opprimés, des faibles et des écrasés. Il prétend ainsi mettre en pratique la loi de Moïse telle que celui-ci l'entendait : une loi faite pour être bonne pour l'homme et non pas une loi que l'homme devrait servir au mépris de lui-même.

 

Cette inversion des termes revient à placer l'amour du frère que l'on voit comme signe de l'amour du Dieu que l'on ne voit pas. Le bien que nous faisons n'est ainsi jamais le moyen par lequel nous recevrions la grâce de Dieu, les œuvres bonnes ne viennent pas avant la grâce et le pardon reçu de Dieu, elles en sont le produit, la conséquence, comme le fruit est la manifestation visible de cette force vitale invisible qu'est la vie qui anime la plante. L'amour du frère que l'on voit ne s'oppose pas à l'amour de Dieu que l'on ne voit pas, c'est juste que l'un ne peut aller sans l'autre.


Autrement dit que l'amour de Dieu n'a d'autre raison d'être que l'amour du frère. Là où les Juifs se trompent, leur dit Jésus, c'est qu'ils sondent les Écritures pour avoir la vie éternelle comme si la vie éternelle était un but en soi au détriment même de la vie. Quand il oppose la « vie éternelle » qu'ils cherchent à la « vie » que, lui, Jésus donne, il leur dit qu'ils confondent les moyens et les fins, les causes et les conséquences. Ils cherchent la gloire, celle qu'ils se donnent les uns aux autres, la reconnaissance qu'ils ont les uns pour les autres en oubliant que la gloire ne peut venir que de Dieu seul (44). La vie éternelle qu'ils recherchent, la gloire et les honneurs qu'ils se donnent ne peuvent et ne doivent pas être le but de leur foi mais c'est la vie en Jésus qui est première.

 

Pour le dire encore autrement, nous ne devons pas croire pour avoir la vie éternelle, la vie éternelle ne doit pas être le but, la récompense, la fin de notre foi et de notre vie. Nous ne devons pas être fidèles à la parole du Christ, essayer de conformer notre vie en toutes choses à son exigence, chercher à lui obéir pour obtenir la vie éternelle, ce serait alors une rétribution pour service rendu, un simple salaire contractuel et non plus la manifestation d'un amour sincère et dénué de craintes.

 

N'est-ce pas justement ce que dit ce même Jean dans sa lettre qui éclaire pour nous l'évangile ? « L'amour parfait bannit la crainte » nous dit-il (1 Jean 4, 18) et s'il est question de châtiment, c'est que nous avons tous peur de la mort et du jugement qui ne manquera pas de nous frapper. C'est cela que craignaient les Juifs auquel Jésus s'oppose. Il leur reproche de vouloir la vie éternelle sous entendu d'échapper au jugement qui menace tous les hommes pécheurs. Il leur reproche de ne respecter la loi de Moïse que pour s'éviter la peine et le châtiment, de ne respecter la loi que par peur de la punition. Et le jugement terrible de Jésus est de justement leur déclarer qu'ils montrent par là qu'ils n'ont pas d'amour pour Dieu.

 

L'amour que nous devons avoir les uns pour les autres ne doit avoir aucune raison, aucune intention, aucun intérêt. Nous ne devons pas nous aimer les uns les autres pour quelque chose, obtenir la vie éternelle, échapper au jugement dernier ou que sais-je ? Nous devons nous aimer les uns les autres, c'est à dire nous soutenir, nous entraider, nous fortifier, nous encourager, gratuitement, sans récompense, ni honneur, sans retour ni échange, sans contrepartie ni intérêt.

 

L'amour, en tout cas l'amour au sens chrétien est sans « pourquoi » mais « parce que » ! C'est parce que nous sommes aimés que nous aimons en retour mais ce n'est justement pas une simple réciprocité, un nouvel échange de bon procédés. Ce n'est pas parce que nous sommes aimés de nos frères que nous avons à répondre à leur amour, ce serait encore un « donnant donnant » mais c'est parce que nous sommes aimés de Lui « nous aimons parce que lui nous a aimés le premier » (1 jean 4, 19).

 

Comme nos poutres que j'évoquais tout à l'heure peuvent accomplir leur rôle parce qu'elles sont accrochées à quelque chose d'autre qui nous est ici invisible, de même nous pouvons être fidèles, aimer notre prochain gratuitement, parce que nous sommes nous aussi accrochés. Non pas à une poutre faîtière mais à une Parole, celle qui nous porte, nous supporte, nous inspire et nous élève au-dessus de nous-mêmes et des difficultés de l'existence, celle du Christ.



Roland Kauffmann

 

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